La petite enfance : une spécialité professionnelle. Par Laurence Rameau

Puéricultrice, formatrice, auteure

bébé et professionnelle de la petite enfance
Comment avez-vous vécu votre petite enfance ? C’est une question à laquelle vous ne pouvez pas répondre. Au mieux pouvez-vous raconter ce que vos parents ou vos proches vous en ont dit. Mais leurs propos correspondent à leurs représentations. Ils sont des souvenirs réorganisés et modifiés par le temps qui passe et par les sentiments qu’ils ont à votre égard.

La façon dont chacun a vécu sa petite enfance demeure une énigme de son histoire. A la fois mystère et enjolivement, notre propre petite enfance est un monde merveilleux par lequel nous passons, une réelle fiction qui nous appartient sans que nous la connaissions vraiment. Alors comment faire pour devenir un spécialiste de cette période de la vie des autres humains, quand nous n’avons aucun souvenir de la nôtre ? Comment pouvons-nous éduquer des bébés sans bénéficier d’aucune référence personnelle, en dehors de ces éventuelles quelques traces sensorielles non conscientes ? En se formant. En apprenant ce métier qui est à la fois technique, pratique, relationnel et réflexif.

Prenons un exemple : habiller un bébé demande de la technique pour savoir par quels vêtements commencer, dans quel ordre et où les mettre. Cela demande aussi de la pratique pour bien placer ses mains dans l’encolure d’un pull, pour bien rouler les manches d’un body ou pour retourner des chaussettes en marionnettes. Cela demande tout autant de capacités relationnelles pour entrer en interaction avec le bébé, savoir l’écouter, lui parler, le calmer aussi, car il n’est pas un objet que l’on manipule mais un être humain qui a soif de relations et de coopération pour les actions qui le concerne. Et cela demande de la réflexion pour choisir les vêtements en fonction non seulement de la météo, mais aussi des capacités motrices du bébé et de la recherche de son bien-être, et non de son look. Il nous faut en effet aussi comprendre que ce bébé n’est le faire-valoir de personne, qu’il est déjà un sujet de droit, qu’il peut participer à son habillement et doit en être tout autant l’acteur que celui qui le fait à sa place, tant qu’il ne peut le faire seul.     

Un métier de spécialistes
S’occuper des plus petits est donc un métier complet, un vrai, un magnifique métier, qui nécessite d’avoir un goût pour s’occuper des très jeunes enfants, qui implique de ressentir du plaisir à les fréquenter et qui réclame une capacité intellectuelle pour les comprendre. Sans compter qu’il faut aussi posséder des aptitudes de patience, de dextérité, de soins, de douceur et d’organisation. Enfin, soyons tous certains qu’il est indispensable de suivre une réelle formation dans toutes les dimensions que nous venons de citer, à la fois technique, pratique, relationnelle et réflexive.
Alors comment acquérir toutes ces compétences en si peu de temps avec des formations souvent trop courtes ? Pire, comment les obtenir en formation à distance, sans côtoyer les enfants, sans les avoir dans les bras ? Cela semble bien déraisonnable que les êtres les plus fragiles, ceux dont le développement dépend tant de leur environnement, soient accompagnés par des personnes n’ayant pas les qualifications nécessaires.
Faisant partie du « Care », c’est-à-dire du prendre soin de l’autre, ces métiers ont une moindre valeur par rapport à ceux de l’éducation ou de la santé qui, déjà, n’en bénéficient pas beaucoup. Ils souffrent d’un manque de reconnaissance sociale, d’une faiblesse d’attractivité et de rémunérations qui ne sont pas à la hauteur de l’exigence due aux jeunes enfants. Si cet état de fait s’explique par leur histoire, entre le maternage et la vocation avant leur récente professionnalisation, cela n’en est plus pour autant acceptable aujourd’hui.

Un métier qui se partage
La crèche est l’institution où cette situation de défaillance, retrouvée dans tous les modes d’accueil des jeunes enfants, est la plus visible, car, au niveau des médias et du grand public, elle représente à elle seule le monde de la petite enfance. Elle est ainsi la plus exposée, en tant que « modèle type », alors même que la majorité des jeunes enfants n’y est pas accueillie. C’est elle qui sert de porte-drapeau lorsqu’il s’agit d’accueil de la petite enfance, c’est aussi sur elle que l’on projette aujourd’hui tous les fantasmes de désirs, de craintes et de rejets. On y retrouve les mêmes difficultés de recrutement, de formation et de valorisation des professionnels, avec un défi supplémentaire, celui du travail d’équipe. En effet, d’autres qualifications sont à ajouter à celles citées plus avant : prendre sa place dans une équipe, participer à un projet pédagogique commun, accepter l’organisation et la hiérarchie, faire preuve d’entraide et de flexibilité, connaître les règles de l’institution et les options pédagogiques, admettre de dépendre d’un gestionnaire public ou privé, etc. Pour certains, travailler avec d’autres adultes et souvent encore plus difficile que de s’occuper de jeunes enfants. Mais cela peut aussi s’apprendre, avec des formations complètes et suffisamment longues pour permettre à de futurs professionnels de devenir de vrais spécialistes de l’éducation des jeunes enfants en crèche. Au savoir-faire et au savoir être s’ajoutent le savoir-faire ensemble et le savoir être avec les autres.

Un métier qui s’apprend
En formation, la présence sur le terrain est indispensable, mais ne suffit pas. Il est faux de penser que les métiers de la crèche s’apprennent uniquement en les faisant et qu’une formation courte suffit. Pas plus que l’on devient chirurgien uniquement en opérant ou plombier en regardant des tutos, on ne s’improvise pas professionnel de la petite enfance en crèche en fréquentant seulement des enfants ou en suivant des formations à distance sans jamais avoir eu un bébé dans ses bras. L’alternance entre la réflexion, l’apprentissage des concepts et des actes doit absolument exister avec leur observation et leur mise en pratique sur le terrain.
Il est encore temps de réagir et de créer cette formation de professionnels de crèche de haut niveau, des spécialistes de la petite enfance capables de travailler dans cette institution et de la renouveler par leurs inventions et leurs réflexions, pour le bien de tous, enfants, parents, professionnels et donc pour le bien de la société.  
 
Article rédigé par : Laurence Rameau
Publié le 16 septembre 2024
Mis à jour le 26 septembre 2024