Stéréotypes de genre : bien les comprendre pour mieux les combattre

Les filles en rose, les garçons en bleu… Au-delà de cet étiquetage symbolique, les clichés font des ravages parmi les deux sexes. Les schémas de genre contribuent à modeler des comportements jugés innés, mais qui constituent autant de normes sociales pour les tout-petits, puis pour les adultes qu’ils vont devenir… Décryptage.
Les stéréotypes de genre sont la croyance que certaines aptitudes ou certains traits de personnalité spécifiques aux garçons d’une part, aux filles d’autre part, seraient présents dès la naissance. Avec, comme corollaire, l’idée que le matériel génétique conditionne les uns et les autres à assurer certains rôles dans la société, selon qu’on est né mâle ou femelle. « Parmi ces idées reçues, toujours fermement ancrées dans les inconscients collectifs : les femmes seraient naturellement multitâches, sensibles, empathiques mais incapables de lire une carte routière, tandis que les hommes seraient bons en maths, un peu bagarreurs et attirés par la compétition », énumère Catherine Vidal, neurobiologiste et directrice de recherches honoraire à l’Institut Pasteur, membre du comité d’éthique de l’Inserm et co-responsable du groupe Genre et Recherche en santé*.

Bébé pleure : la petite fille « a peur », le garçon « est en colère »
Ces stéréotypes se profilent et se modèlent avant même la naissance, via les projections des adultes sur le sexe de leur enfant. « Si le ventre pointe en avant, si le bébé bouge beaucoup, on évoquera plutôt un garçon », illustre Christine Détrez, professeure de sociologie à l’ENS Lyon et spécialiste des questions de genre.**  Ces codages arbitraires du comportement « genré » se poursuivent face aux tout-petits. « Lors d’expériences américaines, les « Baby X Studies », on a montré à des adultes des séquences comportementales au cours desquelles des bébés, catalogués « filles » ou « garçons », étaient confrontés à différents jouets dont certains les faisaient pleurer, raconte Pascale Molinier, professeure de psychologie sociale à Paris XIII - Villetaneuse.
Il a été constaté que les pleurs étaient plus souvent interprétés comme de la peur lorsque le bébé était déclaré « fille » et plus souvent comme de la colère pour un « garçon ». Les études prouvent que dès l’âge de deux ans, les normes de comportement s’imposent aux bambins des deux sexes : « On ne se tient pas comme ça quand on est une fille » ou « tu es un garçon, il ne faut pas que tu pleures ».

Un carcan renforcé par une offre culturelle qui constitue une autoroute à stéréotypes. «  Avant même qu’ils sachent lire, petites filles et petits garçons sont bombardés de schémas hyper genrés, au travers non seulement du décor de leur chambre ou de leurs vêtements, mais aussi des films, des dessins animés, des catalogues de jouets ou de la littérature jeunesse », note Catherine Vidal. Et ce, à un double niveau. D’une part, la différenciation. Les filles doivent toutes être soignées, douces, discrètes et aimantes. Tandis que les garçons sont représentés comme de petits costauds touche-à-tout, programmés pour se dépasser, physiquement et psychologiquement, et de gagner. D’autre part, la hiérarchisation. « L’âge adulte ne fera que confirmer ce qui se profile déjà dès la petite enfance, à savoir que la société reconnaît davantage les professions de leaders que les métiers du soin et de l’entraide », regrette Catherine Vidal.

Une détermination biologique quasi inexistante entre les deux sexes.
Devant cet enjeu sociétal indéniable qu’est la question du genre, comment lutter contre ces stéréotypes ? « La question est d’autant plus délicate que ces interprétations qui participent au façonnage du genre se font, le plus souvent, à l’insu des adultes, eux-mêmes socialisés dans ces rapports sexués », remarque Pascale Molinier. Piliers de cette démarche, les acquis des neurosciences qui, ces vingt dernières années, ont révolutionné notre connaissance du cerveau humain. Et ce, notamment grâce aux nouvelles techniques de l’imagerie cérébrale, qui ont permis de mieux comprendre comment se développe la matière grise des enfants, ainsi que les mécanismes de l’apprentissage. Les études ont mis en évidence le rôle majeur de l’environnement social et culturel dans la construction du cerveau : c’est la plasticité cérébrale.

C’est aussi grâce aux neurosciences que l’on sait aujourd’hui que la détermination « biologique » à être un homme ou une femme est extrêmement limitée à la base. « Les principales fonctions du cerveau qui diffèrent chez les garçons et les filles sont celles qui contrôlent les fonctions de reproduction, informe Catherine Vidal. Mais si l’on s’intéresse aux fonctions cognitives (intelligence, capacités de raisonnement, de mémoire, d’attention, de repérage dans l’espace…), les études montrent que chez les 0-3 ans, filles et garçons ont les mêmes aptitudes ! ».
Des capacités innées qui seront ensuite modelées par l’environnement. Beaucoup de travaux ont en effet montré que l’entourage n’a pas les mêmes attitudes selon que l’on s’adresse à des bébés ou filles. Les premiers faisant l’objet de davantage d’interactions physiques, les secondes de communication verbale : on leur parle plus, on leur chante des chansons... « Et si les filles expriment davantage leurs émotions que les garçons, c’est avant tout un phénomène social et culturel, toujours à cause de ce clivage sur ce que doit être le masculin et ce que doit être le féminin », estime Catherine Vidal.

Le genre : un concept éminemment politique.
Ancré au cœur des sociétés, le concept de genre est depuis toujours instrumentalisé à des fins politiques. En témoignent la violente polémique provoquée par les ABC de l’égalité récemment mis en place par l’Education nationale, démarche vidée de sa substance depuis. Le débat est le même en dehors de nos frontières, avec des solutions divergentes en fonction des choix idéologiques dominants. Ainsi, en Suède, a été mise en place dans les crèches une pédagogie « compensatoire » : si un sexe donné joue moins à un jeu, sont organisés des temps particuliers et non mixtes pour l’inciter à se l’approprier. A l’autre versant du prisme politique, certains mouvements conservateurs américains mettent en avant le supposé déterminisme des gènes et des hormones pour lutter contre la mixité à l’école et prôner un enseignement différencié selon les sexes…

La question étant résolument transverse et internationale, c’est de manière transverse et internationale que se concoctent solutions et alternatives. Ces travaux sont notamment menés, depuis 2000, au travers de Neurogendering, un réseau international en neurosciences regroupant des experts multidisciplinaires (biologistes neuroscientifiques, philosophes, sociologues des sciences, psychologues…). Publications scientifiques, actions en direction des professionnels de la petite enfance (cf. article annexe) ou dans les établissements scolaires… Partout, il faut semer des graines. « Même si cela peut paraître répétitif, il faut dénoncer et dénoncer encore ces stéréotypes, appuie Christine Détrez..Car non seulement l’on n’est pas encore dans une société égalitaire, mais le retour en arrière peut aller très vite. Et ce travail de changement des mentalités doit démarrer dès la petite enfance, car il bien plus difficile d’intervenir après ».


* Auteure de « Nos cerveaux, tous pareils, tous différents », Belin, 2015.
**« Quel genre » ? Thierry Magnier, 2015 .« Les femmes peuvent-elles être des Grands Hommes ? », Belin, 2016
Article rédigé par : Catherine Piraud-Rouet
Publié le 12 novembre 2016
Mis à jour le 16 mars 2021
bonjour, cet article est très intéressant, merci pour le partage. cependant je ne vois pas l'article annexe a propos des actions en direction des professionnels de la petite enfance. cela me serait très utile.