Les bébés et les langues : que penser de l’immersion précoce ?

Les évolutions sociétales ancrent le monde de nos enfants dans un système d’échanges et d’interactions à l’échelle mondiale. Le monde est à portée de main, et pour y évoluer avec aisance le langage utilisé, est essentiel. Baby sitter anglophone, mini programmes pédagogiques d’apprentissage précoce des langues étrangères, crèches bilingues ou intégrant le bilinguisme dans ses activités pédagogiques… Les parents sont de plus en plus  nombreux, s’ils le peuvent financièrement, à se tourner vers des solutions d’accueil intégrant cette dimension. Catherine Lefèvre, psychomotricienne, diplômée en sciences de l’éducation et en neurosciences, formatrice petite enfance explique ici ce que doivent être  les environnements  multilingues précoces :  immersifs, ludiques et  interactifs.
Le plaisir avant tout !
L’apprentissage ou la sensibilisation à une langue étrangère ne peut s’envisager qu’en maintenant le sens du langage et de la communication : l’interaction, la mise en relation ! C’est parce qu’il a envie d’être dans l’échange avec autrui, que l’enfant décode les mécanismes de la communication gestuelle puis orale. C’est la motivation qui le guide. Développer l’appétence naturelle des enfants pour les langues, encourager la curiosité du tout petit dans ce domaine seront possibles grâce notamment à l'élément déterminant du développement : la notion de plaisir.
Une immersion sensorielle auditive
Les  projets d’environnement  multilingue précoce  doivent, en crèche, inviter l’enfant à être acteur et à l’initiative des interactions. La pédagogie active qui a fait ses preuves sur d’autres axes du développement, est fondamentale pour les apprentissages langagiers. C’est la curiosité, l’envie de jongler avec les sonorités, les mots et leurs utilisations qui aboutit au développement de nouvelles connexions cérébrales, au langage et à son enregistrement mnésique. L’enfant possède des capacités langagières phénoménales, dès la naissance.  (Voir l'article Acquisition du langage : ce que nous apprennent les neurosciences). Sans effort, lorsque l’immersion est précoce, le jeune enfant garde en mémoire des phonèmes, des structures syntaxiques des différentes langues qui lui sont proposées. L’enfant s’imprègne de cette nouvelle langue dans le jeu et le plaisir. L’idée n’est pas de permettre au jeune enfant de s’exprimer dans la langue étrangère : il ne parle bien souvent pas, sa langue maternelle ! Il s’agit de maintenir la sensorialité auditive innée du tout petit ; de permettre la compréhension et la découverte d’autres langues, d’ouvrir sur d’autres constructions sémantiques qui permettent à l’enfant d’envisager d’autres modes de pensées, et de développer la confiance en soi.

 Un environnement multilingue : c’est aussi faire découvrir d’autres usages
« La culture reflète non seulement l’univers réel de l’être humain, mais la pensée, la vision du monde, les valeurs, la façon de la vie humaine. Et tout cela se concrétise dans la langue. On peut donc considérer la langue comme une couverture matérielle pour la culture. » (M. Fahimkalam et Mohammad Reza Mohseni)
Un équilibre entre l’immersion en langue étrangère et la découverte des usages, et des traditions culturelles liées à cette même langue est essentielle. Car si la langue permet de transmettre la culture, cette dernière exerce également une grande influence sur la formation du langage. La connaissance de chaque pays se reflète dans sa langue, sa littérature, dans la manière de célébrer certains moments festifs, ou encore dans les règles et jeux collectifs.

 Concrètement quelle pédagogie du multilingue en petite enfance ?
Voici les 4 piliers d’une pédagogie adaptée aux plus petits.
1. Une  immersion au niveau sonore : un environnement stimulant et des interactions précoces permettent de développer et de maintenir les empreintes des langues auxquelles l’enfant aura été exposé
2. La mise en place des processus mnésiques : les rituels et les répétitions sont des clés dans les apprentissages. Offrir des repères ainsi qu’un cadre ritualisé, où les attendus sont connus, permet de mettre en place un contexte d’apprentissage positif et rassurant indispensable pour l’utilisation de la mémoire épisodique liée au contexte émotionnel. D’autre part ces moments sont l’occasion de découvrir et de redécouvrir grâce à la répétition. Ils permettent ainsi d’inscrire une trace mnésique au niveau cérébral.
3. Des médiations artistiques : offrir un environnement sensoriel, artistique renouvelé, et inspiré de différentes cultures est un élément qui pose les bases du futur citoyen de demain.  L’histoire et les histoires, la transmission sont partagées par des chansons, des marionnettes, des instruments de musique, de la danse… Ces médiateurs artistiques offrent une complémentarité qui prend du sens, dans le quotidien-déroulé d’une journée type de l’enfant accueilli en crèche.
4. Le plaisir des découvertes partagées entre pairs et dans la relation sereine et positive à l’adulte accompagnant.

Avec quels professionnels mettre en place cette pédagogie ?
Nombreux sont les professionnels de la petite enfance qui maitrisent une langue autre que le français. Une langue maternelle riche de sens car elle a accompagné et a porté leur jeune âge. Cette langue est bien souvent une porte ouverte vers des ressentis sensoriels car elle leur rappelle des moments vécus et partagés avec le cercle proche, des relations où l’affect prédomine.
Pour le professionnel, l’utilisation de sa langue maternelle est génératrice d’émotions primaires, des excitations, des émois, des troubles qui vont s’inscrire dans le corps et la gestuelle, dans les mimiques ou les supplications lors de la communication avec l’enfant.
Ce dernier y est très sensible : l’adulte qui s’adresse à lui, avec cette réminiscence, souvent inconsciente, de ses émotions, lui parle avec tout son être.
La berceuse chantée en français, n’aura pas la même douceur que la « lullaby » anglaise pour le professionnel anglophone, ou que « l’arrullo » espagnole pour le professionnel hispanique. Les intonations prennent une dimension plus juste, et vraie. Bien souvent le message est mieux compris, car il est ressenti.
Si les structures laissent les professionnels utiliser leur langue maternelle, rares sont celles qui développent un véritable projet pédagogique en lien. Pourtant, instituer que les temps de regroupements, de soins, ou d’accompagnement au sommeil se fassent régulièrement, de manière ritualisée dans une autre langue serait positif à plus d’un sens :  meilleure adéquation émotionnelle et relationnelle entre l’enfant et l’adulte, maintien des compétences phoniques du tout petit, tout en  valorisant les compétences des professionnels et leur unicité -originalité dans l’équipe.

Quels bénéfices pour les tout-petits ?
Les inconvénients liés à l’apprentissage d’une langue sont généralement les facteurs de temps et d’effort. Des notions qui n’existent pas lorsque l’immersion est précoce.
Quant aux avantages, les études scientifiques démontrent de réels bénéfices :
- Un développement de la plasticité neuronale accru, notamment au niveau de la substance grise du cerveau
- Une amélioration des fonctions cognitives et exécutives
- Une augmentation de la concentration et de l’attention
- Une dextérité mentale qui permet une plus grande créativité (capacité à trouver des solutions)
« Sachons… exposer l’enfant, dès que possible à une seconde langue… L’immersion en langue étrangère peut transformer le cerveau en quelques mois ». S. Dehaene. (Apprendre ! Les talents du cerveau, le défi des machines)
Les langues sont bonnes pour la santé et le cerveau, n’en privons pas les tout-petits.


 
Article rédigé par : Catherine Léfèvre
Publié le 06 janvier 2023
Mis à jour le 12 juin 2023