Depuis 2022, la psychologue Caroline Goldman se livre à une guerre sans merci contre l'éducation positive qui, selon elle, annihile le besoin de limites de l’enfant. La polémique entraîne toujours aujourd’hui un affrontement entre différentes personnalités du monde de l’enfance à coup de tribunes dans les médias et de post Linkedin incendiaires : d’un côté les adeptes de Caroline Goldman, partisans d’une éducation plus stricte illustrée par le célèbre « time out », et de l’autre les défenseurs d’une parentalité positive, à l’instar d'Héloïse Junier ou encore Catherine Gueguen. Jusqu’alors, nous n’étions pas intervenus dans la polémique qui manquait souvent de nuances et concernait davantage les parents. C’était sans compter le dernier post Linkedin de Caroline Goldman publié samedi 23 novembre (en intégralité ci-dessous). Pour la première fois, la psychologue étend le débat aux crèches.
Un post virulent
« Tous les jours, des collègues psychologues que je supervise me relatent une violence grandissante dans les crèches, car la vague “éducation positive” transportée par des idéologues de la psychologie SANS PRATIQUE DE CE MÉTIER interdisent toute mise à l’écart des enfants agressifs. » Le ton est donné.
La spécialiste s’emporte un peu plus loin : « Je ne suis pas d’accord pour que ces enfants agressifs soient maintenus dans une quête structurelle non entendue pour des raisons idéologiques. Je ne leur souhaite pas de rester violents et honteux de l’être. Je ne suis pas non plus d’accord pour que les autres enfants soient victimes de leur violence, aient peur d’aller à la crèche et sentent les adultes incapables de les protéger. » Elle estime également que « ces tensions quotidiennes doivent avoir un retentissement sur le moral des professionnels. ». Dans les commentaires auxquels elle répond scrupuleusement, Caroline Goldman s’inquiète des conséquences à l’école : « J'aimerais bien que des instits de petite section de maternelle viennent nous raconter ici les effets de ces principes éducatifs lorsque les enfants arrivent à l’école… »
Quelques réactions positives
Son message a recueilli un fort écho : 552 likes, 154 commentaires et 40 republications à la date du 25 novembre. Comme on pouvait s’y attendre, les réponses sont partagées. Certains, mais peu, adhèrent au constat posé par la psychologue. Déborah Baduel, coach et psychanalyste, écrit : « C'est un milieu de plus en plus violent. Force est de constater que de mon expérience et du retour des enseignants, "l'éducation (soit disant) positive" fait des dégâts considérables. Chaque année, il y a de plus en plus d'enfants tyrans (considérés comme rois à la maison) dans les classes, qui frappent, qui mordent, qui terrorisent les autres enfants et les adultes (enseignants et ATSEM en maternelle).»
Louis Bonlarron, psychologue clinicien, confirme : « J’ai travaillé en crèche et c’est 100% vrai. Les professionnels, souvent très volontaires, dépensent une énergie folle à contenir par des postures ou des mots calqués sur le discours de l’éducation positive, les enfants qui cherchent des limites. (On ne parlent évidemment pas des bébés.) »
Des pros (très) agacés
Toutefois, de nombreuses personnes estiment que son propos est exagéré et trop généralisé, comme André Nérant-Coguic, assistant maternel. « Il faut naviguer en permanence entre le "caractère" des uns et le besoin de sécurité des autres, l'interdiction absolue étant la violence entre les enfants. Sans pour autant isoler l'enfant, simplement le déplacer d'un mètre s'avère généralement efficace. »
On notera la réaction d’Aurélien Cadet, éducateur-chercheur, doctorant en sociologie :
« Je me permets de réagir sur la façon dont vous masquez un niveau d'analyse, celui des pratiques professionnelles (des éducateurs et éducatrices de jeunes enfants notamment) au profit de votre propre point de vue sur ce débat (je crois qu'on le connaît toutes et tous). Ce qui est regrettable, c'est que vous simplifiez la question de "la violence" (votre discours ne s'appuie que sur des "retours", s'inscrivant donc dans la lignée d'autres qui sont idéologiques), sans l'inscrire dans une lecture qui dépasse celui "du comportement agressif". C'est déjà méconnaître le travail réflexif des professionnels et professionnelles, notamment celui des EJE qui cherchent à mettre ces questions au travail (dans leur mémoire par exemple), avec les conditions dont ils et elles disposent. J'ai donc l'impression que vous occultez - voire vous vous accaparez - la question éducative en n'abordant aucun de ces aspects, d'autant plus qu'ils sont actuels et discutés en instituts de formation du travail social. »
D’autres font part de leur agacement :
Carole Giraud, EJE, écrit : « Nous les éducateurs et éducatrices de l'enfance laissons les enfants faire? Je dirais que je valorise l'expression par la créativité et l'entente mutuelle sous forme de respect réciproque. Je n'ai pas de problème d'enfant roi car nous faisons stop quand les limites sont dépassées. »
Myriam Panchout, thérapeute familiale, s'indigne : « L’agressivité des bébés serait due à un excès de bienveillance de la part des adultes de notre société actuelle… On ne doit simplement pas vivre sur la même planète… en tout cas pas dans le même monde, ça, c’est certain. »
Laura Schoumaker, EJE, ajoute : « L’éducation positive n’est pas du laxisme, il y a des limites et surtout une compréhension du comportement des enfants pour mieux les accompagner tout en mettant les limites. Quand un enfant est agressif, il vaut mieux se demander pourquoi? Quel est son modèle social ? Les enfants ne sont que le miroir de notre société, donc s’ils ont des comportements défaillants, inappropriés, ce n’est pas eux qu’il faut traiter mais bien les traumas de tous les adultes. Et les votre en premier il semblerait.»
Héloïse Junier, psychologue et autrice, qui collabore régulièrement à notre site a posté un long message sur Facebook.
« Après s'être mis à dos les scientifiques de l'éducation, les experts de la santé mentale de l'enfant et les spécialistes du TDAH, voilà que Madame Goldman exaspère les professionnels de la petite enfance avec ses nouvelles élucubrations à l'encontre des enfants (mais que lui ont-ils fait pour qu'elle leur en veuille autant ?). Je doute que Madame Goldman parvienne à convaincre qui que ce soit dans des crèches d’isoler des jeunes enfants dans une autre pièce, et les empêcher d’en sortir, pour les punir (ceci étant sa vision personnelle de ce qu'elle appelle le « time-out »). Le monde de la petite enfance est un environnement empreint d'une réelle non-violence à l'égard des jeunes enfants et, fort heureusement, ses bavardages n'y changeront rien.» Les deux expertes, qui ont une vision radicalement différente du développement de l'enfant se livrent une guerre médiatique depuis plusieurs mois.
Enfin, Cyrille Godfroy, co-secretaire général du SNPPE a pris, de son côté la parole, pour rappeler à la spécialiset que les difficultés des professionels sont liés aux conditions de travail et pas aux enfants.
« Mme Caroline Goldman, merci de ne pas inclure dans votre réflexion sur l'éducation positive VS le time-out, le sort des crèches qui sont en pleine crise depuis de nombreuses années.
Au-delà de vos raisons idéologiques, si, je reprends vos mots, les adultes sont incapables de protéger les enfants, n'est-ce pas aussi une question de pénurie de professionnelles, de taux d'encadrement non-adaptés aux tranches d'âges accueillies ? Ne vous êtes-vous pas poser la question que certaines professionnelles ont aussi peur d'aller à leur travail, en subissant des conditions de travail qui ne sont pas celles qu'elles ont apprises lors de leur formation ? Plutôt que de relancer le débat autour de vos préoccupations, nous aimerions voir les personnes soucieuses de la qualité d'accueil du jeune enfant soutenir les professionnelles de terrain afin que la crise qui perdure et qui s'accélère prenne un jour fin. »
On peut relever que les professionnels qui s'opposent à Caroline Goldman sont davantage des pros de terrain, au contact des enfants de 0-3 ans. Alors que ses « sympathisants», appartiennent plus à la sphère du coaching, et de l'éducation nationale. En tout cas, en déplaçant son débat sur le « time out » au centre des crèches, nul doute que la célèbre psychologue a ouvert une nouvelle polémique que nous suivrons avec attention.
Connectez-vous pour déposer un commentaire.