Aider les bébés à connaître leur corps

La connaissance de son corps se construit très progressivement, et se remanie tout au long de sa vie. Mais elle  commence dès le plus jeune âge. La proprioception est un élément essentiel pour une bonne connaissance de soi et capacité d’adaptation à l’environnement, donc importants à soutenir, nourrir et développer par les professionnels qui accueillent de jeunes enfants. Les explications – savantes - de Monique Busquet, psychomotricienne, formatrice petite enfance.


 
La proprioception, qu’est- ce que c’est ?
 Les 5 sensibilités externes, le toucher, le goût et l’odorat, l’audition, la vision sont bien connus. Leurs récepteurs (peau et muqueuses, oreilles, yeux, bouche, nez) nous donnent des informations sur notre environnement. Nous disposons également d’autres modes d’informations sensorielles « kinesthésiques », en  provenance de notre corps et liées à nos mouvements et nos postures. Il s’agit de la sensibilité labyrinthique et de la proprioception. Les récepteurs de la sensibilité labyrinthique (ou vestibulaire) sont situés dans l’oreille interne et nous donnent des informations sur la position de notre tête par rapport à la verticale. Les récepteurs de la proprioception sont situés dans nos muscles, tendons, articulations et nous informent en permanence de la position des différentes parties de notre corps. Pas besoin de se voir, pour savoir dans quelle position nous sommes.
Ces deux sensibilités peu souvent évoquées sont pourtant fondamentales à tout âge, dans notre vie quotidienne et dans le développement de l’enfant. Elles permettent de sentir son corps, immobile ou en mouvement, de se déplacer, se tenir assis, debout, coordonner ses mouvements et ses gestes, rester en équilibre…

Perceptions, mémorisation et plasticité cérébrale
Chaque sens, quel qu’il soit, a des récepteurs spécifiques, qui captent des « informations ». Celles-ci sont transmises par des fibre nerveuses à des zones de notre cerveau qui les analysent, les comparent avec ce qu’elles connaissent déjà. Les sensations se transforment ainsi en perception dans le cerveau, après ce « filtrage et traitement ». Le cerveau ne perçoit pas tout ce que les récepteurs sentent.
Dès les années 80, de très nombreuses recherches avaient montré, l’importance de la sensorialité,  la capacité de mémoire et la grande curiosité des bébés. L’ensemble des fonctions sensorielles, externes et kinesthésiques se développent progressivement dès la vie intra-utérine. Le bébé engrange tout ce qu’il perçoit, permettant de stabiliser les connexions neuronales, en lien avec la maturation de son cerveau.  Il reconnait les rythmes de marche et bercement, les odeurs, les voix, les musiques entendues, ce qui le sécurise et l’apaise. Il est également curieux de ce qu’il ne connait pas encore et a besoin de pouvoir faire des allers et retours entre le connu et le nouveau.
Ainsi tout ce que nous donnons à vivre aux enfants laisse des traces, même non conscientes et crée comme un « répertoire » de connaissances », utiles à son développement.

Un éveil sensoriel et une mise en mouvement
Les professionnels savent proposer aux enfants des environnements « riches et variés », propices à leur « éveil », des matières à toucher, des sons à entendre, des odeurs ou des goûts à découvrir.  Les enfants ont besoin de cette mise à disposition, mais sans attente de résultat de la part des adultes. Ils ont besoin d’être libres de toucher, sentir, explorer à leurs façons, de s’approcher ou s‘éloigner. Ils ont également besoin que nous veillions aux intensités et cohérences de ces « enveloppes sensorielles » : du suffisamment doux et apaisant.

Les sensibilités liées au mouvement ont également besoin d’être « nourries », pour que le bébé puisse se constituer un « répertoire » de sensations corporelles. Ainsi être porté et « mobilisé » par l’adulte permet à l’enfant de se « remplir » de sensations de mouvement. Bien sûr, cet « apport de sensations proprioceptives » par l’adulte doit se faire de façon respectueuse, à la fois attentive, ajustée à ce que l’enfant exprime et manifeste, et favorable aux propres mouvements de celui-ci.
Lorsqu’ il est porté, le bébé ressent à la fois les mouvements de l’adulte (marche, soutien, bercement) et les siens. En effet, le bébé porté est aussi actif, il se blottit ou se redresse, il tourne la tête, il s’ajuste par son tonus, par des mouvements malgré son immaturité, un mouvement de la tête, du bras, de la main, du dos... Progressivement, au rythme de sa maturation, le bébé ainsi accompagné, pourra être de plus en plus acteur de ses mouvements, d’explorations sensorimotrices libres et variées. Celles-ci lui permettront de faire les liens entre l’ensemble de ses sensations, entre ce qu’il voit, ce qu’il touche ou ressent sur sa peau et ce qu’il perçoit de la position de son corps.
Il porte ainsi son attention à l’ensemble de ses sensations, ce qui lui donne le socle nécessaire pour effectuer mouvements et gestes fluides, harmonieux, prudents et adaptés, pour de bonnes coordinations motrices.

Apprendre son corps de l’intérieur
Toutes les sensations corporelles que l’enfant vit et mémorise lui permettent de se connaitre et de construire une conscience de son corps, de plus en plus fine et riche. Ainsi la proprioception permet à l’enfant d’apprendre son corps de l’intérieur et en profondeur. Grâce à elle, il peut avoir des perceptions justes de ses postures, de ses déséquilibres, il peut faire les ajustements nécessaires aux obstacles de l’environnement. Le toucher et les sensations sur sa peau participent également à une connaissance fondamentale des limites de son corps.
En parallèle, l’enfant apprend à reconnaitre le nom des parties de son corps, puis à les nommer lui-même et les reconnaitre sur autrui. Il s’agit alors d’une connaissance plus « mentale ».
Il est bien sûr difficile de savoir précisément quelle conscience de son corps l’enfant a réellement.
On sait qu’il reconnait son image dans le miroir vers 18 mois. C’est à cet âge qu’il touche son nez lorsqu’il voit une tâche dessus dans le miroir. On sait qu’il peut dessiner un bonhomme têtard après ses 3 ans, alors même qu’il connait et peut déjà nommer de nombreuses parties de son corps.
On sait aussi que la façon dont l’enfant plus grand dessine un bonhomme est un indicateur d’une certaine représentation de son corps, d’un vécu psychoaffectif et émotionnel. Par exemple l’enfant peut dessiner de très grandes oreilles, ou oublier la bouche, ou encore se dessiner tout petit dans un coin de la page.  L’image et l’investissement qu’il a de lui-même (notion d’image du corps) est différente de la seule connaissance qu’il en a (notion de schéma corporel).






 
Article rédigé par : Monique Busquet
Publié le 18 janvier 2023
Mis à jour le 28 janvier 2023