Il mange si peu ...

Un enfant qui ne mange pas, ou pas assez, tend à plonger les adultes qui l'accueillent dans une position inconfortable d’incompréhension voire de culpabilité vis-à-vis des parents. Or, le fait de trop s’inquiéter ou d’insister est une attitude contreproductive qui vous enferme dans un cercle vicieux. Dès lors, comment réagir ?
Pourquoi un enfant peut-il refuser de manger ?
L’appétit évolue. La faim et l’appétit d’un jeune enfant sont en pleine évolution, tout comme l’est son développement. Ceux-ci peuvent varier selon son humeur et celle des adultes qui l’entourent, son degré de fatigue physique et psychologique, ses besoins nutritionnels, ses acquisitions en cours, les changements de vie auxquels il fait face à la crèche comme à la maison.
Il mange ce dont il a besoin. Un enfant demeure très à l’écoute de ses signaux de faim et de satiété. Instinctivement, il absorbe la quantité dont son corps a besoin pour bien grandir. On ne le répètera jamais assez : non, un enfant ne se laisse pas mourir de faim ! S’il a peu mangé au déjeuner, il se rattrapera spontanément au goûter ou bien le soir, chez lui. De plus, n’oublions pas de mettre en perspective la quantité ingérée avec son petit poids et sa petite taille. Les proportions nécessaires au bon développement d’un jeune enfant sont bien inférieures à celles de l’adulte !
Une réaction à l’arrivée en crèche. Il peut arriver que l’enfant manifeste une baisse d’appétit lors de ses premiers temps en crèche. Celle-ci peut survenir à l’issue de la période d’adaptation ou quelques semaines après son immersion officielle. Il s’agit là d’une réaction naturelle à un changement de vie radical. Passer de la maison à la crèche, ou même d’une crèche à une autre, peut être éprouvant pour de nombreux enfants. L’ensemble de leurs repères humains, spatiaux et temporels sont chamboulés. Après l’adaptation officielle s’amorce généralement un temps nécessaire d’adaptation officieux qui va de quelques jours à quelques semaines.
Le temps du repas en question. Si l’enfant ne mange rien du tout, peut-être est-ce davantage la manière dont se déroule le repas qui le gêne plutôt que ce qui lui est servi dans l’assiette. Il est important de distinguer le contenu de l’assiette du contenant du repas, à savoir les personnes présentes autour de la table, l’ambiance qui y règne, la disponibilité de l’adulte, la manière dont ce dernier accompagne l’enfant dans sa découverte des aliments, le rythme du repas, l’éventuelle pression dont l’enfant peut faire l’objet, etc. Quand on y réfléchit, les aliments que contient l’assiette ne sont que la partie visible de l’iceberg du repas ! Sur ce temps-clé, l’enfant nécessite autant être nourri sur un plan nutritionnel qu’affectif et social.
Il préférerait manger avec ses mains. Certains enfants mangent avec moins d’entrain lorsque l’adulte les contraint, plus ou moins explicitement, à manger avec sa cuillère. Moult enfants ont besoin de découvrir la nourriture, tout comme le reste de leur environnement, armés de leurs cinq sens, et notamment celui du toucher. Cette exploration multi-sensorielle spontanée des aliments leur permet de mieux s’y familiariser. Ce n’est pas un jeu pour eux, mais un besoin ! De plus, à leur âge, les tout-petits ne parviennent pas toujours à catégoriser les éléments de leur environnement et à différencier ce qu’ils ont le droit de manipuler avec les mains, de tester, et ce qui est exclusivement destiné à être mangé avec une cuillère.
Il subit trop de pression. Il arrive que les professionnels qui ne parviennent pas à faire manger un enfant se sentent de « mauvais » professionnels. Ce ressenti, généralement tabou et pourtant fréquent, est d’autant plus important s’il s’agit d’un bébé et/ou si le parent insiste à chaque fois sur ce que son enfant a mangé la journée lors du temps de transmissions le soir. Cette pression en cascade tend à retomber immanquablement sur l’enfant et à tous vous plonger dans un cercle vicieux.  
La néophobie alimentaire. Aux environs des deux ans peut émerger ce qu’on appelle une « néophobie alimentaire ». Sous ces grands mots se cache un refus, de la part de l’enfant, de goûter ou d’ingérer les aliments, nouveaux ou non, qui lui sont proposés. L’enfant les examine, grimace, les manipule sans les mettre à la bouche… Cette phase d’appréhension de la nouveauté, tout à fait bénigne, peut durer de quelques semaines à quelques mois, en fonction notamment de l’attitude de l’adulte.

Comment réagir ?
Sur le plan individuel

Lâchez prise et détendez-vous !
Plus vous appréhenderez ce temps du repas car vous êtes d’office convaincu que l’enfant ne mangera pas, plus vous risquerez d’arriver nerveux et stressé. Autant de signes non verbaux auxquels le jeune enfant est très sensible. Par moments, travailler avec les enfants nous apprend à lâcher prise. Prenez de la distance, et relativisez autant que possible. En un mot, n’en faites pas tout un plat !
Proposez-lui un temps de câlin avant le repas. Le temps du repas est avant tout un temps de relation entre un enfant, un groupe, et un adulte. Pour optimiser son bien-être et la qualité de votre relation à ce temps T, prenez le temps de vous retrouver seul avec lui avant le repas, de lui proposer un temps de jeu en tête à tête, un câlin, un épisode de plaisir partagé. Ce moment ritualisé permettra de créer ou recréer du lien entre vous et ainsi d’aborder plus sereinement l’étape du repas.  
Continuez à présenter les plats à l’enfant avec douceur et sérénité, même s’il ne les mange pas. L’enfant aura davantage tendance à accepter de goûter un aliment si celui-ci lui est présenté plusieurs fois de manière identique afin qu’il puisse bien le reconnaître (entre 6 et 10 fois en moyenne).
Ne forcez jamais un enfant à manger, ni même à goûter un plat. L’expérience du terrain le prouve chaque jour : plus on met la pression à un enfant pour qu’il mange, moins il ne mangera. Cette insistance de la part de l’adulte est contreproductive. L’enfant est un être spontané qui est particulièrement sensible aux émotions que vous pouvez ressentir. Comme pour vous, le tout-petit ne sera pas en mesure de bien manger l’estomac noué par le stress ou la frustration. 
Ne qualifiez pas cet enfant de « petit mangeur » ou d’enfant « qui ne mange rien ». L’enfant prend vos discours au pied de la lettre et a tendance à se conformer à ce que l’on attend de lui. Malgré vous, ces étiquettes risquent d’induire en lui une baisse d’appétit voire un refus de manger.
Encouragez son autonomie. En fonction de son âge, proposez à l’enfant de dresser lui-même la table, de mettre seul son bavoir, de manger comme il le souhaite (avec ses doigts, sa cuillère) dans l’ordre qui lui convient. N’oubliez pas de le valoriser, véritable moteur à sa motivation ! Plus un enfant sera maître de la situation, plus il la vivra avec entrain.
Proposez-lui de manger au deuxième service. Peut-être que l’enfant mange peu parce qu’il n’a pas assez faim ou que l’ambiance de ce temps de repas le met mal à l’aise. Pourquoi ne pas lui proposer de manger au deuxième service, de lui en expliquer la raison et de conserver par la suite cette même organisation pour ne pas chambouler ses repères. 
Continuez à relever son poids régulièrement.
Ne serait-ce que pour vous rassurer, gardez un œil sur sa courbe de poids et veillez à ce qu’elle soit harmonieuse, en collaboration avec l’infirmier puériculteur et le médecin de votre établissement. L’important est que cette baisse d’appétit passagère n’ait aucun retentissement sur sa courbe de développement staturo-pondéral. 

Sur le plan collectif

Cultivez une bonne ambiance. La dimension sociale et conviviale du repas est quasiment aussi importante pour l’enfant que les aliments que vous lui proposez. Veillez à parler doucement et à ne pas faire crouler l’enfant, ou le groupe, sous le poids des règles et des interdits qui sont souvent bien trop nombreux. Souplesse et plaisir sont au menu de ce temps d’échanges !
Respectez les repères spatiaux, humains et temporels. Pour favoriser l’épanouissement et la sérénité des enfants pendant le temps du repas, veillez à respecter l’ensemble de leurs repères : chacun mange à sa place, avec les mêmes enfants, au même moment de la journée. Pourquoi ne pas mettre en place un rituel de chansons, d’histoires ou de relaxation juste avant le repas, afin d’annoncer le temps du déjeuner et d’atténuer le stress induit par ces moments de transition ou de flottement.
Héloïse Junier
Par
Héloïse Junier, psychologue
Publié le 06 mars 2017
Mis à jour le 20 décembre 2022
Un sujet qui est toujours remis en question