Les petits "surdoués": les repérer pour mieux les accompagner

Dans les médias, la problématique de la surdouance est exclusivement abordée chez les adultes et les enfants d’âge scolaire. Et pourtant, qui est surdoué à 10 ans l’est forcément… dès la naissance. Quels sont les signes qui peuvent vous mettre la puce à l’oreille ? Comment accompagner ces mini HP (Haut Potentiel) ? Pourquoi est-ce intéressant de les repérer dès la petite enfance ? Le point de vue de la psychologue Héloïse Junier.
Depuis ses premières semaines de vie, Maxime a présenté des petites particularités de développement. Tout a commencé quand il était nourrisson. Son regard était intense. Il pouvait scruter son environnement, les sourcils froncés, pendant de longues minutes ce qui, à l’époque, avait déjà interpellé ses parents. A deux ans, Maxime se met souvent dans une position d’observateur : il a, plus que tout autre enfant, besoin de « scanner » les personnes qui l’entourent avant de s’élancer dans l’arène et d’être lui-même dans l’action. Emotions, vitesse de traitement, apprentissage, vocabulaire, mémorisation… Tout y est plus intense et plus rapide. Maxime serait-il un enfant à Haut Potentiel Intellectuel, communément appelé surdoué ? Tout porte à croire que oui.

Repérer les signes précoces
La littérature scientifique n’est pas bavarde au sujet des très jeunes enfants à HP car très peu de recherches ont été menées sur la question (vu qu’il ne s’agit pas d’une pathologie, il n’y a pas nécessité à détecter ce profil très tôt, et donc à mener des recherches antérieures à l’âge de la scolarité). Pour autant, les quelques travaux réalisés nous permettent de lister les particularités que les enfants plus âgés, ultérieurement diagnostiqués HP, présentaient quand ils étaient petits. Bien entendu, nous observons une énorme variabilité entre les profils d’enfants. Il n’existe pas un seul et unique modèle de fonctionnement à Haut Potentiel, bien que la majorité des petits HP présentent des particularités communes. De plus, attention au « sur-diagnostic » : ce n’est pas l’un ou l’autre des signes ci-dessous qui laisse présager un fonctionnement HP. C’est l’intrication de ces signes les uns aux autres, associée à l’évaluation du profil global de l’enfant qui est à prendre en compte.

• Son regard est particulier dès ses premiers mois de vie. Il peut être intense et scrutateur ou bien à l’inverse « dans le vide », l’enfant étant perdu dans ses pensées
• Son cerveau est plus rapide, les signaux électriques se propageant plus rapidement d’un neurone à un autre
• Ses épisodes de sommeil sont en moyenne plus courts que ceux des autres enfants. Son endormissement peut être plus difficile, notamment en fin de journée, l’enfant ayant du mal à se déconnecter de ses pensées comme ce serait le cas pour un adulte
• Son comportement peut être très posé voire inhibé, en marge du groupe. Ou à l’inverse très agité, laissant présager des signes d’hyperactivité
• Son observation de l’environnement est intense, répétée et plus soutenue que chez les autres enfants de son âge
• Sa mémoire est excellente
• Son développement moteur peut présenter une avance d’un à deux mois environ par rapport aux autres enfants
• Son émotivité est exacerbée : l’enfant tend à vivre avec intensité ses états émotionnels qu’ils soient agréables (comme la joie – il peut avoir les larmes aux yeux quand il rigole ou courir partout lorsqu’il est content) ou désagréables (il peut être inconsolable en cas de tristesse, ou littéralement sidéré en cas de peur, en présence d’un inconnu, par exemple). Il est à « fleur de peau ».
• Ses cinq sens sont affutés : il peut percevoir avec plus d’acuité les petits détails de son environnement tels qu’une odeur discrète particulière ou la présence d’un tout petit avion dans le ciel. Il peut s’avérer également plus sensible aux sensations de chaud et de froid ou à la texture inconfortable de certains tissus.
• ll est souvent dans la précision, dans le détail, qu’il s’agisse de son comportement ou de son vocabulaire.
Sans doute vous dites-vous que l’on peut retrouver ces signes chez la majorité des enfants. Et vous avez raison ! Tout est une question de nuance. Chez les petits surdoués, tout est plus intense et extrême, il y a comme un effet « loupe ». Ils sont trop « ceci » ou pas du tout « cela ».   

Mais attention, les signes listés ci-dessus ne sont pas à visée diagnostique, mais pédagogique. Comme toute particularité développementale (comme l’hyperactivité ou l’autisme par exemple), le fonctionnement à HP se diagnostique via un bilan standardisé réalisé par un professionnel. Généralement, ce n’est qu’à partir de l’âge de 6 ans, via la passation d’une WISC V (test de QI pour les enfants et les adolescents) et d’un entretien individualisé avec l’enfant et ses parents, que le psychologue peut réellement conclure à une surdouance. Avant cet âge, les tests proposés ne sont pas toujours très fiables. Il existe la WPPSI pour les enfants dès 30 mois. Toutefois, les fonctions cognitives étant encore labiles à cet âge, on observe régulièrement des « faux-positifs » et des « faux-négatifs ». A moins de devoir anticiper l’entrée à l’école maternelle de l’enfant pour x raison, inutile donc de lui imposer la passation d’un bilan énergivore et fastidieux (et couteux pour la famille !).  

Lui offrir un cadre sécurisant
A présent, passons à votre pratique. Que pourriez-vous faire pour que le petit HP se sente comme un poisson dans l’eau ? Comme nous l’avons vu un peu plus haut, l’une de ses plus grandes vulnérabilités est… sa sensibilité, son émotivité. C’est donc sur ce plan que votre intervention devra s’axer en priorité. Il est important de lui constituer un cadre sécurisant dans lequel il pourra évoluer sereinement et déployer toutes ses ressources. La première motivation d’un enfant HP est d’ailleurs de créer un lien d’attachement avec l’adulte. Sans la construction de ce lien privilégié avec l’un des professionnels présents, l’enfant peut demeurer dans l’insécurité permanente, ce qui risque de freiner son exploration du lieu et ses relations avec les autres enfants. Il peut alors jouer peu, parler peu, dormir peu, manger peu, sourire peu, prendre peu d’initiatives, et ce des mois durant. Un peu comme s’il passait ses journées en mode « survie », en état de vigilance.

Nombre d’enfants HP ont besoin de plus de temps que les autres pour s’ancrer dans un lieu et commencer à en profiter. L’établissement d’un système de référence peut alors être judicieux, l’idée étant de créer un lien fort entre l’enfant et un adulte en particulier, et de limiter le nombre d’adultes qui gravitent autour de l’enfant, du moins dans les premiers temps. La grande sensibilité du petit HP requiert aussi toute la patience de l’adulte. Si un enfant surdoué parviendra plus rapidement à apprendre de nouveaux mots, il mettra plus de temps que les autres à se sentir en confiance avec quelqu’un, ou dans un lieu. Ces enfants peuvent nécessiter une réelle endurance et une persévérance de la part de l’adulte. Il faut savoir l’apprivoiser, s’inviter délicatement dans sa bulle sans le brusquer.

Enfin, une fois ce cadre sécurisant établi, il sera pertinent de penser à « nourrir » cet enfant sur le plan cognitif (ou moteur !) pour répondre à son besoin naturel de stimulation. Les enfants HP au profil très agité et « turbulent » parviennent plutôt bien à être canalisés quand les professionnels leur proposent des activités motivantes qui mobilisent leur concentration.
Vous l’aurez compris, le petit enfant HP peut nécessiter quelques aménagements humains particuliers. Ne vous fiez pas aux apparences ou aux innombrables idées reçues que l’on trouve sur la surdouance (non, un petit HP de 2 ans ne va pas nécessairement vous réciter l’alphabet ou compter jusqu’à 100 !). Si ces enfants ont de réelles potentialités, ils ont – comme tout autre enfant – leur lot de vulnérabilités. Permettre de les identifier vous aidera, vous et lui, à passer de plus belles journées !


Pour aller plus loin
Vaivre-Douret Laurence, L. (2003). « Les caractéristiques précoces des enfants à hautes potentialités », Journal français de psychiatrie, 18, p. 33-35. DOI : 10.3917/jfp.018.0033. URL : https://www.cairn.info/revue-journal-francais-de-psychiatrie-2003-1-page-33.htm
Vaivre-Douret, L. (2004). Les caractéristiques développementales d’un échantillon d’enfants tout venant « à hautes potentialités » (surdoués) : suivi prophylactique. Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, 52, 129-141.
Monique de Kermadec et Sophie Carquain (2013). « Le petit surdoué de 6 mois à 6 ans ». Paris : Albin Michel.
Weil-Barais, A. (2005). Enfants exceptionnels : précocité intellectuelle, haut potentiel et talent. Collection « Amphi Psychologie » dirigée par Annick Weil-Barais. Sous la coordination de Todd Lubart. Editions Bréal. Chapitre 5. Approche développementale et neuropsychologique des enfants à « hautes potentalités ».
Weismann-Arcache, C., 2009. Les surdoués, du bébé à l’adolescent, les destins de l’intelligence. Belin.

Quel est l’intérêt de détecter les petits "HP" dès la petite enfance ?

• Décrypter au mieux son comportement, accompagner son émotivité, sa sensibilité et répondre à ses besoins forts de relation avec l’adulte pour le séréniser.
• Rassurer les parents sur la « normalité » de leur enfant (dans le cas des parents inquiets et débordés par l’émotivité de leur enfant) et mettre en valeur ses nombreuses ressources. (Bien entendu, il ne s’agit pas de déclarer aux parents que leur enfant est haut potentiel car, tant qu’un bilan n’a pas été réalisé par un psychologue, ce n’est qu’une hypothèse).
• L’idée n’est pas de chercher à le faire entrer plus tôt à l’école maternelle. Car si l’enfant peut être prêt pour se plonger dans les apprentissages scolaires sur un plan cognitif, il risque de ne pas toujours l’être sur un plan émotionnel et affectif.

Article rédigé par : Héloïse Junier
Publié le 04 octobre 2018
Mis à jour le 06 novembre 2018