Accueil du jeune enfant : lutter contre les gestes répétitifs

Par habitude ou lassitude, pour aller plus vite et gagner du temps, les professionnels de la petite enfance, malgré leurs convictions et leurs valeurs, finissent par répéter les mêmes gestes, un peu machinalement,  au cours d’une même journée. Au risque de faire primer le collectif et l’efficacité sur le respect de l’individualité et des rythmes de chaque enfant. L’analyse et les pistes pour éviter ce piège de Frédéric Groux, ancien EJE devenu psychologue en crèche.
Le respect de l'individualité des jeunes enfants accueillis est une des valeurs fortes partagées par les professionnels de la petite enfance. Du moins en théorie. Car c'est parfois difficile de tenir cette idéologie dans un établissement petite enfance ou chez une assistante maternelle. Comment repérer lorsque le collectif prend le pas sur les petites personnes en construction que nous accueillons ? Les indices du collectif sont présents mais souvent masqués par le rythme et le programme d'une journée en crèche ou chez une assistante maternelle.

Gestes répétitifs et gain de temps
Un des premiers indicateurs du « penser collectif » est le geste répétitif. Si vous faites plus de 5 fois à la suite le même geste, vous êtes déjà dans le phénomène du travail collectif pour ne pas dire à la chaîne. Prenons un exemple : l'ouverture des pots de yaourt. Ils sont souvent ouverts par les accueillants et cela même dans les sections des grands. Or, il suffit selon l'âge de faire une petite ouverture pour que le jeune enfant arrive à le faire seul. Le gain de temps est souvent la raison de ce travail à la chaîne. La question est donc qu'allez-vous faire de ses précieuses secondes ? Que transmettez-vous comme message aux enfants ?

Les jeunes enfants deviennent passifs dans le quotidien et ne sont plus conscients d'être capables d'aider ou de faire eux-mêmes les actions. Aider est un sentiment qui améliore la confiance en soi et l'estime de soi. C'est une des raisons du choix de cette profession par de nombreux accueillants et assistantes maternelles. Nous souhaitons « être utiles » aux autres. Il n'est jamais bon de rendre une personne passive dans sa vie. D'ailleurs, de nombreux employés se plaignent de faire selon les désirs de leurs hiérarchies sans avoir un mot à dire. Nous sommes dans la même situation miroir. Un employé en situation d'attente des ordres ou des nouveaux protocoles se sent impuissant et, donc, il n'est plus acteur de sa vie professionnelle. La notion de temps est relative selon les actions. Dans l'exemple précédent, une personne de crèche ouvrira 6 à 7 yaourts en pensant gagner du temps et donc ne pas faire attendre les enfants qui ont faim. En revanche, dans de nombreux lieux, les serviettes ou bavoirs sont avec des lanières à attacher autour du cou de chaque enfant deux fois par jour. Dans cette situation, où est le gain de temps ?

Si une répétition est présente, il y a une multitude de gestes identiques et ils sont exécutés de plus en plus rapidement. C'est le principe du taylorisme qui est la base du travail à la chaîne. Plus vous exécutez un acte, plus vous essayez d'améliorer votre temps d’exécution. Pensez-y quand votre collègue sortira du dortoir en disant : « J'ai endormi tant d'enfants en tant de temps ».  Ou « j’ai changé la couche de tant de bébés en tant de temps ». Tous les gestes répétitifs sont faits dans le silence, sans accompagnement de parole. Or, ce qui définit les êtres humains, c'est le langage.

Des bébés acteurs de leur quotidien
J'entends les personnes avancer l'argument du nombre d'enfants qui augmente sans cesse. Je vous l'accorde. Nous sommes dans une période difficile où des gestionnaires, peu formés à notre profession, décident des chiffres. Mais nos valeurs sont plus solides que leurs chiffres ou cases.
Nous pouvons réfléchir sur la place de sujet que doivent avoir les bébés et les jeunes enfants en EAJE ou chez une assistante maternelle. Est-il possible de retourner cette difficulté du chiffre pour faire avancer notre pratique ou la repenser ?
Est-il possible de se dire que les serviettes peuvent avoir des élastiques où des scratchs pour s'attacher ? Est-il possible de penser qu'on n'endort pas un enfant mais qu'il trouve son sommeil de lui-même, si on met les conditions nécessaires pour l'aider ?
Est-il possible de faire sortir les jeunes enfants de cette place de « non-sujet » pour les faire devenir acteurs dans leur quotidien ?

Tous les actes de répétition (non réfléchis) effacent la singularité du développement moteur ou cognitif des enfants accueillis. Nous arrivons à respecter ce rythme de développement dans les sections de bébés mais, lorsqu'un enfant passe dans une section de moyens ou de grands, nous perdons ce regard sur sa capacité à évoluer selon son propre tempo. Nous aurons chez les moyens alors un pot de yaourt ouvert par l'adulte mais ce même pot ne sera pas pratique pour manger car les rebords sont trop hauts et qu’un bol ou une coupelle serait plus facile pour eux. Nous pouvons prendre aussi l’exemple des verres à bec donnés à tous les enfants d’une même section alors que certains pourraient boire dans un verre classique.
 
Ce n'est jamais la section (tranche d'âge) qui décide comment se comporter avec le bébé ou l'enfant qui est en face de nous. Au contraire, nous devons nous ajuster à l’évolution de chaque petit être en construction de ladite section. C'est le reconnaître en tant que sujet et individu. Ce n'est pas qu'un principe pédagogique mais juste une marque de respect dont chaque « être humain » doit pouvoir bénéficier. Les enfants ne sont pas des citoyens de seconde classe.
Article rédigé par : Frédéric Groux
Publié le 28 août 2017
Mis à jour le 13 décembre 2021