Trois devises inspirantes pour la rentrée

La rentrée, c’est du concret : préparer l’accueil des enfants et de leurs familles, se concerter avec les collègues, aménager les espaces et prendre en compte d’autres contraintes organisationnelles. Tout cela dans le contexte d’un secteur professionnel en tension. Ce qui ne devrait pas empêcher de penser aussi à l’instauration d’un climat propice à l’épanouissement des enfants.  Fabienne-Agnès Levine, psycho-pédagogue, vous propose  de puiser dans les écrits du passé des petites phrases qui donnent envie de se recentrer sur sa mission éducative, quelle que soit sa formation initiale – ou son absence de formation.
« Laissez mûrir l’enfance dans les enfants. »
Depuis 260 ans, les pensées de Rousseau ne cessent d’alimenter des débats autour de l’éducation. En écrivant « Laissez mûrir l’enfance dans les enfants », le philosophe visait le début de la vie, comme le montrent les lignes qui suivent : « Sacrifiez dans le premier âge un temps que vous regagnerez avec usure dans un âge plus avancé. » Rousseau nous invite à renoncer aux interventions précoces visant à la future réussite scolaire et sociale, à éviter de solliciter le raisonnement avant les sensations, à préserver la liberté de l’enfant autant que possible. Il ne dit pas qu’un jour il ne faudra pas donner des règles de vie sociale et demander à l’enfant d’assimiler des connaissances. Ce qu’il dit, c’est que chaque âge doit être vécu pleinement. Recommandation utile à l’époque où l’école maternelle est devenue obligatoire, où l’anxiété sur l’avenir concerne tout le monde, où les parents s’inquiètent de ne pas donner suffisamment d’atouts à leur enfant pour le monde tel qu’il est. Autrement dit, à chaque âge ses joies et ses peines ; à chaque âge ses apprentissages et ses progrès ; à chaque âge son degré de liberté et ses freins. N’oublions pas que les années bébé sont précieuses en soi et pas seulement en tant qu’étape du développement.

« La tête, le cœur et les mains. »
Depuis l’Antiquité, la triade « tête, cœur, mains » se retrouve chez plusieurs auteurs pour désigner la pensée, la sensibilité et l’action. Au XIXe siècle, le pédagogue Pestalozzi en avait fait sa maxime. Ses biographes racontent même qu’il murmurait très souvent ces trois mots, en plus de les utiliser dans ses écrits. La tête représente les fonctions mentales (la perception, la mémoire, la pensée, le langage…) ; aujourd’hui, on dirait « le cerveau ». Le cœur renvoie aux affects mais aussi aux valeurs morales ; aujourd’hui, on dirait peut-être « les émotions et l’empathie ». Les mains, ce sont les capacités physiques, en général en lien avec les capacités intellectuelles, mais aussi les capacités artistiques ; à présent, on dirait « l’activité » ou « l’action ». Pestalozzi considérait que le développement harmonieux de l’enfant devait viser les trois niveaux, tout en accordant une priorité pour le cœur. « Tête, cœur, mains » est une autre manière de parler du développement global du très jeune enfant avec une intrication entre les registres sensoriel, moteur, émotionnel, intellectuel, langagier, etc.

« Nous devons, en éducation, admettre la joie. »
Le mot « joie » a la même origine latine que « jeu » : jocus. D’ailleurs, la citation fait directement suite à une phrase qui parle du jeu : « La joie que l’enfant trouve en jouant est la preuve qu’il doit jouer. » La joie est une notion centrale dans les méthodes actives fondées il y a un siècle pour offrir une alternative à la pédagogie traditionnelle. D’un côté, une relation adulte-enfant basée sur la crainte et l’autorité ; de l’autre, le bien-être et le plaisir d’apprendre. En 1933, lorsque cette phrase a été prononcée dans une conférence sur l’éducation de l’enfant de moins de 6 ans par le fondateur d’une méthode active, Decroly, placer la joie au cœur de la relation était audacieux. Aujourd’hui encore, elle invite à s’engager dans une posture éducative qui consiste à veiller sur plutôt que surveiller et à se laisser influencer par la légèreté des enfants qui vivent l’instant présent avec intensité et émerveillement. Autrement dit, être suffisamment bienveillant. Loin d’un sourire commercial figé, il s’agit de travailler sur soi pour laisser ses problèmes au vestiaire et pour être souriant, au sens d’accueillant et serein.

Ouvrons la voie à d’autres petites phrases, pas les plus originales ni les plus difficiles à comprendre, mais celles qui peuvent soutenir la réflexion d’équipe ou qui ont leur place sur les murs à la vue des professionnels et des parents.

Belle rentrée à toutes celles et tous ceux qui ne se disent pas « C’est fatigant de s’occuper des enfants » ! Ce à quoi Korczak ajoutait dans son célèbre poème pédagogique de 1925, rédigé en polonais : « Ce qui fatigue le plus, c’est plutôt le fait d’être obligé de s’élever jusqu’à la hauteur de leurs sentiments. De s’étirer, de s’allonger, de se hisser sur la pointe des pieds. Pour ne pas les blesser. » Sans pour autant oublier les conditions nécessaires à cette disponibilité psychique, à savoir la reconnaissance, la revalorisation des professions de la petite enfance et les moyens d’un accueil de qualité.

 
Article rédigé par : Fabienne-Agnès Levine
Publié le 31 août 2022
Mis à jour le 28 septembre 2022