Pikler Loczy

La continence, une acquisition qui demande temps et maturité

Le mot « continence » est utilisé plutôt que le mot « propreté », qui sous-entendrait qu’avant cette acquisition les enfants seraient « sales ». La continence ne s’enseigne pas à l’enfant, il va en faire l’acquisition par lui-même, comme la marche. Ce n’est pas en faisant marcher l’enfant qu’il marchera, ni en le mettant sur le pot qu’il sera continent. Nous pouvons faire confiance à l’enfant, dans son rythme de développement. Ne pas accélérer cette acquisition permet d’éviter que des angoisses soient associées à la continence. Ce qui ne signifie pas s’en désintéresser. Au contraire ! Ces choix s’inscrivent dans la pédagogie piklérienne. Explications de Miriam Rasse, psychologue.
L’acquisition de la continence : un long processus
A la naissance, la construction du cerveau du bébé n’est pas encore achevée. L’être humain est génétiquement « programmé » pour être continent, cependant, à la naissance, les connexions entre les neurones nécessaires ne se sont pas encore faites, et sont amenées à se développer. L’acquisition de la continence nécessite une maturation du système nerveux qui touche différents domaines.

Une maturité motrice pour agir volontairement sur ses sphincters
Les sphincters sont des muscles internes qui contrôlent l’évacuation des urines et des selles. Ces muscles fonctionnent d’abord de manière « automatique » (réflexe), puis l’enfant va prendre conscience de leur existence et essayer d’en maîtriser volontairement le fonctionnement. Comme pour la marche – entre le moment où l’enfant fait ses premiers pas et celui où il court – il faut du temps à l’enfant pour exercer cette nouvelle capacité et la maîtriser. A titre indicatif, on pense que l’enfant découvre cette capacité d’agir sur ses sphincters lorsqu’il a la capacité de monter un escalier debout (c’est-à-dire aux alentours de 18 mois).

Une maturité affective et psychologique pour pouvoir accepter de perdre une partie de lui tout en préservant son intégrité
Dans le développement de l’enfant, le moment de cette acquisition correspond à la période où il prend conscience de lui-même, ce qui se manifeste par des comportements d’opposition (il dit « non » pour dire qu’il existe et qu’il tient à maîtriser, contrôler ce qui le concerne) : c’est une « période d’affirmation de soi ». L’enfant se sent vraiment être lui-même, a conscience de son identité lorsqu’il se nomme à la première personne (« je »), entre 2 ans 1/2 et 3 ans 1/2.
De plus, pendant cette période, il va construire son unité corporelle, en rassemblant les différentes parties du puzzle de son schéma corporel (le petit enfant découvre progressivement les différentes parties de son corps : ses mains, ses pieds, ses membres, son visage, son dos…). On pense que l’enfant a construit cette unité corporelle quand il sait, de lui-même, dessiner un rond fermé, c’est aussi aux alentours de 3 ans.
Perdre une partie de lui-même (urine, selle) alors qu’il n’est pas encore sûr de l’unité de son corps et de sa personne est très inquiétant pour lui. On peut mesurer l’intensité de cette inquiétude lorsqu’il arrive à l’enfant de faire une selle dans le bain : il réagit par une peur panique qui peut l’amener à refuser de prendre un bain pendant plusieurs jours ; peur de perdre une partie de lui-même et celle de perdre le contrôle de son corps : quelque chose présent à l’intérieur de son corps sort sans pouvoir être maîtrisé. Ou lors de la première production d’une selle dans le pot qui a été décrite comme « le choc du premier caca ». Des études faites à l’institut Pikler ont montré qu’un temps de plusieurs jours à plusieurs semaines pouvait être observé entre la production de la première selle dans le pot et les suivantes... le temps de se remettre de ce « choc ».
Progressivement, l’enfant va devoir accepter de se séparer d’une partie de lui-même, accepter que quelque chose lui échappe, tout en gardant le contrôle de son corps, en maîtrisant le fonctionnement de ses sphincters. Ce qu’il pourra faire sans inquiétude, quand il s’y sentira prêt !

Une maturité intellectuelle et sociale
Exerçant un contrôle sur ses sphincters, l’enfant va avoir à se conformer à des habitudes sociales, culturelles : ces besoins se font dans un lieu spécifique (dans les toilettes, sur un pot ou des WC). Cela lui demande tout un travail de coordination (intellectuelle) : identifier son besoin, se retenir pour aller le faire dans le lieu dédié. On peut constater ce travail d’anticipation quand les enfants vont aux toilettes en marchant avec leur pantalon déjà baissé !
C’est pourquoi, dès la présentation du pot, il serait intéressant de lui attribuer une place fixe dans les toilettes ou dans la salle de bain : l’enfant comprendra que ce n’est pas un objet qu’il peut transporter dans toutes les pièces de la maison, ni utiliser comme un jouet…
Le petit enfant n’éprouve pas de dégoût envers ses selles : c’est même pour lui un bien précieux qui vient de lui : l’enfant peut jouer avec ses selles comme avec de la pâte à modeler, ne pas avoir envie de vider le pot dans les toilettes… Il va aussi avoir à apprendre comment se comporter avec ses productions.
Pour satisfaire son intérêt, tout en intégrant les règles culturelles, on peut lui donner le temps de regarder ce qu’il y a dans sa couche et de le nommer ; et lui proposer de jeter lui-même sa couche ou vider son pot dans les toilettes...


Comment accompagner l’enfant dans ce processus
Même si le jeune enfant a la capacité de réaliser par lui-même cette acquisition au fur et à mesure de sa maturation, l’intérêt des adultes de son entourage et la reconnaissance de ses progrès à chacune des étapes qui jalonnent ce développement, lui seront d’un précieux soutien. Dans la construction de l’autonomie, faire par soi-même ne signifie pas « être tout seul » !
Le repérage de ces différentes étapes sera aussi un soutien pour les adultes qui, constatant les avancées de l’enfant dans ce processus, pourront être rassurés de la mise en route de cette acquisition et être moins impatients !

Mettre en mots ce que l’enfant fait ou ressent
L’enfant commence par se rendre compte que quelque chose, en lui, passe du dedans au dehors : on peut voir des enfants avec un regard « tourné vers l’intérieur », être à l’écoute de ce qui se passe dans leur corps. Un mot de l’adulte peut l’aider à nommer ce qui se passe en lui : « tu es est train de faire pipi, caca dans ta couche » et lui donne des mots pour identifier puis signaler ce qui se passe en lui (les enfants vont ensuite informer l’adulte de ce qu’il a fait dans sa couche).

L' enfant va ensuite avoir de l’intérêt pour ce qu’il y a dans sa couche, pour ce qui se passe dans les toilettes. On peut alors lui proposer un pot, en lui indiquant qu’il pourra bientôt l’utiliser. Sans que cet objet devienne un jouet, l’enfant aura envie d’expérimenter ce nouveau matériel (s’asseoir dessus… même avec sa couche, y mettre dessus une poupée ou son doudou) : il découvre l’objet mais ne sait pas encore comment quelque chose peut arriver dedans !

L’adulte propose mais n’impose pas
C’est lorsque sa couche reste sèche pendant quelques heures (capacité de se retenir), qu’il est possible de lui proposer d’aller sur le pot. Ce doit être une proposition et pas une obligation ! De plus, il n’est pas nécessaire de demander à l’enfant de rester longtemps sur le pot. Lui donner un livre ou un jeu pendant qu’il est sur le pot ne l’aide pas à être à l’écoute des besoins de son corps : l’enfant doit apprendre à identifier ses besoins (j’ai envie de faire pipi, caca) et à faire fonctionner ses sphincters pour satisfaire ce besoin (se retenir = fermer ses sphincters ; puis les ouvrir pour faire sur le pot. C’est un travail de coordination complexe et, parfois, les enfants font dans leur couche juste après avoir été sur le pot… ce qui agace parfois les adultes qui trouvent que l’enfant le « fait exprès ». En fait, c’est juste le temps nécessaire à l’enfant pour mettre en route ce fonctionnement de ses sphincters qui n’est pas encore bien maîtrisé).
Lors de cette étape, les enfants mettent souvent en scène leurs intérêts et questionnements relatifs à cette acquisition, dans des jeux symboliques : ils peuvent jouer à changer les couches d’une poupée, d’une peluche, d’une figurine, ou à les mettre sur le pot… Cette étape se situe souvent après 2 ans, et même plutôt entre 2 ans 1/2 et 3 ans 1/2.

Ritualiser les moments de change
Il est important de ritualiser le moment du change. Plus les moments de soin sont ritualisés, plus l’acceptation des règles peut se faire, notamment dans cette « période d’affirmation » pendant laquelle le temps de change peut devenir conflictuel avec l’enfant.
Proposer à l’enfant de jeter lui-même sa couche dans la poubelle ou de se laver lui-même, permet de le rendre acteur dans le soin, de ne pas se sentir « dépossédé » d’une partie de lui et du contrôle sur son corps.
Ce n’est pas en enlevant ses couches à l’enfant qu’il va apprendre à devenir « propre » ! Comme ce n’est pas en mettant des chaussures à l’enfant qu’il va apprendre à marcher. C’est un processus interne sur lequel on peut peu agir… si ce n’est en exerçant « une pression » (pas toujours consciente ni explicite) sur lui. L’enfant percevant les attentes de son entourage peut essayer de les satisfaire pour préserver la qualité des relations avec ses proches. Mais, l’accélération de cette acquisition lui demande beaucoup d’énergie, ce qui peut avoir des retentissements sur son humeur, sur la qualité de ses activités ou de son sommeil.

Continence : accidents et régressions
L’enfant est décrit comme « continent » quand il est capable d’identifier son besoin, de se retenir, d’aller de lui-même aux toilettes.
L’enfant doit pouvoir décider s’il veut ou pas mettre une couche. Garder une couche peut le sécuriser (et, l’inciter à l’enlever, peut l’insécuriser), et le tranquilliser s’il ne se sent pas obligé de monopoliser toute son attention pour se retenir : un enfant qui ne porte pas de couches à la maison, peut exprimer le besoin d’en mettre une quand il sort, ou quand il est à la crèche où il est très sollicité par les activités à sa disposition et les rencontres avec d’autres enfants…
Certains enfants ne sont pas du tout gênés par une selle dans leur couche et semblent même avoir du plaisir à la garder, probablement pour ne pas avoir à se séparer d’une partie d’eux-mêmes. Certains enfants, aussi, préfèrent remettre une couche pour faire une selle (ce qui montre qu’ils identifient tout à fait bien leur besoin) alors qu’ils savent utiliser le pot pour uriner.

Lorsque l’enfant est continent pendant la journée, s’il a pu faire cette acquisition à son rythme, il y a en général, peu d’« accidents ». Lorsqu’il y en a trop, c’est probablement que l’enfant n’y était pas encore tout à fait prêt.
Comme pour toute acquisition, il peut y avoir des « retours en arrière » (comme un enfant qui marche peut à nouveau se déplacer à 4 pattes), soit parce que cette acquisition est encore nouvelle et pas tout à fait installée, soit parce que l’enfant est émotionnellement fragilisé par un événement survenu dans sa vie (séparation, naissance d’un bébé dans la famille, déménagement…). Ces régressions sont souvent passagères et sont à accepter comme un phénomène normal de ce processus (peut-être que, temporairement, un enfant aura besoin de remettre des couches alors qu’il n’en avait plus) : ce qui est important, c’est que l’enfant se sente en sécurité dans son corps et dans ses relations avec son entourage. Parents et professionnels peuvent échanger sur ces sujets, dans une alliance commune pour chercher, ensemble, ce qui peut être le plus favorable pour cet enfant-là, à ce moment-là. L’enfant sera sensible à ce souci partagé et à cette confiance mutuelle entre ses parents et les professionnels, même si ses expériences peuvent ne pas être les mêmes chez lui et à la crèche (quant au port des couches, par exemple).

Un enfant qui est continent de façon assurée et tranquille, dans la journée, le deviendra rapidement aussi au moment de la sieste et la nuit.

 
Article rédigé par : Miriam Rasse avec Marjolaine Allard
Publié le 11 mai 2021
Mis à jour le 21 avril 2022
Bonjour et merci pour cet article très intéressant. Je suis éducatrice et travaille en crèche. Avec quelques collègues nous nous interrogeons sur la question de la sensation sec/mouillé biaisée par l’absorption trop importante des couches et la continence. Nous avons testé plusieurs couches où nous en avons versé de l’eau. En quelques secondes la couche avait une sensation sèche. Nous avons inséré des milettes dans la couche des enfants en accord avec les parents et avons observé à notre grande surprise que ces enfants commençaient à faire pipi sur le pot. Avant ils s’asseyaient juste par imitation, attendant passivement que quelque chose sorte d’eux. C’est à dire qu’en l’espace de 10 jours environ ils faisaient pipi sur le pot, le réclamaient et surtout s’amusaient à faire pipi en plusieurs temps. Comment la maturité et la prise de conscience peuvent-elles émerger si ils n’ont pas accès à leurs sensations ? Les pays non industrialisés nous font faire le constat que cette maturité n’est que retardée par les conditions dans lesquelles nous les mettons. Car les enfants entre 15 et 24 mois sont continents dans les pays où ils ne portent pas de couches. A mon grand étonnement il y a beaucoup d’articles sur ce sujet, mais qui ne traite pas de l’impact ce que l’enfant vit dans son corps en fonction de ce qu’il vit dans sa couche, comme si il n’y avait aucun lien.