Salaires impayés : Jenny Moutet, assistante maternelle, dénonce les failles de Pajemploi

Assistante maternelle depuis 15 ans dans les Bouches-du-Rhône, c’est en dernier recours que Jenny Moutet a écrit aux Pros de la petite enfance, pour dénoncer les failles d’un système qui se retourne contre elle et toutes les assistantes maternelles confrontées à des parents employeurs qui ne paient pas leurs salaires. Jenny Moutet témoigne de son expérience et lance un vibrant appel à l’aide à qui voudra bien l’écouter…  
De plus en plus d’assistantes maternelles sont confrontées à un véritable fléau que le système et la justice ne parviennent pas à enrayer : les salaires impayés. Et dans la majorité des cas, ce n’est pas seulement le dernier salaire qui n’est pas versé mais bien plusieurs mois d’impayés que les parents employeurs finissent par devoir à leur assistante maternelle… Moins d’un an après une première mauvaise expérience qui a fini devant la justice, je me retrouve à nouveau dans cette situation et pourtant je suis plutôt conciliante : déjà un mois et demi de salaire impayé, une maman disparue dans la nature, mes appels bloqués. Je vais entamer une nouvelle procédure et j’en suis déjà épuisée ! 

D’excuses en délais, de blocus en renvois, jusqu’aux prud’hommes 
Mais comment arrive-t-on à plusieurs mois d’impayés ? Lorsqu’il y a un retard de paiement, il faut relancer aimablement les parents. A partir d’une semaine de retard voire plus, on envoie un courrier recommandé pour marquer une procédure légale. Parfois, le recommandé n’est même pas récupéré. Arrive rapidement le mois suivant, nouveau retard de paiement et excuses variables. On envoie un nouveau recommandé avec une mise en demeure de payer sous huitaine. Il faut attendre à nouveau un délai de réponse. Et pendant ce temps, l’assistante maternelle est toujours obligée d’accueillir l’enfant… Si rien n’arrive, elle peut enfin faire une prise d’acte de rupture qui permet de refuser l’accueil mais n’est pas pour autant libérée du contrat ni des engagements pris. 

La prise d’acte de rupture permet à l’assistante maternelle de se libérer du contrat et de reprendre un autre enfant en accueil mais cela équivaut, dans un premier temps, à une démission. Donc la prive de ses droits au chômage. Il faut donc impérativement entamer des démarches aux prud’hommes, avec un avocat, pour faire requalifier la prise d’acte de rupture en licenciement. L’assistante maternelle doit continuer l’accueil jusqu’à l’envoi par recommandé de cette prise d’acte, donc le temps des relances et des deux premiers courriers recommandés. 

Une procédure longue, souvent infructueuse, qui fragilise 
Lorsqu’on entame des démarches puis une procédure, les délais sont très longs. J’ai arrêté un contrat au mois de mai dernier, et j’ai reçu la notification de jugement pour le 13 janvier prochain ! Et bien souvent les parents sont insolvables. Après le jugement, on peut envoyer un huissier pour tenter de faire exécuter la décision de justice mais c’est à nous de le payer ! Et en tant qu’assistantes maternelles, nous n’avons pas de fonds de garantie en cas d’impayés de salaire. Nous ne pouvons pas non plus vérifier la solvabilité ou les revenus des parents avant nous engager avec eux. Pour la première procédure que j’ai dû mener, si j’additionne tous les retards de délais de paiement, on me doit presque 20 000 euros ! 

J’ai le sentiment que personne n’entend la détresse des assistantes maternelles qui gagnent aux prud’hommes après des mois de démarches, après avoir payé les frais d’avocat et d’huissier, mais ne reverront jamais leur argent…. Aujourd’hui j’exerce en Mam et nous avons des charges importantes à payer. Ma situation nous met dans l’embarras toutes les deux : elle impacte ma vie professionnelle mais également celle de ma collègue. 

Ces parents qui continuent de percevoir le Cmg 
Les parents, eux, sont peu inquiétés : à part des relances de Pajemploi pour justifier les versements, ils n’ont rien d’autre ! Bien souvent, ils continuent à déclarer à Pajemploi et perçoivent le Cmg alors qu’ils ne versent pas de salaire à l’assistante maternelle, bien que ce soit la condition même de son obtention. Et les faux bulletins de salaires ainsi générés sur Pajemploi impliquent de devoir justifier encore aux impôts que ces salaires n’ont pas été perçus… 

Une escroquerie très bien organisée 
J’ai pu constater par moi-même qu’il existe aussi des cas d’escroquerie organisée. Certains parents emploient des assistantes maternelles les unes après les autres, laissant derrière eux des mois d’impayés. Une assistante maternelle qui exerce à 25 km de chez moi m’a appelée après m’avoir recherchée. Elle a été employée les memes parents qui m’ont laissé une ardoise de près de 20 000€. Sa note à elle s’élève déjà à 7000€… De mon côté, prud’hommes remportés, parents condamnés à payer plus de 2500€ de salaires, une amende de 1500 € au titre de l’article 700, les intérêts légaux et une astreinte de retard pour la remise des documents de fin de contrat (à ce jour 303 jours de retard pour la fourniture des documents de fin de contrat x 50€/ jour soit plus de 15 000€)…

Et bien que les parents employeurs aient été condamnés aux entiers dépends, je paie encore les huissiers qui m’envoient leurs factures, sans pour autant récupérer un centime… Les parents ont compris qu’il suffisait de ne pas répondre à l’huissier, ils ne prennent même pas la peine de venir au Conseil de prud’hommes ! Ces parents viennent sûrement d’embaucher une autre assistante maternelle puisque nous avons trouvé leur annonce sur le site Nounou top ! Nous avons prévenu le Smape (Pmi qui gère notre région), Pajemploi et la Caf, mais ils nous disent qu’ils ne peuvent rien faire. Alors cela continue et une autre assistante maternelle va subir le même sort…

Pajemploi complice d’un système biaisé
Depuis octobre, le 2e mois d’impayé est pris en charge par Pajemploi, et probablement bientôt le 3e. C’est un bon début certes, cela avantage les parents mais cela ne fait que décaler le problème : la dette des parents augmente, et une fois le 3e mois arrivé, c’est encore pire pour les assistantes maternelles ! Mais à quel moment sont-elles est-elle informées que les parents sont en défaut de paiement ? Cela pourrait éviter d’en arriver à un point de non-retour. Il faut que nous soyons actrices de ce système et que nous puissions imposer aux parents d’utiliser Pajemploi Plus. En effet, les parents ont la possibilité de le désactiver sans nous demander notre avis ! Et lorsqu’il y a un impayé, au bout du 2e mois, Pajemploi se désactive également. En général c’est là que nous nous apercevons que nous n’allons pas être payées. Les parents et Pajemploi sont acteurs d’un système que nous, assistantes maternelles, subissons… 

L’impression d’hurler dans le vide 
Lorsque nous parlons de nos difficultés à la Caf, au Ministère, à Pajemploi, personne ne nous entend, personne ne nous aide. La réponse est toujours la même… « Merci de vous rapprocher de votre employeur pour tenter de régler le problème. Sinon vous avez la possibilité de saisir le Conseil des Prud’hommes... ». C’est une boucle sans fin ! Même Nicole Barallon (directrice de l'Urssaf service Pajemploi) n’a jamais daigné nous répondre. Nous étions pourtant une soixantaine à lui avoir envoyé simultanément nos jugements gagnants ! Nous avons toutes reçu la même réponse automatique. Cette sensation de n’être écouté et soutenu par personne est insupportable… Nous ne volons personne, nous voulons simplement être payées pour le travail que nous avons déjà effectué et faire valoir nos droits auprès de Pôle emploi. Travailler sans salaire, c’est purement de l’esclavage ! Pour ma part, j’ai entrepris de recenser dans un fichier toutes les assistantes maternelles concernées, et j’ai des réponses chaque jour…

Des propositions pour contrer les failles du système 
Alors comment combler les failles d’un système qui se retourne contre nous ?
Je propose quelques solutions concrètes à mettre en place de toute urgence : 
  • Prévenir l’assistante maternelle lorsque le parent employeur est en défaut de paiement. 
  • Que Pajemploi demande à l’assistante maternelle de confirmer qu’elle a bien perçu son salaire, avant de verser le Cmg aux parents. 
  • Stopper immédiatement le versement du Cmg aux parents qui ne payent pas leur assistante maternelle. Et éviter ainsi une fraude fiscale majeure. 
  • Aider concrètement les assistantes maternelles qui ne perçoivent pas leur salaire et sont abandonnées de tous. 
  • Sanctionner fermement les parents qui savent très bien organiser leur insolvabilité… 
  • Permettre à l’assistante maternelle de rompre immédiatement son contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur en cas d’impayés de salaire et ce, dans le but qu’elle puisse accueillir un nouvel enfant et ne pas rester sans salaire

Le groupe Facebook Ass Mat impayées révoltées rassemble plus de 4500 professionnel(les) concernées. 

Une pétition est en ligne pour soutenir les assistantes maternelles impayées 
 
Article rédigé par : Laurence Yème
Publié le 13 novembre 2024
Mis à jour le 30 novembre 2024