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Petite enfance : les grandes orientations du Plan contre la pauvreté

Le 13 septembre 2018, le Président de la République Emmanuel Macron, avec la ministre des Solidarités et de la Santé Agnès Buzyn et le délégué interministériel Olivier Noblecourt, a présenté la Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté. Annoncée en octobre 2017, elle est le fruit de plusieurs mois de travaux : des journées territoriales de concertation, une consultation en ligne et six groupes de travail thématiques. Intitulée « Investir dans les solidarités pour l’émancipation de tous », elle se veut ambitieuse et participative. Le point sur les mesures adoptées pour la petite enfance.

Aujourd’hui 8,8 millions de personnes sont touchées par la pauvreté dont près de 3 millions d’enfants. L’idée de cette nouvelle stratégie est de refonder en profondeur le modèle social de la France, qui comme l’a souligné Emmanuel Macron, peut contenir la pauvreté mais ne permet pas suffisamment de la prévenir et de l’éradiquer. C’est pourquoi le gouvernement a d’abord axé ses travaux sur les enfants et les jeunes, avant de l’élargir à l’ensemble de la société.

La stratégie se décline ainsi en 5 engagements : L’égalité des chances dès les premiers pas pour rompre la reproduction de la pauvreté ; Garantir au quotidien les droits fondamentaux des enfants ; Un parcours de formation garanti pour tous les jeunes ; Vers des droits sociaux plus accessibles, plus équitables et plus incitatifs à l’activité ; Investir pour l’accompagnement de tous vers l’emploi. Le budget total pour la mise en œuvre de la stratégie n’est pas anodin : 8,5 milliards d’euros dont 1,24 alloués au premier engagement. Voici les mesures qui concernent la petite enfance.

« La bataille qu’il nous faut conduire aujourd’hui c’est celle d’une réforme en profondeur des modes de garde, les gardes d’enfants de 0 à 3 ans sont ce moment, ce lieu essentiel de l’apprentissage de la vie, de cet éveil cognitif, de ce qui permettra à l’enfant d’avoir plus de chances, à l’adolescent de mieux s’orienter et à l’adulte de s’en sortir (…). » Emmanuel Macron (Discours de lancement de la Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté)

Développer les modes d’accueil

« Nous allons aider les communes les plus pauvres à construire ces crèches, en limitant ce qu’elles doivent payer à 10% du coût de construction de ces structures pour que les habitants de ces communes aient autant de possibilités que les autres de faire garder leurs enfants ».

30 000 nouvelles places en crèches
Comme prévu dans la Convention d’Objectifs et de Gestion (COG) 2018-2022 signée par l’Etat et la Cnaf le 19 juillet dernier, le gouvernement se donne pour objectif de créer 30 000 nouvelles places en crèches en 5 ans. Soit un objectif beaucoup moins ambitieux que le précédent qui en prévoyait 100 000. « Nous préférons des objectifs raisonnables en essayant de les dépasser plutôt que des objectifs trop ambitieux que nous n’atteindrons pas » avait expliqué Olivier Noblecourt lors de la signature de la COG. Ces places seront créées en priorité dans les territoires sous-dotés.

1 000 nouveaux RAM
Du côté de l’accueil individuel, conformément à la COG, il est prévu de créer 1 000 nouveaux relais assistants maternels (RAM). Elle annonçait par ailleurs poursuivre le maillage territorial des RAM et prévoir une animatrice de relais pour 70 assistants maternels.

Améliorer l’accessibilité des modes d’accueil

« Les lieux de garde doivent devenir accessibles, ces endroits accessibles à tous, quel que soit son revenu ou son adresse, où le langage, le développement, la confiance en soi, l’empathie se construisent, avec des effets durables sur toute la vie. »

3 bonus : mixité sociale, handicap, territoires
La Stratégie reprend ce que la COG prévoit : la création de trois bonus cumulables pour les lieux d’accueil collectif. Le bonus de « handicap » de 1 300€ par place et par an pour pallier les surcoûts liés à l’accueil d’enfants en situation de handicap. Le bonus « mixité sociale » pour 90 000 places, qui pourra aller jusqu’à 2 100€ par place et par an, pour favoriser l’accès des enfants issus de familles modestes aux lieux d’accueil collectif. Et un  bonus « territoires », pour  aider les communes « pauvres » à créer  des places  dans les quartiers prioritaires de la politique de la  ville ( QPV). Ces  trois bonus sont des bonus de fonctionnement.
Reste à savoir la façon dont ces bonus seront attribués. D’ores et déjà il est acquis que « le bonus mixité ne concernera que les crèches qui accueillent plus de 20% d’enfants dits « pauvres » » précise Nathalie Casso-Vicarini, co-présidente avec Frédéric Leturque, maire d’Arras et conseiller régional des Hauts-de-France, de la Commission petite enfance à la Délégation Interministérielle à la Prévention et la Lutte contre la Pauvreté des Enfants auprès d’Olivier Noblecourt, et déléguée générale de l’association Ensemble pour l’Éducation de la Petite Enfance. En revanche, ce qui est sûr, c’est que tous ces bonus seront progressifs. (Voir notre article dédié aux 3 bonus)

Des critères d’attribution des places de crèches plus visibles
Le gouvernement a mis l’accent sur la nécessité de renforcer la transparence des modalités d’attribution des places de crèches. Ainsi Agnès Buzyn et Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, ont confié en juin dernier une mission interministérielle à Elisabeth Laithier, maire adjointe chargée de la petite enfance à la ville de Nancy et co-présidente du groupe de travail sur la petite enfance à l’AMF. Elle devait mener et porter une réflexion sur le sujet à partir de l’expertise des communes avec pour objectif d’édifier un référentiel national. Elisabeth Laithier rendra ses propositions aux ministres courant octobre.

Un tiers-payant pour les parents-employeurs des assistantes maternelles
« Les aides de garde d’enfants, seront à partir de 2019, versées immédiatement, sans avance de frais, parce que penser qu’on aide en demandant de commencer à dépenser, c’est mettre une barrière supplémentaire qui est souvent infranchissable pour celles et ceux qui vivent dans ces situations. »
Ainsi à partir du premier trimestre 2019, un parent-employeur et son assistante maternelle pourront opter pour le tiers-payant du Complément mode de garde (Cmg). Référence aussi à l’acompte égal à 60% du crédit d’impôts dont ils pourraient bénéficier.

Mieux accompagner les familles

« Et il faut, dès le quatrième mois, expliquer aux mères, aux futures mères, à celles et ceux qui partagent leur vie, ce que sera avoir un enfant, expliquer les règles fondamentales d’une bonne alimentation, dont nous savons aujourd’hui, là aussi, parfaitement, que si elle n’est pas bien assurée dans les premiers mois, les chances d’un développement normal, et donc d’une réussite ensuite scolaire, éducative et tout au long de la vie, ne sont pas les mêmes. »

Un parcours de parentalité
Un parcours de parentalité va donc être mis en place en commençant par un rendez-vous dès le quatrième mois de grossesse. Mais se poursuivra tout au long de la vie du jeune enfant afin d’offrir un accompagnement aux parents dans lequel ils ne se sentent pas jugés et soient confortés dans leur rôle de parents. Leur redonner confiance pour qu’ils puissent confier sereinement leurs enfants aux professionnels des lieux d’accueil.

De nouveaux centres sociaux et Laep
La stratégie prévoit aussi d’ouvrir 300 centres sociaux, 500 Lieux d’accueil parents enfants (Laep) dans les territoires prioritaires et de renforcer les services de Protection Maternelle Infantile (PMI). « Les PMI seront au cœur de la mise en place de cette réforme, et seront profondément transformées afin de mieux répondre aux problèmes rencontrés par les familles monoparentales, notamment en développant les aides aux démarches, les offres de répit parental qui permettent aux parents de récupérer, et au final, de mieux gérer la vie quotidienne avec des enfants. »

Un parcours santé-accueil-éducation des 0-6 ans
Par ailleurs le gouvernement vient de lancer, dans la lignée du Plan contre la pauvreté, du Plan priorité prévention et de la Stratégie nationale de soutien à la parentalité, la concertation sur un Parcours santé-accueil-éducation de 0 à 6 ans. Il vise à renforcer la coordination entre tous les acteurs des champs sanitaire, éducatif et social afin de mieux prendre en charge la santé des enfants le plus tôt possible. Car la santé l’ont-ils rappelé est l’un des premiers facteurs de réussite dans la vie, voire le premier levier pour lutter contre les inégalités.

300 crèches AVIP
Enfin, nouvelle mesure annoncée dans le Plan, la création de 300 crèches à vocation d’insertion professionnelle (AVIP) d’ici 2022. Aujourd’hui, on n’en compte qu’une quarantaine. Initiés par la sociologue Mara Maudet et l’Institut d’Education des Pratiques Citoyennes (IEPC), ces dispositifs ont pour principe d’être ouverts aux parents en recherche d’emploi, et notamment aux mères isolées. En pratiquant notamment des horaires décalés et souples, des tarifs spécifiques, un suivi des parents en lien avec les services publics de l’emploi…

Renforcer la qualité éducative de l’accueil

« La qualité des modes de garde doit être massivement améliorée et la mise en oeuvre sur le terrain de cette réforme d’ampleur devra être évaluée tout au long. »

Un nouveau plan de formation continue et un référentiel pédagogique commun à tous les professionnels de la petite enfance
La Stratégie a pour vocation de renforcer la qualité éducative de l’accueil en crèche et chez les assistantes maternelles. L’objectif étant d’assurer un continuum éducatif centré sur l’apprentissage de la langue française de 0 à 6 ans. Elle prévoit ainsi l’élaboration d’un référentiel pédagogique de la petite enfance par le Haut Conseil de la Famille, de l’Enfance et de l’Age (HCFEA). Qui sera déployé dans un grand plan de formation continue pour les 600 000 professionnels du secteur. Un plan qui doit être articulé avec les formations des enseignants du 1er degré. Ce référentiel pédagogique était l’une des grandes recommandations du Rapport Giampino.

Un fonds d’investissement social de 100 millions d’euros dont 20 millions pour la petite enfance
Pour mesurer scientifiquement l’impact de la lutte contre la pauvreté, le gouvernement a chargé un conseil scientifique de déterminer les indicateurs de résultat de la stratégie et veiller à leur mise en œuvre. Ainsi un fonds d’investissement social de 100 millions d’euros, créé dans le cadre du Grand plan d’investissement, financera des appels à projet sur quatre thématiques. « Environ 20 millions d’euros seront alloués à la première, c’est-à-dire celle qui qui concerne le développement complet de l’enfant dès la petite enfance jusqu’à 6 ans », précise Nathalie Casso-Vicarini.
Pour rappel, ce projet faisait partie des préconisations du Rapport Terra Nova « Investissons dans la petite enfance. L’égalité des chances se joue avant la maternelle » : « Il faut promouvoir les projets, c’est pourquoi nous suggérons la création d’un fonds national pour la qualité de l’accueil en crèche qui soit financé par la Caf » expliquait en mai 2017 Florent De Bodman, chargé à l’Agence Nouvelle des Solidarités Actives (ANSA) du suivi du programme Parler Bambin.

Instruction obligatoire dès 3 ans et davantage d’Atsem
Cette ambition éducative s’inscrit dans la dynamique de renforcement des moyens pour les enfants les plus fragiles portés par l’Education Nationale – tels que l’instruction obligatoire dès 3 ans, annoncée par le président Emmanuel Macron en mars dernier. La stratégie prévoit également de soutenir les collectivités dans 60 quartiers prioritaires en instaurant la présence de deux adultes dans chaque classe de maternelle : un enseignant et un Agent territorial spécialisé des écoles maternelles (Atsem).

Une mise en oeuvre évaluée

La mise en œuvre de la Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté doit débuter le 10 octobre par la mise en place d’une contractualisation avec dix territoires démonstrateurs : le Bassin Minier, la Meurthe-et-Moselle, le Bas-Rhin, la Seine-Saint-Denis, l’Indre-et-Loire, Nantes métropole, Lyon Métropole, le Gard, Toulouse Métropole et la Réunion. Puis dès 2019, une contractualisation avec tous les départements, des mesures règlementaires, une concertation autour d’un Projet de loi pauvreté et sa rédaction. L’objectif est de faire voter une loi courant 2020. Par ailleurs un comité de suivi et d’évaluation de la stratégie assurera un suivi au long cours de l’impact des mesures sur le modèle social de la France.

Des propositions saluées mais encore des inquiétudes

La présentation de la Stratégie a reçu des réactions plutôt positives. Le think tank Terra Nova se réjouit que « des propositions portées dans le débat public avec l’ensemble des acteurs du monde de la petite enfance, pour favoriser plus de transparence dans l’attribution des places en crèches, concentrer les nouvelles places dans les territoires les moins favorisés, améliorer la qualité pédagogique de l’accueil et de l’accompagnement des enfants et développer fortement le soutien aux parents en activité, soient aujourd’hui au coeur de ce Plan.” Les Apprentis d’Auteuil « juge satisfaisantes les mesures concernant la petite enfance, qui vont permettre aux parents, sur l’ensemble du territoire, et en particulier dans les communes défavorisées, d’accéder à des modes de garde et retrouver le chemin de l’insertion. »
Mais chacun se questionne sur les moyens donnés. La Fédération Française des Entreprises de Crèches (FFEC) « s’inquiète des applications pratiques des ambitions présidentielles : la lutte contre la pauvreté concerne tout le territoire. » D’autre part le Réseau Français des Villes Educatrices (RFVE) se demande « comment l’Etat entend-il mobiliser les acteurs locaux quand il les prive chaque année de moyens financiers supplémentaires et désormais d’une part importante de leur autonomie budgétaire ? ».

Aujourd’hui tout le monde est dans l’expectative. Tout se jouera lors des derniers arbitrages et des quelques réunions de concertation avant l’envoi des circulaires – notamment de la Cnaf – aux territoires.

Céline Quelen, présidente fondatrice de Stop VEO, Enfance sans violences : « Il y a un besoin d’éduquer la société sur les violences faites aux enfants »

Pour jouer, n’achetez plus, fabriquez !

Armelle Bérard Bergery

PUBLIÉ LE 19 septembre 2018

MIS À JOUR LE 14 juin 2021

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