École maternelle : la circulaire de rentrée 2022 en dix points clefs

La circulaire de rentrée 2022 s’intitule « Une école engagée pour l’excellence, l’égalité et le bien-être ». Des belles perspectives assurément. Publiée le 30 juin au BOEN (bulletin officiel de l’Éducation nationale), elle porte sur l’enseignement jusqu’au lycée et contient quelques lignes  à propos de la scolarité des moins de 6 ans. La psychopédagogue Fabienne-Agnès Lévine les a décryptés pour nous. Critique voire sceptique, elle  considère que leur formulation ne peut pas laisser indifférent si on reste centré sur les besoins de la petite enfance.
Le contexte : un programme national, des notes de service, des circulaires
Le programme de l’école maternelle en vigueur est celui de 2015 : il avait globalement été bien accueilli par les professeurs des écoles qui y avaient salué un bon équilibre entre ambitions pédagogiques et respect des étapes du développement. Il a été modifié en 2020 et consolidé en 2021, avec des rectificatifs et des ajouts. Auparavant, en 2019, il avait été complété par trois notes de service : une sur le langage, une sur les nombres et une autre sur les langues vivantes étrangères. En mars 2018, ont eu lieu les Assises de l’école maternelle qui ont donné le ton avec la formulation : « L’école maternelle, école du langage et de l’épanouissement. » En 2020, un recentrage sur les acquisitions caractérise la rédaction de deux guides à l’attention des professeurs des écoles : l’un « Pour enseigner le vocabulaire à l’école maternelle », l’autre « Pour préparer l’apprentissage de la lecture et de l’écriture à l’école maternelle ». A suivi en 2021 un document du Conseil scientifique de l’Éducation nationale sur « L’ouverture aux mathématiques à l’école maternelle et au CP ». Tous ces textes forment un ensemble qui peut aider les professeurs des écoles mais qui les amène aussi à jongler entre des injonctions contradictoires tant sur la mission de l’école maternelle que sur le contenu et les méthodes. S’y ajoutent, d’année en année, des circulaires de rentrée qui apportent leur lot de promesses ou d’exigences. Explication de texte en dix points.

1.« À l’école maternelle, l’enfant devient progressivement élève. »
Voici le retour du « devenir élève » qui figurait dans les programmes d’avant 2015. De quoi alimenter des discussions sans fin sur « Accueille-t-on un enfant ou un élève à l’école maternelle ? ». Plus pragmatiquement, l’enfant, lui, a-t-il le choix de rester enfant ou de devenir élève ? Et « progressivement », c’est comment : En quelques jours ? Le temps de la petite section ? Tout au long du cycle 1 ? On croise les doigts pour que la bonne réponse soit la dernière.

2.« À l’école maternelle, l’enfant diversifie son lexique. »
Le verbe choisi pour évoquer l’importance des progrès en vocabulaire, que ce soit en accroissement ou en précision du sens, est étonnant. Diversifier, c’est aller dans toutes les directions. Or, le lexique, ça s’enrichit, ça se déploie, ça s’affine… Se diversifier ? Pas tellement. Ce sont les niveaux de langage qui se diversifient : langage d’action, langage en situation, langage d’évocation, etc. Bref, retenons juste que connaître de plus en plus de mots, c’est pratique et que ça constitue un passeport pour la réussite scolaire.

3.« À l’école maternelle, l’enfant découvre les apprentissages mathématiques. »
Cette affirmation vient renforcer un changement déjà effectué dans l’intitulé des cinq domaines d’apprentissage du cycle 1. Depuis septembre 2019, « Construire les premiers outils pour structurer sa pensée » a été remplacé par « Acquérir les premiers outils mathématiques ». La finalité est restée la même mais l’intrusion d’une discipline, les mathématiques, dans le programme du cycle 1 est révélateur d’une rupture croissante entre l’école maternelle et les autres établissements de la petite enfance. En France, les enfants de 3 ans font déjà des mathématiques alors que dans d’autres pays ils manient les quantités, les formes, les grandeurs en jouant et en multipliant les expériences, à l’intérieur ou en plein air. Ça se discute.

4.« Un enfant prépare sa réussite à venir. »
Parler à la place de l’enfant et lui prêter une quelconque intention de penser à la suite de sa vie en général et à sa réussite scolaire en particulier ressemble à une blague. À moins que ce soit une maladresse de langage : on pourrait attendre d’un texte signé par le ministre de l’Éducation nationale qu’il soit plus rigoureux. Plus simple aurait été de recopier mot à mot une phrase présente dans plusieurs textes : « L’école primaire est déterminante pour la réussite de nos élèves. » Et en attendant qu’ils comprennent l’importance de travailler en classe, laissons les jeunes enfants manifester leur désir de grandir par leur vitalité et leur curiosité au jour le jour.

5.« Les écarts de maîtrise des compétences fondamentales se fixent dès le plus jeune âge. »
Une phrase aux antipodes des premières lignes du programme de 2015, remanié en 2021 : « Une école ambitieuse qui s’appuie sur un principe fondamental : tous les enfants sont capables d’apprendre et de progresser. » Chaque mot rajoute un peu d’anxiété : écart – maîtrise – compétence – fondamental… D’ailleurs, qu’est-ce qu’un écart de maîtrise ? Quelles compétences sont fondamentales et pourquoi ? Que retenir sinon un verdict bien préoccupant : dès le plus jeune âge, se prépareraient de mauvais résultats aux évaluations qui seront effectuées à 6 ans ? Et où se préparent-ils avant de se fixer ? Dans les inégalités sociales ? Dans les familles ? Avec les enseignants de maternelle ? Quelle épée de Damoclès sur la tête de ces derniers ! Depuis 2018, dès le mois de septembre, tous les enfants de CP passent des évaluations en français et en mathématiques. En dix minutes par épreuve, leur niveau est figé.

6.« Le plaisir d’apprendre en veillant à la sécurité affective. »
Quelques mots qui renvoient enfin à la spécificité de la petite enfance : sans sécurité affective, le jeune enfant ne peut pas être disponible pour apprendre, ni pour y prendre du plaisir. Le psychiatre Boris Cyrulnik l’a dit et redit, et il n’est pas le seul : l’attachement est à la base de l’élan vers les autres, la curiosité sur le monde, la capacité d’apprendre. On retrouve cette idée dans le programme en vigueur : « Une école qui tient compte du développement de l’enfant » et, plus loin, « L’école maternelle accueille l’enfant avec sa curiosité et alimente sa soif de savoir ».

7.« De jeunes enfants qui « découvrent la vie en collectivité »
Le nouveau ministre a raison : il y a un début à tout. C’est un peu le principe quand on a à peine 3 ans ! Avant le grand bain de l’école maternelle, les enfants sont inégaux dans leur habitude de côtoyer d’autres enfants et d’être pris en charge par d’autres adultes que leurs parents. Les modes d’accueil de la petite enfance, en principe si ce n’est en pratique, privilégient l’individualisation au sein du groupe. Tous les enfants qui entrent à l’école maternelle, qu’ils soient allés en crèche ou non, découvrent donc une institution dans laquelle le « vivre ensemble » va prendre le pas sur les réponses au cas par cas. Ça s’appelle aussi « grandir ».

8.« Nouvel investissement pédagogique, matériel et humain autour de l’école maternelle. »
Le ministre actuel considérerait-t-il que les travaux des Assises de l’école maternelle de 2018 n’ont pas été satisfaisants ou n’ont pas été suivis d’effets ? Qui sait ? La seule bonne nouvelle pour les professeurs des écoles et les ATSEM qui sont dans l’attente de moyens supplémentaires pour remplir leur mission au quotidien.

9.« Continuité entre les cycles 1 et 2. »
C’est indiscutable, le cycle 2 succède au cycle 1 et précède le cycle 3, d’où une continuité inévitable ! Plus sérieusement, de quelle continuité est-il question ? En 2011, l’Inspection générale de l’Éducation nationale avait produit un rapport dans lequel étaient dénoncées une tendance à la « primarisation » de l’école maternelle et une « anticipation dans la préparation à la lecture et à l’écriture au détriment d’autres acquisitions ». En 2013, le cycle 1 devenait « un cycle unique, fondamental pour la réussite de tous », renonçant à inclure une partie de l’année de grande section dans le cycle 2. Alors, 11 ans après, pourquoi s’inquiéter d’un manque de continuité ? D’autant plus que le dernier programme (juin 2021) précise que la loi pour une école de la confiance « renforce le cycle unique des apprentissages premiers institué par la loi de refondation de l’école » et précise : « Premier maillon du parcours scolaire, l’école maternelle établit les fondements éducatifs et pédagogiques sur lesquels s’appuient et se développent les futurs apprentissages des élèves pour l’ensemble de leur scolarité. »

10.« L’action commence dès l’école maternelle par un renforcement pédagogique. »
Un paragraphe sur le décrochage scolaire et sur les efforts à déployer mentionne que pendant le premier cycle « les signaux du décrochage sont déjà perceptibles, malgré l’obligation de scolarité qui s’impose à tous les jeunes ». Scolarité ou instruction ? Nuance subtile qui a entraîné le contrôle des connaissances des enfants instruits dans la famille mais qui n’a pas permis de sauver les jardins d’enfants. Et un renforcement pédagogique ? Mais lequel, hormis étendre le dédoublement des classes de grande section, malgré les résultats mitigés à propos de la mesure déjà en cours depuis quelques années ?

Au fait, qu’est-ce qui est prévu pour l’égalité et pour le bien-être des jeunes enfants, pendant cette période essentielle de leur développement psychoaffectif et psychomoteur ? Ce n’est pas écrit dans la circulaire. Mais on fait confiance aux professeurs des écoles, aidés par les ATSEM, ainsi qu’aux animateurs des temps périscolaires, pour en tenir compte.


 

Extraits de la circulaire

« Agir dès la maternelle et poursuivre en élémentaire. Cette priorité doit être réaffirmée et engagée dès l’école maternelle qui est capitale pour réussir l’entrée dans les apprentissages de tous les enfants et prévenir le risque du décrochage à l’adolescence. C’est à l’école maternelle que l’enfant devient progressivement élève, diversifie son lexique, découvre les apprentissages mathématiques et prépare sa réussite à venir. Les résultats des évaluations à l’entrée du CP montrent que les écarts de maîtrise des compétences fondamentales se fixent dès le plus jeune âge. C’est aussi à l’école maternelle que se découvre et se forge le plaisir d’apprendre en veillant à la sécurité affective de jeunes enfants qui, pour certains d’entre eux, découvrent la vie en collectivité. C’est pourquoi l’année 2022-2023 doit être une année de maturation et d’un nouvel investissement pédagogique, matériel et humain autour de l’école maternelle et de la continuité entre les cycles 1 et 2, notamment au travers de la formation des professeurs. […] Redoubler d’effort contre le décrochage scolaire : […] L’action commence dès l’école maternelle par un renforcement pédagogique. »
 
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Article rédigé par : Fabienne-Agnès Levine
Publié le 30 août 2022
Mis à jour le 01 novembre 2022