Emilie Philippe, Pas de bébés à la consigne : « Le 19 novembre nous manifestons pour que la ministre s’engage »
Emilie Philippe : Nous nous étions engagés dès cet été à mener des actions s’il n’y avait pas d’avancées concrètes concernant la qualité d’accueil des jeunes enfants. Puis la situation politique s’est dégradée avec la dissolution, nous avons préféré repousser, attendre d’avoir un gouvernement et surtout une ministre. Au regard de l’évolution de la situation aujourd’hui, il nous a semblé important de se mobiliser, cela fait maintenant plusieurs mois que les rapports et les livres se succèdent, en revanche nous n’observons aucune avancée au niveau législatif et réglementaire. Il y a eu prises de parole mais aucun engagement écrit.
Maintenant il faut des actes. Il y a pourtant urgence et les attentes des pros sont immenses. Nous manifestons pour être visibles et pour porter les problématiques de la petite enfance. Nous avons symboliquement choisi de manifester la semaine de la journée internationale des droits de l'enfant. Et d’ailleurs nous organisons aussi le 23 novembre à Paris, un Forum, ouvert à tous « Penser et agir pour la qualité d'accueil des jeunes enfants ».
Vous allez prochainement être reçu par la ministre de la Famille et de la Petite enfance, Agnès Canayer. Qu’attendez-vous de cette rencontre ?
En effet, nous avons demandé une audience et lors d’une réunion du comité de filière petite enfance, la ministre s’est engagée à nous rencontrer. Mais pour l’heure, nous n’avons pas encore de confirmation écrite. Idéalement, nous souhaiterions la rencontrer le jour de la mobilisation, le 19 novembre pour marquer le coup. La situation est telle que le gouvernement ne peut plus fermer les yeux et minimiser les problèmes rencontrés par le secteur.
Quelles sont les mesures les plus urgentes ?
Nous réclamons un engagement fort sur l’amélioration du taux d'encadrement. Il y a la possibilité depuis la réforme Norma d'appliquer un taux unique d'un professionnel pour six enfants qui ne nous convient pas. Nous avons des remontées terrain de professionnelles qui nous disent que travailler seule auprès de 6 bébés, c’est intenable. Le collectif demande un taux d'encadrement de 1 professionnel pour 5 en 2027 et 1 pour 4 en 2030, quel que soit l’âge des enfants. Nous mettons en relation le taux d’encadrement aussi avec la taille des groupes : il faut en finir avec les sections de 20 ou 25 enfants.
Nous appelons également à l’alignement de la réglementation des micro-crèches sur les autres structures. Enfin, la question de l'analyse des pratiques professionnelles nous paraît cruciale. Sur le terrain, cette obligation est difficile à mettre en œuvre. Les collectivités, les employeurs ont besoin d’être accompagnés pour que ce droit soit vraiment effectif. Par ailleurs, la loi prévoit un minimum de 6 h par personne et par an, c'est insuffisant.
Qu’attendez-vous du SPPE dont le top départ est le 1er janvier 2025 ?
Nous souhaitons que ce service public permette, au moins dans un premier temps, aux familles les plus précaires d'avoir accès gratuitement à un mode d'accueil, puis d’étendre progressivement à tous ce droit. Le SPPE doit mettre fin au modèle économique actuel et au notamment le système de la tarification à l’heure d’accueil dite PSU. Par ailleurs, plus d’une nouvelle place sur deux en crèche est aujourd’hui ouverte par des acteurs privés à but lucratif. Rien n’est fait pour endiguer ce phénomène alors que des dérives inacceptables ont été rapportées. La fonction publique reste encore le premier employeur du secteur, il ne faut pas l’oublier.
La grande question aujourd’hui, c’est la pénurie de professionnels . Quelles sont revendications ou propositions pour renforcer l’attractivité des métiers de la petite enfance ?
La question des conditions de travail est fondamentale. Elle passe par le taux d'encadrement, par la valorisation de l’image de ces professions. Certains croient encore que s’occuper des enfants n’est pas bien compliqué en soi et que finalement quelques personnes bien formées dans une équipe suffisent amplement. La prise en compte de la pénibilité de ces métiers fait partie des points essentiels et nous sommes également mobilisés sur la question des salaires.
Certes, le bonus attractivité qui permet aux employeurs de percevoir une aide de la CNAF constitue une avancée. Mais dans les faits, en l’absence d'obligation, un certain nombre d'employeurs sont frileux parce qu'ils craignent que l'aide ne soit pas pérenne. Par ailleurs, dans le secteur public par exemple, la revalorisation correspond à des primes qui ne sont pas prises en compte dans le calcul de la pension de retraite. Notre revendication est simple : nous demandons 10% d'augmentation pour tous et dans tous les secteurs (en points d'indice dans la fonction publique). Pour faire face à la pénurie, nous réclamons aussi un plan pluriannuel de formation avec un nombre de professionnels à former sur les prochaines années. Notre objectif :15 000 professionnels par an sur 5 ans.
Depuis plus de 15 ans, vous vous battez sans relâche pour la qualité des modes d'accueil et dénoncez la marchandisation du secteur ? Qu’est-ce qui vous donne la force de continuer ce combat ?
L'avantage d'être un collectif est que nous avons rarement tous le moral en berne au même moment. Aussi, nous sommes encore ou avons été des professionnels de terrain au contact direct des équipes et des enfants. Tous les jours, nous observons les défaillances du système, la nécessité de repenser la qualité de l’accueil avec des exigences élevées. Mais je ne vais pas vous mentir, il y a des moments où on a envie de baisser les bras. La mobilisation massive contre les retraites n’a eu aucun effet, la réforme a été adoptée. Cela a pu en démoraliser certains qui, dépités, qui pensent que nos revendications n’aboutiront jamais Mais ce n’est pas la majorité, nous avons choisi ce métier auprès des plus vulnérables, les jeunes enfants. Pour nous, il est plus difficile de rester passif que de se mobiliser.
Voir aussi : Manifestations du 19 novembre 2024 : les lieux de rassemblement
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