Soutien à la parentalité : de quoi parle-t-on exactement ?

Monique Busquet est psychomotricienne et elle a toujours mis l’accompagnement à la parentalité au cœur de son travail, parce qu’« un enfant n’existe pas sans ses parents. ». Tout au long de ses études, au fil de son expérience et de ses formations complémentaires, elle a particulièrement été marquée par les travaux de John Bowlby, Donald Winnicot, Serge Lebovici, Bertrand Cramer, T.B Brazelton et plus récemment d’Antoine Guedeney.  Leur influence et celle d’autres encore *, lui ont permis de se forger des convictions et de construire des pratiques professionnelles auprès des parents. Voici quelques-unes des idées principales qui ont constitué les socles de sa pratique et lui ont permis de porter un regard bienveillant sur les parents, leurs tâtonnements et difficultés.

 
De la difficulté et de la complexité d’être parent !
• Devenir parent se construit et reconstruit, à chaque enfant.
Chaque parent se construit parent de l’enfant qui arrive. C’est en « parentant » que l’on devient parent, comme dit le proverbe « c’est en forgeant que l’on devient forgeron ».  Ni mode d’emploi, ni recettes, ne peuvent éviter les tâtonnements, les questionnements et les doutes. Se construire parent, c’est faire et tricoter avec de nombreuses questions et émotions. C’est d’emblée s’inquiéter pour la santé de son enfant, la qualité de son développement, la construction de son devenir.  

C’est aussi s’interroger sur sa propre capacité à être parent. Ces interrogations s’accompagnent de fréquentes remises en question, sentiments de culpabilité et de peurs des jugements (qui reconnaissons-le, sont encore particulièrement nombreux et fréquents, quelles que soient la façon dont ils s’expriment). Alors, rappelons-nous ce que D. Winnicott, pédiatre anglais, nous a transmis : L’enfant a besoin de parents « suffisamment bons » « just enough ».  Cela doit permettre à chacun d’accepter le décalage entre sa réalité ou la perception qu’il en a et son idéal de parent, de ne pas se mettre la barre trop haute, ni à soi-même, ni aux autres.

Une petite pointe d’humour pourrait aussi faire regretter de ne pas avoir nos enfants une fois que nous avons acquis expérience et maturité avec l’illusion que nous pourrions être meilleurs parents. Mais ce n’est pas ainsi que la nature en a décidé… Alors, oui chaque parent va tâtonner, parfois regretter « si j’avais su » et développer progressivement à la fois ses compétences parentales et ses remises en question tout au long de sa vie, parce que chaque enfant est différent et qu’il grandit chaque jour.

• Le parent  « parente »  à partir de nombreux facteurs de son passé et son présent qui s’entremêlent.
Il invente son propre mode d’être parent à partir de ce qu’il a vécu lui-même enfant, qu’il a enregistré. Chacun a en soi des mémoires, engrammées de façon plus souvent inconsciente. Ce sont des mémoires corporelles et émotionnelles à l’origine d’habitudes ou automatismes de gestes, de paroles, de pensée, d’interprétations, d’exigences et des réactions parfois impulsives. Chacun est aussi imprégné de transmissions familiales larges et résonances psychogénéalogiques, au-delà de ses propres parents.
Le parent se construit également à partir de ce qu’il a vu et entendu depuis son enfance, des pratiques de puériculture et d’éducation dont il a été témoin dans son entourage et dans la société et dont il a pu s’imprégner.

Bien sûr, la façon d’être parent dépend fortement de son présent et de son environnement : les conditions de venue de cet enfant (projet, conception, grossesse, naissance, place dans la famille) ; les conditions de vie, de soutien, de relais dont la famille bénéficie.  
Enfin, chaque enfant a une part active dans la « construction de son parent » : ce avec quoi il arrive au monde, son unicité et ses particularités, sa place et déjà son histoire.
    
Ainsi chaque « parent », chaque lien parent-enfant se construit à partir de cet ensemble de facteurs, dans des interactions complexes et subtiles entre choix conscients et enjeux émotionnels. Il va devoir tricoter avec son idéal de parent, son idéal d’enfant et le réel de ce qu’il va vivre, éprouver, expérimenter comme parent.

• Des « fonctions parentales » multiples,  complexe et pleines d’émotions.
Chaque parent se sait responsable de son tout-petit. Il sait sa tâche de répondre à ses besoins et il cherche à faire au mieux.  Pour cela,  plusieurs « compétences » sont mises en jeu.
- Regarder son enfant, voir ce qu’il manifeste dans son corps, ce qu’il exprime (appels, pleurs, mimiques, attitude corporelles, …)     
 - Pouvoir décoder, comprendre, interpréter ces signes et les nommer à l’enfant : que signifient ils ? De quoi l’enfant a-t-il besoin ?      
- Pouvoir supporter ces signes, ces appels et sollicitations, ces réactions et manifestations
- Savoir apporter des réponses suffisamment ajustées aux besoins de l’enfant
        
Quel travail ! Quelle disponibilité psychique et physique à déployer ! Quelle attention et capacité d’observation, quelles connaissances et expériences pour ce décodage et l’ajustement des réponses !
Quelle acceptation de soi, de ses fatigues, de ses propres besoins, de ses émotions, inquiétudes, stress, limites pour ces aventures inédites ! Quelle confiance en soi est nécessaire pour traverser ces tâtonnements, ces doutes, et parfois ces sentiments d’impuissance !
Quel « mélange ou emmêlage » entre passé et présent, entre ses mémoires et ses choix d’aujourd’hui, entre ses grilles de lecture et d’interprétation, ses valeurs et principes éducatifs, ses projections, ses attentes, ses choix, ses souhaits pour son enfant, aujourd’hui et demain.
Et quels enrichissements possibles grâce à des connaissances et éclairages, apportés au parent, par d’autres qui partagent une attention à son enfant, qui l’aident à mieux comprendre son enfant, à choisir et ajuster ses modes de réponses.
Mais aussi quelle reconnaissance nécessaire de ses transmissions non conscientes, parce que ce qui se joue entre l’enfant et son parent est beaucoup plus profond que le visible, que ce qui est fait « en surface ». Parce que l’enfant perçoit en premier lieu, résonne et fait résonner à un niveau beaucoup plus profond.

Accompagner la parentalité  demande écoute, étayages et  boussoles !
Que peuvent faire les professionnels qui rencontrent et accompagnent les parents ?  Leurs modes d’intervention diffèrent évidemment selon leurs formations, compétences, fonctions et besoins du public.

Permettre au parent d’exprimer ses ressentis, doutes, questions :  
L’écouter et l’entendre réellement, selon ce qu’il a envie ou besoin de dire. L’accueillir et  respecter ce qu’il dit, ressent, pense, souhaite, espère, s’inquiète… L’accepter tel qu’il est de façon inconditionnelle sans juger ni disqualifier.

Partager nos connaissances, les mettre à leur disposition :
Des connaissances théoriques actualisées, expériences cliniques, concernant les besoins des enfants, les hypothèses de décodages des signes, les réponses s et façons de faire possibles.

Partager notre attention et préoccupation bien-traitante envers leur enfant :
Observer ensemble, prêter nos lunettes de professionnels, notre regard sur ce que nous percevons de leur enfant.

Permettre aux parents de se rendre compte de leur importance auprès de leur enfant :
Soutenir ce lien parent-enfant et permettre aux parents de développer et  de se rendre compte de leurs compétences.

• Créer et proposer suffisamment des temps/espaces favorables aux interactions parents/enfants

• Etre au clair avec nos propres motivations, nos pourquoi, nos pour quoi !
Savoir sortir de nos positions hautes, de celui qui voudrait « diriger », ce que devrait faire le parent.  Accepter que le parent reçoive nos paroles selon ce qu’il peut/veut  la où il en est.

• Etre conscient des limites des conseils et des risques de leurs effets pouvant parfois être contraires à nos intentions.  
Lorsqu’un conseil de faire de telle ou telle façon est donné à un parent, que peut-il se passer ? Si le parent suit le conseil et que cela fonctionne ?  Tant mieux, mais attention à ce que le parent continue à chercher aussi par lui-même ! S’il suit et que cela ne fonctionne pas ? Il risque soit de discréditer le professionnel, soit de se sentir lui-même vraiment « pas à la hauteur » ou de rejeter la responsabilité sur son enfant ! SI le parent ne suit pas le conseil, qu’osera-t-il dire ensuite ?
    
Alors accompagner un parent, c’est prendre soin de lui, de son enfant, de leur relation parent-enfant. C’est un sacré chemin, une sacrée responsabilité. C’est lui permettre de se construire suffisamment compétent et, tout au long de sa vie, de se faire confiance et faire confiance à son enfant, à ses/leurs ressources… pour ce si difficile double enjeu du parent : à la fois apporter protection et sécurité à son enfant et le laisser explorer, grandir, s’éloigner.  Dans l’idéal, on aimerait tous que chaque parent ait à la fois suffisamment de temps pour lui, de relais de qualité, de disponibilité et d’espaces pour des plaisirs partagés avec son enfant et avec d’autres et que la société reconnaisse mieux les besoins des enfants et permettent aux parents de mieux répondre aux besoins de leur enfant !


* R. Spitz, M. Ainsworth, M. Main, D. Winnicott, F. Dolto, J. Lévy et D. Rapoport, S. Fraiberg , D. Anzieu, E. Bick, M. Titran,  F. Veldman,  B. Golse, B. Cyrulnik,   S. Giampino et tant d’autres...  

 
Article rédigé par : Monique Busquet
Publié le 19 février 2024
Mis à jour le 16 juin 2024