Énoncer, dénoncer la violence sans la généraliser. Par Christine Schuhl

Christine Schuhl, est EJE, titulaire d’un DEA en sciences de l'éducation. Formatrice et conférencière. Elle est à l’origine de l’oxymore « Douces Violences ».  Dans ce texte, elle insiste sur la nécessité de ne pas nier les cas de violence ou maltraitance dans les lieux d’accueil mais surtout de ne pas les généraliser. Par respect pour les professionnels investis dans le secteur de la petite enfance. Un point de vue loin de toute naïveté mais qui veut résolument optimiste.
Ne pas nier la réalité tout en regardant les autres possibles
Présenter au grand public la vision unique de la violence dans les crèches est une violence pour les professionnels de la petite qui œuvrent avec bienveillance au quotidien. Les différents rapports de l’IGAS et les multiples rencontres inter professionnel ont permis, fort heureusement de mettre en lumière depuis plusieurs mois les dérives et les violences, au cœur des pratiques professionnelles dans certains établissements de la petite enfance. Le travail méticuleux d’auditions et d’observations sur le terrain et au-dehors du terrain n’a fait que confirmer les manques récurrents de moyens et de formation. Cependant, aujourd’hui certains médias et de nombreuses publications alertent sur des violences faites aux enfants sans garde-fou. L’alerte est certes donnée, mais qu’en est-il de tous les autres lieux d’accueil de la petite enfance où l’enfant est au cœur des préoccupations et où chacun pallie avec énergie les manquements institutionnels ? Les professionnels sont de par ces jets d’infos scandales, étiquetés, stéréotypés dans un amalgame de témoignages, d’enquêtes, où la gravité des faits donnent une tonalité bien particulière aux métiers de la petite enfance, déjà en souffrance depuis de nombreuses années.
Bien sûr il y a tous ces dysfonctionnements, humains, institutionnels, politiques. Bien sûr des violences deviennent parfois cette réponse impensable affligée à cet enfant, à ce parent, à ce professionnel. Bien sûr les douces violences sont encore présentes mais combien de professionnels réfléchissent sur leurs pratiques, combien se remettent en question, combien aussi, se lancent dans de magnifiques projets malgré de multiples freins ?

Dénoncer la violence : une urgence intemporelle
L’actualité se gave de tout ce qui dysfonctionne. Les faits divers envahissent les journaux, les réseaux sociaux, si bien que certains parents, à peine remis de l’émotion de l’arrivée de leur enfant doutent et s’inquiètent à l’idée d’inscrire leur enfant dans une structure qui est pourtant bien une structure d’accueil et d’accompagnement.
L’image des crèches est depuis plusieurs années représentée par un amalgame de photos d’adorables bambins, jouant dans des décors colorés et remplis de jouets où les professionnels, en arrière-plan sont présentes et souriantes. Photo commerciale peut-être ou simple présentation sur une plaquette laissée à disposition du public. Derrière cette représentation, le grand public ignore peut-être l’investissement que les métiers de la petite enfance exigent, l’endurance, les difficultés que de devoir répondre aux besoins fondamentaux de ces tout-petits de moins de 3 ans dans des contextes collectifs ou au domicile des assistantes maternelles.
Les métiers de la petite enfance sont comparables au métier d’orfèvre, rien ne peut se faire sans prendre en considération chaque enfant, dans son unicité, avec précision en temps réel. La majorité des professionnels le savent bien et relèvent ce défi au quotidien.
Dénoncer la violence est une urgence intemporelle. Il en va de soi de ne jamais la banaliser, de la repérer et de la punir, mais pouvons-nous sortir de ce regard posé sur ces métiers de la petite enfance dont la responsabilité est hors du commun ?

Généraliser la violence : une violence pour tous les professionnels
Combien de métiers construisent avec autant de force la société de demain ?
Combien de métiers prennent soin de ce tout-petit dont la disponibilité de l’adulte est vitale ?
Les soignants, les enseignants et bien d’autres métiers encore font partie de cette liste et sont tout aussi malmenés, ignorés dans leur grandeur et leur puissance humaine.
Généraliser la violence est une violence pour tous les professionnels qui s’investissent au quotidien. Généraliser c’est ignorer les possibilités incroyables de bien des équipes et stéréotyper des métiers qui sont au cœur du vivant et de notre humanité.
Aujourd’hui la souffrance des métiers de la petite enfance n’est malheureusement pas entendue. Faute de moyens, de formation, de reconnaissance à leur juste valeur, les métiers de la petite enfance peinent à recruter et à obtenir les moyens nécessaires pour balayer ces stéréotypes où certain parlent de professionnels sans éducation, mal habillées (de quel droit pouvons-nous juger de la sorte !!), et violentes. Il y a urgence à donner un véritable statut au à tous ces professionnels engagés dans l’accompagnement de l’enfant de moins de 3 ans.

La violence existe, c’est un fait, mais non une fatalité.
La violence est la résultante de dérives politiques, économiques et éducatives. Un amalgame de manquements de reconnaissance et de valorisations. Il est important de voir ces violences, mais pouvons-nous aussi regarder cette bienveillance construite à la force des empathies partagées de professionnels qui croient en leur métiers et restent malgré la tourmente, passionnés par ces rencontres quotidiennes avec ces tout-petits, prêts à remettre peut-être en question des choix et des projets ? Regardons en face les multiples moments incroyables de complicité et d’accompagnement de ces tout-petits qui pas à pas découvrent notre monde… Et quel monde !

                            


 
Article rédigé par : Christine Schuhl
Publié le 11 septembre 2024
Mis à jour le 12 septembre 2024