Maryline, assistante maternelle à Annecy : « Nous ne sommes pas des héros, on a juste fait ce que l’on savait faire »
Maryline : Je suis assistante maternelle depuis 12 ans. Un métier par choix et aussi par passion avec des horaires loufoques et aléatoires car toutes mes familles sont gendarmes ou infirmiers. Je suis agréée jour et nuit. Parfois, certains enfants sont également là le week-end. J’ai un agrément pour 4 enfants mais j’en ai 7 en tout. J’ai ainsi un tout-petit d’un an et demi qui ne vient que le samedi. Et je n’en accueille que 4 à la fois simultanément.
Vous êtes également gendarme réserviste, en quoi cela consiste-t-il ?
J’aurais voulu être gendarme. Je n’aime pas l’injustice et suis un peu justicière sur les bords. Mais je me suis occupée de mes enfants et j’ai laissé passer l’âge pour le concours de gendarme (ndlr : 35 ans). La réserve, la limite d’âge c’est 40 ans donc j’y suis allée ! En gros, cela consiste à renforcer les équipes sur le terrain car il manque cruellement d’effectifs. Il y en a besoin dans toute la France. Sur mon temps libre, je propose mes disponibilités à la gendarmerie sur les créneaux que je veux et les brigades que je veux dans la Haute-Savoie. Et on est convoqué en fonction des besoins.
Vous connaissez bien le parc du Pâquier ? Vous y avez vos habitudes ?
Je suis née à Annecy, alors oui, je le connais bien ! Ce parc, j’y ai passé mon enfance, mes enfants et mes neveux y ont joué. J’y emmène aussi les tout-petits que j’accueille. Les étés, on y passe beaucoup de temps. Avant, on y descendait en bus, maintenant on y va avec mon vélo cargo.
Qu’aviez-vous prévu de faire ce jeudi 8 juin, jour de l’attaque ?
Avec trois des enfants que j’accueille, âgés entre 2 et 3 ans, j’avais décidé de me rendre à la plage. Tout le monde est monté dans le vélo cargo. Le soleil tardant à venir, je me suis dit que l’on pourrait d’abord aller aux jeux du parc du Pâquier. En arrivant sur le parc, l’attaque était en cours…
Quel a été votre premier réflexe ?
J’ai tout de suite pris les informations visuelles. Je me suis éloignée de la scène pour mettre les tout-petits hors de danger et j’ai donné l’alerte. En tant que gendarme réserviste, je sais quelles informations je dois donner aux collègues pour qu’ils déploient les bons moyens et les bons secours. C’est donc ce que j’ai fait. Il y avait du monde dans le parc, des classes de lycéens, des familles, des mamans, des touristes, des papis, des mamies… j’ai crié, dit qu’il était armé et qu’il fallait partir. Les motards sont arrivés en 4 minutes, ils ont été très rapides. Dès leur arrivée, je me suis dit que c’était bon, qu’ils allaient s’occuper de l’assaillant. Je suis donc repartie dans l’autre sens pour m’occuper des victimes.
Et pour les trois tout-petits qui étaient avec vous, comment avez-vous fait ?
Ils sont restés dans le vélo cargo que j’ai rentré dans le parc. Un jeune monsieur, qui a ensuite été rejoint par un policier, s’est mis entre mon vélo et moi qui étais auprès de la petite victime pour cacher à mes tout-petits la scène. Il leur a raconté des histoires et pendant ce temps-là, j’ai pu m’occuper de l’enfant blessé. Ils ne se sont donc aperçus de rien. La nuit d’après, ils ont bien dormi, ils n’ont pas changé de comportement… Le plus grand était quand même content de voir les motos de police avec les gyrophares débarquer parce qu’il est dans sa période Playmobil motos de police !
Dans quel état se trouvait l’enfant auquel vous avez porté secours ?
Le petit bout de 2 ans était très gravement atteint. On n’a pas perdu de temps du tout. Tout le monde s’est compris en un regard. Tout le monde savait ce qu’il avait à faire, sans se concerter avant, alors que l’on était tous dans le civil, et que l’on ne se connaissait pas. Il y avait d’autres personnes de mon âge, avec des enfants, comme moi, Lilian un petit jeune de 19 ans, un autre de 24 ans, Henri. On a vraiment tous su ce qu’on devait faire. C’était inimaginable et en même temps incroyable à vivre parce qu’il y a toute cette solidarité qui s’est articulée comme un papier qui se déroule, sans accroc. Aucun temps mort, aucune seconde de perdue. Et c’est ce qui a permis, comme le disait le médecin chef que j’ai rencontré lundi, de sauver les enfants.
Comment avez-vous rassuré l’enfant ?
Au début, je lui ai dit que je m’appelle Mary, que sa mamie n’était pas loin, qu’il n’était pas tout seul, qu’on allait s’occuper de lui, qu’il était courageux, fort, beau.... Je lui ai dit même s’il était semi conscient. Il fallait lui parler, que l’on accroche son regard, sa conscience. Il fallait qu’il reste avec nous. Il ne devait absolument pas sombrer. Il avait des blessures très graves au thorax et à l’abdomen. Je lui ai fait des bisous rapides et un peu musclés pour le stimuler. Cela le stimulait et d’amour et d’énergie. Avec mes deux mains, je compressais ses plaies. Au bout de 5-7 minutes environ, je me suis rendu compte qu’il commençait à cyanoser. Il perdait des couleurs au niveau des lèvres. Je sais, je l’ai appris en formation de secouriste et par ma fonction d’assistante maternelle et de gendarme réserviste, que lorsqu’il y a cyanose, il y a une hémorragie interne. Il ne fallait donc pas perdre de temps. Il ne devait pas s’endormir. Mes mains étaient prises par ses blessures, je ne pouvais pas les enlever donc je n’avais pas d’autres choix que de le mordre à l’intérieur du bras pour essayer de le stimuler. C’était terrible comme scène, mais je n’avais que mes dents de disponibles. Puis les secours sont arrivés. J’ai demandé au policier municipal qui était derrière moi d’aller chercher les pompiers, de leur dire qu’il y avait deux victimes de 2 ans environ en urgence absolue et qu’il fallait une équipe médicale d’urgence avec de l’oxygène. Et ensuite j’ai passé le relai.
Est-ce que le fait d'être assistante maternelle vous a aidé dans la "prise en charge" du jeune enfant blessé ?
Oui, très certainement. Cela fait douze ans que j’accueille des bébés. Je sais comment leur parler. Et je suis maman aussi, même si mes enfants sont maintenant ados ! En tant qu’assistante maternelle, j’ai régulièrement des formations PSC1. Et avec la gendarmerie, en plus du PSC1, je suis des formations « sauvetage » sur la gestion de l’urgence et du « damage control » pour prioriser et prendre les bonnes décisions qui permettent d’avoir une finalité positive. Heureusement que je suis formée, sinon est-ce que j’aurais été efficace ? Je suis certaine que sans ces formations je les aurais perdus. Le stress aurait pris le dessus alors que là je savais ce que je devais faire.
En tant qu’assistante maternelle, vous estimez qu’il faudrait plus de formations de ce type ?
J’aimerais déjà que le PSC1 soit obligatoire et non pas seulement demandé ou fortement conseillé au renouvellement d’agrément. Je voudrais que ce soit tous les ans et obligatoire pour toutes les assistantes maternelles. Et pas seulement pour les assistantes maternelles. C’est tellement important que tout le monde devrait être formé, dès l’école. Dans ces moments de tension extrême, on oublie même comment on s’appelle ou comment notre téléphone fonctionne. Et pour contrer cela, c’est la répétition. Plus on répète les gestes, plus cela devient instinctif moins on laisse de place au hasard.
Comment les parents des petits que vous accueillez le jeudi ont-ils réagi ?
Les choses se sont très vite sues. Les parents se sont beaucoup inquiétés car ils savaient que j’allais à la plage qui se situe à 500 mètres du parc. Je ne pouvais pas répondre au téléphone, mais dès que cela a été possible, je les ai rappelés bien sûr, j’ai pu les rassurer. Ils ont tous été très bienveillants. Ils savent que quoi qu’il se passe je n’aurais jamais mis leurs enfants en danger. On m’a appris à protéger, alerter et secourir. J’ai protégé « mes enfants » et moi-même, car s’il m’arrivait quelque chose, je ne pouvais plus les aider ni aider quiconque, j’ai alerté et ensuite, une fois le danger écarté, je suis allée auprès des autres tout-petits.
Les parents réalisent aussi que cela aurait pu être leurs enfants. A 10 minutes près. Pour la petite histoire, cela peut paraître un peu gros mais ce sont des croissants qui nous ont sauvé la vie. Je leur avais promis des croissants. Mais en partant de la maison, j’habite à Seynod, je les ai oubliés. Je m’en suis aperçue en arrivant sur Annecy, j’ai donc fait demi-tour avec le vélo cargo pour aller les chercher. J’ai perdu 10-15 minutes, ce qui nous a permis d’éviter l’assaillant.
Depuis l’attaque, avez-vous échangé avec vos collègues assistantes maternelles ?
Dimanche dernier, il y a eu un rassemblement pour rendre hommage aux victimes. Quatre-cinq collègues assistantes maternelles sont venues car elles se sentent très concernées. Et, elles ont voulu me montrer leur soutien, qu’elles étaient fières de moi. Donc oui, nous avons pu échanger un peu et cela fait chaud au cœur.
Quel sentiment prédomine chez vos collègues assistantes maternelles ? De la peur ?
Ce n’est pas le premier sentiment qui prédomine. Le premier, c’est plutôt : ouf, Dieu merci, tu savais comment faire et tu as pu contribuer à cette chaîne humaine pour aider à sauver les tout-petits. Après certainement qu’elles se disent : cela aurait pu être nous. Pour autant, nous allons toutes retourner dans ce parc car c’est un lieu magnifique, familial, un lieu de vie. On y pensera toute notre vie, mais on continuera de s’y rendre. Les enfants ont besoin d’être insouciants pour être heureux donc en tant qu’adulte, on ne doit pas leur transmettre nos angoisses. Ce sont eux qui sont innocents. Eux ils jouent, c’est tout. Ils ne savent pas le drame qui s’est déroulé là. On n’a pas à leur dire ça, à leur détruire leur innocence.
Et vous, comment vous portez-vous ?
Les nuits sont un peu compliquées, agitées. Je suis beaucoup sollicitée, j’en parle tous les jours, donc je suis encore trop dans le stress, dans l’action, dans l’adrénaline. Il faut que les choses se tassent, que je prenne du recul.
Vous avez rencontré le président de la République, qui a salué votre attitude, votre courage, ainsi que celui d'autres personnes présentes ce jour-là. Est-ce une reconnaissance ?
Tout le monde dirait bien sûr que oui puisque c’est le président mais je crois que l’on serait assez d’accord avec Lilian et Henri pour dire que l’on a fait ce que l’on pensait être juste de faire à ce moment-là. On ne s’est pas dit, on va les sauver comme ça on verra Emmanuel Macron. Nous ne sommes pas des héros. On n’a rien fait d’extraordinaire, on a juste fait ce que l’on savait faire. Henri avait la capacité émotionnelle de repousser l’assaillant avec son sac à dos. Moi j’avais la capacité de donner l’alerte, car je l’ai appris, et je me suis occupée des victimes car je sais gérer, je suis formée en cas de tuerie de masse. En tant que citoyenne, maman, assistante maternelle, gendarme réserviste, je ne pouvais qu’agir.
Un lien spécial s’est-il créé entre toutes les personnes qui ont apporté leur aide ?
Oui bien sûr ! A vie, nous sommes liés. J’ai retrouvé, lors de la rencontre avec le président de la République, la pompier qui était arrivée la première pour venir m’aider. On s’est reconnu. Elle a pleuré dans mes bras. On restera super proche, avec tout le monde.
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