Une pente, c’est fait pour glisser !

Noah, 15 mois, est en salle de motricité avec Ludivine, sa référente et un groupe de quatre enfants. La salle est très bien équipée : on y trouve des blocs en mousse, un tunnel, des ballons … et un super toboggan ! Quelques enfants sont sur la plateforme au sommet de la structure motrice. Noah se dirige vers eux et se met à monter la pente du toboggan. Ludivine intervient : « Noah, tu n’as pas le droit de monter par-là, la pente est faite pour glisser ! Si tu veux monter, tu dois prendre les escaliers ». Elle le prend alors dans les bras et le dépose devant les escaliers.
Du point de vue de Noah : l'envie d'explorer en tous sens !
Que fait Noah ? Il n’a de toute évidence pas compris le sens d’utilisation du toboggan : monter par les escaliers et descendre par la pente ! Enfin, existe-t-il vraiment un sens ? Au quotidien, ne devons-nous pas remonter régulièrement des pentes ? À vélo ? A pieds ? Avec des cordes pour escalader les montagnes ? Alors pourquoi ne pas considérer que l’enfant réalise le même type d’action : gravir le versant de la montagne que représente la pente du toboggan !

Loin d’être anodine, cette ascension va lui permettre de percevoir le monde d’un autre point de vue, de tester son équilibre, sa force et offrir de précieuses informations perceptives à son cerveau. Chaque action et chaque sensation ressentie va l’aider à calibrer ses mouvements, trouver ses appuis et développer ses compétences motrices. Il va coordonner ses yeux et ses mains, maintenir son centre de gravité… Grimper sur cette structure va alors lui permettre de mieux comprendre son corps et ses possibilités.
En même temps, lorsque nous regardons le toboggan de plus près, la forme de l’objet s’y prête bien et guide son exploration. Le cerveau de Noah sait programmer les différentes actions possibles à réaliser avec : il perçoit une rampe qu’il doit découvrir avec tout son corps, en grimpant ou glissant …pieds ou tête en avant !

Noah sait ce qu’il fait et ne s’engage pas dans de folles acrobaties. Il est d’ailleurs plus simple pour lui de passer par un plan incliné, que par des escaliers. Monter ces derniers est plus complexe qu’il n’y parait, surtout s’il faut alterner les pieds lors de la progression. Il lui faudra encore plusieurs mois pour pouvoir le faire. Mais heureusement, si d’aventure il perd l’équilibre ou se sent en insécurité, il sait que Ludivine est là pour l’aider. C’est le pacte implicite entre l’enfant et l’adulte : il explore et elle le protège !

Du point de vue de Ludivine : elle doit protéger Noah et les autres enfants
Son rôle est de protéger Noah, bien évidemment, mais aussi de s’assurer que tous profitent de ce temps moteur. En grimpant par la pente, elle considère qu’il risque de gêner les autres enfants !
Dans notre rôle de protection, nous cherchons toujours à anticiper ce qu’il peut se passer pour être prêt à réagir à chaque situation. C’est notre fonctionnement cérébral qui veut ça. Notre cerveau est un instrument d’anticipation qui émet en permanence des prédictions sur le monde extérieur. Il va proposer un raisonnement plausible face à des incertitudes : Noah va-t-il empêcher les autres enfants de glisser ? Cela va-t-il générer des interactions négatives entre tous les enfants ? Peut-il y avoir un blessé ? Le cerveau va alors construire le scénario le plus probable et dans notre cas, le plus pessimiste : ils vont se pousser et l’un d’eux va se faire mal !
En effet, il est probable qu’un enfant tente de passer en même temps qu’un autre, non pas pour « passer en force », mais pour vérifier que cela n’est pas possible. Hé oui, rappelez-vous, pour comprendre et vérifier son hypothèse, l’enfant va avoir besoin de l’expérimenter corporellement.
Mais est-ce vraiment dramatique ?

Ludivine doit maintenant prendre un peu de recul face à la situation et lutter contre cet automatisme qui lui fait douter des compétences des jeunes enfants. Libres de bouger, dopés par leurs explorations à la dopamine, les enfants sont dans de bonnes conditions pour interagir avec les autres. C’est d’ailleurs dans les espaces moteurs qu’il y a le plus d’interactions positives entre enfants ! Soyons factuel, Noah va sûrement freiner un ou deux enfants dans leur élan. Et alors ? Chaque enfant va devoir apprendre à différer son envie, attendre son tour ou trouver une solution pour occuper l’espace à plusieurs ! Ils mettront à l’œuvre toutes leurs habilités sociales pour déployer de nouvelles stratégies pour collaborer et explorer ensemble la structure. Nous pouvons être surpris de l’ingéniosité avec laquelle ils peuvent résoudre des situations que nous voyons comme insurmontables pour eux ! Alors laissons les faire et si nous craignons quelques rencontres malheureuses, mettons-nous près d’eux pour les soutenir et, au besoin, les aider à trouver des solutions : proposons-leur de se décaler pour ne pas coincer le bras ou la jambe d’un autre enfant, aidons-les à patienter, donnons-leur une autre lecture des intentions des autres...

Du point de vue de la pratique : trop de consignes, pas assez de confiance...
Les enfants comprennent le monde par l’action qu’ils vont avoir sur ce dernier. Les espaces moteurs, que ce soit au parc, en salle de motricité ou directement en section, leur permettent d’acquérir de précieuses informations. Leurs trois premières années de vie sont primordiales dans le développement de leurs habilités motrices et se doivent d’être encouragées au quotidien par les adultes qui s’occupent d’eux. Influencés par notre peur « du débordement et de l’accident », nous sommes régulièrement tentés de réglementer et d’organiser leurs déplacements avec une ou deux règles… Elles ont un effet magique sur nous, adultes. Elles nous donnent un sentiment de sécurité et de contrôle.

Quelquefois, pour chercher à concilier nos doutes avec leur besoin de liberté, apparaissent des consignes qui introduisent « des nuances » dans l’utilisation du toboggan :
  • Monter par la pente, oui, mais seulement s’il n’y a pas trop de monde ! La notion de « trop de monde » était relativement abstraite pour un jeune enfant et difficile à quantifier ! L’important étant alors de se demander quel message nous envoyons aux enfants en leur demandant d’adopter des comportements différents selon des critères très confus pour eux ! Les enfants ont besoins de repères fiables et concrets, sans quoi ils chercheront à les tester encore et encore pour en comprendre toutes les subtilités…
  • Les consignes peuvent même s’étendre à l’ensemble du toboggan. Il sera alors demandé de ne pas amener d’objet dessus ou juste des « petits ». Mais quelle dimension a un « petit objet » pour un enfant ? La même que pour un adulte ? Encore une fois, l’information est floue pour ce jeune cerveau en construction. Et quel dommage de ne pouvoir emmener d’objet sur le toboggan ! Celui-ci peut devenir un instrument très utile pour tester la gravité, étudier le mouvement et la vitesse avec une petite voiture par exemple, qui roule plus vite sur une pente qu’à plat ! Que d’expériences à la portée de l’enfant pour comprendre les lois physiques de notre monde grâce à un simple objet.

Tout est une question de confiance : du moment que vous l’amenez dans un environnement répondant à ces compétences et aux normes de sécurité, laissez-le faire ! C’est par votre regard et vos réactions qu’il va apprendre à se faire confiance et à se fier à ses ressentis.
Article rédigé par : Johanna HIRT, Formatrice et Conseil Petite Enfance, planète Péda
Publié le 21 août 2019
Mis à jour le 02 mai 2022