Agnès Canayer : « Nous lançons un groupe de travail sur les modes de financement de l’accueil du jeune enfant »

Dans cet entretien exclusif aux Pros de la Petite Enfance, Agnès Canayer, ministre déléguée à la Famille et à la Petite enfance, revient sur le déploiement du Service public de la petite enfance (SPPE) qu’elle souhaite accompagner politiquement et financièrement. Elle espère que l’enveloppe de 86 millions d’€ pourra être augmentée et ira dès la fin du débat budgétaire à la rencontre des élus locaux pour les écouter, les informer, les rassurer. La ministre souhaite aussi s’atteler aux modalités de financement des modes d’accueil. Enfin, une de ses priorités est de renforcer l’attractivité des métiers de la petite enfance car sans professionnels pas de modes d’accueil de qualité. 
Les Pros de la Petite Enfance : Le SPPE sera mis en place à partir du 1er janvier 2025. Pour aider les communes désignées autorités organisatrices par la loi, il est prévu une compensation financière. Dans le PLF, il est précisé à ce titre 86 millions d’euros pour les communes de plus de 3500 habitants. Un montant que les collectivités ne jugent pas suffisant *. Est-ce que cette enveloppe est susceptible d’augmenter ?

Agnès Canayer : Les 86 millions d’euros sont une base, nous sommes aujourd’hui encore en discussion et en débat parlementaire. Certains parlementaires portent des amendements pour pouvoir augmenter ce fonds et nous y travaillons aussi de notre côté. Néanmoins, je ne peux aujourd’hui vous dire à quelle hauteur il est susceptible d’être augmenté.  Dans le contexte budgétaire que nous connaissons, nous sommes déjà satisfaits de ce montant. Nous entendons les inquiétudes des communes, et nous les comprenons.
Et nous menons aussi aujourd’hui une réflexion sur les plus petites communes et notamment les intercommunalités qui ont pris la compétence “petite enfance” mais qui n’ont pas de communes de plus de 3500 habitants. Même si la loi n’a rien prévu pour elles, nous devons trouver des moyens pour les accompagner dans la mise en œuvre de ce SPPE. Ma volonté est que nous trouvions une solution pour toutes les autorités organisatrices du SPPE, l’enjeu est de porter le développement d’une offre d'accueil sur tout le territoire français qui soit le plus égalitaire possible. 

Concernant la répartition de cette enveloppe de 86 millions. Quand les règles définitives de partage seront-elles connues ? 

Aujourd’hui, plusieurs hypothèses sont sur la table. Néanmoins, il me semble que le critère le plus cohérent reste le taux de natalité afin de pouvoir adapter l’offre d’accueil au nombre d'enfants sur la commune. Par ailleurs, nous observons bien que les communes disposent de moyens qui sont variables en fonction de leur potentiel financier et ce critère doit également être pris en compte. Nous devons identifier le système le plus équitable et surtout le plus efficace

Vous souhaitez entamer une sorte de « SPPE tour » à travers la France ? Comment l'envisagez-vous ? 

Les communes ont besoin d’un soutien financier, et d’un accompagnement en ingénierie, mais il est aussi essentiel qu’elles puissent bénéficier d’un accompagnement politique, d’où l’idée de ce « SPPE tour ». Mon rôle de ministre est d'aller rencontrer les élus locaux. J’ai besoin de comprendre les freins, qui ne sont pas nécessairement les mêmes partout, les difficultés, les besoins réels. Cela est d’autant plus nécessaire que le SPPE doit être déployé en adéquation avec les besoins de chaque commune ou de chaque intercommunalité.
Nous allons rassurer, lorsque c’est nécessaire, les maires en leur démontrant qu'ils ont un intérêt direct et fort à s'engager dans ce SPPE, un outil pour répondre au mieux aux attentes de leurs administrés. Je compte organiser des rencontres par territoire à l'échelle départementale ou intercommunale. Le tour de France débutera au mois de décembre dès la fin du vote du budget. 

De nombreux décrets d'application sur le SPPE sont attendus d’ici la fin de l’année. Quelles sont ceux que vous allez signer en priorité ? Selon quel calendrier ?

Mon objectif est qu'ils soient tous promulgués rapidement, sachant que nous avons certaines contraintes temporelles, certains décrets étant soumis à avis préalable du Conseil d'État par exemple. Au niveau du calendrier, les décrets qui ont entamé leur circuit de consultation sont ceux concernant le régime de sanctions et le processus d'autorisation des EAJE. La rédaction du décret sur le contenu du schéma pluriannuel de maintien et de développement de l’offre d’accueil des autorités organisatrices est en train d’être finalisée.

Nous regardons de près les inquiétudes que peut susciter ce sujet. Je tiens à préciser que nous organisons des phases de concertation avec les élus sur les rédactions en cours afin de clarifier les interrogations et réfléchir à la meilleure façon d’apporter des explications soit dans le décret directement, soit par le biais de la FAQ ou par d'autres moyens. Sur le schéma pluriannuel, j’appelle à la simplification et à l'efficacité. Il ne s’agit pas de tout refaire par rapport à des analyses qui auraient déjà été faites par des communes. Certaines ont pris des engagements dans des Conventions territoriales globales (CTG), des bilans ont été faits par des Centres d’action communal (CCAS). Nous devons nous appuyer sur l’existant. 

Dans son audition au Sénat le 23 octobre, Paul Christophe a évoqué  un décret d’application signé d’ici la fin de l’année « pour lutter contre les pratiques commerciales douteuses, par exemple les frais annexes facturés au familles en reprécisant très clairement le périmètre des dépenses publiques éligibles au CMG. ». Cela concerne donc les micro-crèches qui désormais peuvent être contrôlées. Que précisera ce décret ? 

Ce décret est en cours de rédaction et sera validé rapidement. S'agissant des micro-crèches, l’objectif est de faire en sorte que, dans le tarif maximum de 10 euros par heure fixé par la loi, soient intégrés tous les fameux frais annexes qui parfois sont facturés en plus aux parents et qui viennent alourdir largement le coût de la prise en charge de leur enfant. Cette clarification du périmètre de la tarification était indispensable afin que nous n’ayons plus de pratiques qui sont dissonantes d'une structure à l'autre.
Mais il faut pouvoir ensuite contrôler et cela sera du ressort des Caf. Un décret, bientôt validé, prévoit également tous les documents financiers que les établissements d’accueil du jeune enfant, dont les micro-crèches devront communiquer à la CAF qui pourra effectuer un contrôle.

À propos du financement des EAJE, êtes-vous prête à remettre en cause la PSU ? Tous les acteurs, gestionnaires de tout statut et professionnels de la petite enfance sont d’accord sur une nécessaire réforme (ou abandon).

Le sujet n’est pas tant de se focaliser uniquement sur la PSU (qui a déjà évolué), que de réfléchir plus globalement à des modes de financement rénovés pour l'accueil du jeune enfant, dans toutes leurs composantes, avec pour objectif d'avoir une visibilité fin 2025. Nous allons lancer un groupe de travail en lien notamment avec la Cnaf début 2025 pour travailler sur des propositions techniques qui pourront effectivement être applicables à partir de l'entrée en vigueur de la future COG (2028).

Je souhaite effectivement m’atteler à ce chantier essentiel. Nous devons pouvoir lever les freins au déploiement des places en crèche, et un modèle rénové de financement fait partie des leviers. C’est un chantier très technique sur le plan des modalités qui doit être appréhendé de manière globale. Après cette analyse, nous entamerons bien évidemment une phase de concertation avec la Cnaf, les acteurs du secteur, gestionnaires, élus, etc. Mais je souhaite rappeler que le SPPE va démarrer avec le modèle existant. Les nouvelles modalités de financement ne sont pas pour tout de suite. Nous sommes sur un point d’équilibre : réussir le déploiement du SPPE, créer de nouvelles places en  garantissant la qualité d’accueil, et en parallèle revoir les mécanismes de financement.   

Vous  recevez actuellement les représentants des professionnels de la petite enfance. Ils s'accordent à dire que vous êtes à l'écoute.  Que pensez-vous de leurs inquiétudes et demandes? 

L’attractivité des métiers de la petite enfance reste le point cardinal. Nous ne pourrons pas créer de nouvelles places, ouvrir des structures, si derrière, nous n’avons pas des professionnels en nombre suffisant et suffisamment bien formés. Les professionnels sont le cœur du sujet. Il y a déjà eu des avancées en matière de revalorisation, mais nous devons aller plus loin pour accroître l’attractivité, notamment concernant leurs attentes relatives à la qualité de l'exercice de leur profession.
Sur l'accueil individuel, nous avons aussi un enjeu fort parce que les assistantes maternelles sont nombreuses à partir à la retraite et qu’il faut attirer de nouvelles professionnelles. Les assistantes maternelles souhaitent avant tout travailler sur leur statut mais aussi leur formation et des temps collectifs pour échanger sur leurs pratiques. Elles m’ont aussi interpellée sur le sujet des impayés de salaire qui est une préoccupation majeure. Depuis le 15 octobre, Pajemploi garantit deux mois d’impayés de salaire contre un seul auparavant.
Nous sommes en train de travailler notamment sur la recherche de modalités de recouvrement, préalable à l'extension au troisième mois que nous souhaiterions courant 2025. Très prochainement, nous lancerons les travaux sur le statut des assistants maternels. Et nous attendons le rapport de l’Igas sur l’accueil individuel qui nous apportera aussi des éléments d'éclairage. 

* France Urbaine a alerté sur le fait que le montant alloué aux collectivités pour la mise en place du SPPE de 86 millions d’euros risque de ne pas être suffisant. Certaines villes ont évalué le coût de la mise en place pour devenir autorité organisatrice, il doit être au moins de 30 000 euros par commune.
Article rédigé par : Candice Satara
Publié le 31 octobre 2024
Mis à jour le 01 décembre 2024