Un jeune enfant peut-il s’ennuyer ?
L’ennui ennuie les adultes
L’ennui est un sentiment profondément dévalorisé dans notre société. Il s’apparente à une sensation de malaise, une forme de lassitude, de fainéantise, d’abattement, de paresse. Certains y voient même le symptôme d’une pathologie, s’approchant de la mélancolie ou de la dépression. A vrai dire, l’ennui est aux antipodes de tout ce qui est valorisé : le dynamisme, la vitalité, l’activité physique, la productivité. Cherchant à tout prix à préserver le jeune enfant de « l’ennui », certains professionnels vont jusqu’à multiplier les activités. Pourquoi ceux-ci redoutent-ils autant que l’enfant ne « fasse rien » ? Les raisons sont multiples. Certains sont intimement convaincus qu’un enfant qui ne « fait rien » risque de s’ennuyer. L’adulte vient là projeter sa propre angoisse du vide, son propre ressenti sur l’enfant. D’autres estiment qu’un enfant qui « s’ennuie » risquera davantage de mordre, taper ou griffer les autres enfants. Par moments, cette crainte que les enfants s’ennuient est largement alimentée par la direction de l’établissement ou les parents eux-mêmes.
Bienvenue dans un monde imaginaire
Pourtant, encourager un enfant à « ne rien faire » – ce que certains qualifieront d’ennui – permet à l’enfant de se plonger dans un monde imaginaire, d’ouvrir la porte de son jardin secret, d’entreprendre un voyage intérieur. L’ensemble de ces aventures participeront au développement de son épanouissement, sa créativité, sa mémoire, son observation, son imagination mais aussi son autonomie psychique. Offrir à l’enfant des plages de temps libre lui permet également de renforcer sa concentration. Tel un muscle, la concentration d’un être humain (enfant comme adulte) nécessite des temps de pause pour éviter le surmenage et fonctionner au mieux de ses capacités. Enfin, rappelons qu’un enfant ne fait jamais « rien » et que celui qui est physiquement inactif a de grandes chances d’être psychiquement actif. Un exemple : dans le cerveau d’un bébé qui ne ferait « que » dévisager sa référente en train de répondre au téléphone s’opère en réalité des milliers de connexions entre les neurones, chaque seconde. Le cerveau des jeunes enfants est programmé pour apprendre, découvrir et explorer les moindres détails de leur environnement humain et physique. L’ennui n’y a pas sa place. Comment les tout-petits pourraient-ils se lasser d’un monde qu’ils sont en train de découvrir ?
L’ennui n’existe pas
D’ailleurs, il suffit de se pencher un plus minutieusement sur la question de l’ennui pour se rendre compte que l’ennui… n’existe pas. Ou du moins, pas dans la nature. Dans son ouvrage « S’ennuyer, quel bonheur » (Armand Colin, 2007), Patrick Lemoine, psychiatre et docteur en neurosciences, souligne que le mot « ennui » n’existe pas dans toutes les langues, le chinois par exemple. C’est aussi le cas de certaines cultures occidentales qui valorisent la méditation. Les ethnies qui vivent dans des conditions naturelles et qui luttent quotidiennement pour leur survie ne connaissent pas non plus l’ennui. L’ennui naîtrait précisément du décalage entre l’homme et son environnement : plus les conditions de vie s’éloignent des conditions naturelles de l’être humain, plus celui-ci peut est susceptible de s’ennuyer. L’ennui est, au final, un luxe des sociétés sédentaires et urbanisées pour qui la nourriture et la sécurité sont assurées.
Fin mot de l’histoire : l’ennui n’existant que dans la tête de l’adulte, évitons de contaminer les enfants avec notre propre appréhension de l’inactivité. Et profitons-en, nous aussi, pour lever le pied et « ne rien faire », de temps en temps !
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