L’insoutenable légèreté des MAM

Les Maison d’Assistants Maternels (MAM), depuis leur création connaissent un vrai succès. Auprès des professionnels, des collectivités territoriales et des parents. Néanmoins, ce mode d'accueil d'un genre nouveau apparait comme fragile. Beaucoup de créations, beaucoup de fermetures aussi. Les MAM,  selon Pierre Moisset sociologue, souffriraient de ce qui fait leur spécificité : à mi chemin entre le collectif et l'individuel, elles sont inclassables ! Et présentent pour les communes comme pour les services de PMI chargés de leur agrément,  autant d'opportunités que de de difficultés. En cause notamment, le flou réglementaire qui les entoure.
L’irrésistible essor des MAM
Créées dans le cadre de la loi n° 2010-625 du 9 juin 2010, les Maison d’Assistants Maternels sont issues de la mobilisation associative d’assistants maternels du département de la Mayenne pour exercer leur profession en « équipe » en dehors de leur domicile. Leur initiative a été alors soutenue par le sénateur Jean Arthuis dans la perspective d’un soutien à l’offre d’accueil des assistants maternels (notamment pour les professionnels ne disposant pas d’un logement adapté) et d’une meilleure couverture des espaces ruraux peinant à développer des EAJE. D’abord expérimentées sur ce premier territoire, les MAM ont, ensuite, été étendues à l’ensemble du territoire national par la loi sus-citée de juin 2010. Ainsi on comptait 1584 MAM en 2015 (avec une progression de 22% par rapport à 2014), principalement dans l’Ouest et le nord de la France. Les projections sur l’année 2016 réalisées avec les données de Association Nationale de Regroupements d'Associations de Maisons d'Assistants Maternels (ANRAMAM) sur les projets de création de MAM laissaient supposer l’existence possible de plus de 2500 MAM et même de près de 3500 en 2017 (alors qu’on n’en comptait qu’un peu plus de 500 en 2012).

Ces structures sont, en effet, attractives pour les professionnels. Les assistants maternels y viennent, souhaitant soit disposer de locaux plus adaptés que chez elles et/ou externaliser leur activité d’accueil afin de préserver leur vie familiale. A ces assistants « transférant » leur activité d’accueil de leur domicile à la MAM s’adjoignent significativement d’autres professionnels de l’accueil de la petite enfance. Ainsi, d’après le rapport du CREDOC de 2013, 57% des assistants débutant leur activité en MAM ont un diplôme en rapport avec la petite enfance (ce qui peut indiquer qu’ils ont exercé avant en structure). De même, près de 10% des assistants maternels travaillant en MAM (débutant ou non leur activité dans ce cadre) ont travaillé dans le domaine de la petite enfance en structure collective ou en milieu scolaire auparavant. Les MAM semblent ainsi représenter une « troisième voie » et un point de convergence des aspirations de professionnels de l’accueil individuel et collectif de la petite enfance.

Des situations localement contrastées
Si les MAM sont en plein essor, celui-ci n’a pas la même intensité sur tous les points du territoire. On peut ainsi tenter de mesurer la différence d’intensité de création de MAM par département en faisant le ratio entre le nombre de MAM  en activité et le nombre d’agréments assistants maternels exerçant sur le département. Ainsi, si l’on trouvait dans l’ensemble des départements un même engouement des assistants maternels et un même accueil des PMI pour développer cette formule d’accueil, ce ratio devrait avoir un peu partout la même valeur. Et ce n’est pas du tout ce qui se passe.
Ce ratio a une valeur allant de 30 à 60 agréments d’assistants maternels pour une MAM en activité (c’est à dire un fort taux de place d’accueil individuel proposés sous forme de MAM) et ce plutôt des départements ayant peu d’agréments d’assistants maternels (moins de 1000 pour la Lozère, la Corse du Sud et la Creuse) et un développement d’une dizaine de MAM ; mais aussi des départements comptant plusieurs milliers d’agrément d’assistants maternels mais connaissant un très fort développement de MAM (plusieurs dizaines) comme pour la Mayenne, les Pyrénées Orientales et le Vaucluse.

On repère donc déjà des contextes départementaux dans lequel les MAM viennent, peut être, redynamiser une faible offre d’accueil en assistant maternel et des contextes départementaux où elles participent de l’essor ou du maintien d’offre d’accueil individuelle déjà forte. D’autres départements présentent un ratio de près de 3000 agréments d’assistants maternels en activité pour une MAM (pour la métropole de Lyon ou Paris). Un ratio aussi élevé concerne plutôt des départements urbains comme l’Essonne, le Val de Marne, le Grand Lyon et Paris qui comptent donc plusieurs milliers d’agréments et très peu de MAM.
On peut faire l’hypothèse que ce qui joue les concernant est plutôt la difficulté de trouver des locaux adaptés. Mais on trouve également, avec des ratio agréments /MAM très élevés des départements plutôt ruraux comme la Charente, la Marne et l’Aisne qui comptent pourtant plusieurs milliers d’agrément mais un très faible développement des MAM. Pour ces départements, l’argument des locaux tient moins (sinon il pourrait tout autant s’appliquer à des départements comme la Mayenne et le Vaucluse qui sont dans des situations inverses), on a donc bien à faire à une dynamique locale différente. Une dynamique qui peut être due à un mélange de plusieurs causes : une moindre tolérance des services de PMI, une population d’assistants maternels plus vieillissante et moins encline à ces nouvelles formes d’accueil, une moindre dynamique associative sur le territoire etc.

MAM, une vraie opportunité pour les communes rurales
Quelles sont les raisons qui expliquent un tel essor des MAM ? Nous ré-aborderons dans un autre article de ce dossier, les motivations des professionnels, qu’ils viennent de l’accueil individuel ou de l’accueil collectif, pour travailler sous cette formule. Attardons nous ici sur les motivations des collectivités locales. Pour les élus des petites communes rurales, les MAM représentent une opportunité :

« Il apparaît que l’avènement des MAM dans le paysage des modes d’accueil puisse sembler très attractif par certaines équipes municipales.  En effet, il arrive régulièrement aux différents services des PMI d’être sollicités par les Maires pour les aider à créer une MAM. Or, une telle démarche est inversée.  Une MAM n’est pas un établissement d’accueil du jeune enfant, géré par un gestionnaire et encadrée par un référent technique, il s’agit d’une démarche conjointe de candidats à l’exercice professionnel d’assistants maternels en un même lieu.  Même si l’accueil réalisé s’apparente à un accueil collectif, il dépend, en droit, du cadre de l’accueil individuel. Quand bien même une MAM est inaugurée, voir présentée à la population comme « un nouvel accueil collectif », une mairie ne peut interférer dans le contrat de gré à gré qui lie les parents à l’assistant maternel. » remarque Lydie Gouttefarde, chef de service expertise modes d’accueil à la direction de la Pmi et de la santé  du conseil départemental de l’Essonne.

 L’ouverture d’une MAM, même si elle consiste parfois uniquement en la « conversion » d’un nombre de places d’accueil individuel proposées à domicile en place d’accueil proposées au sein d’un même local, apparaît comme une « création » de places. Mais l’ouverture d’une MAM peut être également une réelle opportunité de dynamiser ou pérenniser une offre d’accueil sur un territoire comme le souligne Élisabeth Laithier , adjointe au maire de Nancy et co-présidente du groupe Petite Enfance de l’Association des Maires de France( AMF). :

« Premier point, un point positif, avec les retours que nous pouvons en avoir, les MAM sont de réelles solutions dans les communes qui n’ont pas les moyens de porter des structures d’accueil ou d’apporter leur soutien à un gestionnaire privé. Et vu sous un autre angle, les MAM sont intéressantes parce qu’elles peuvent être créatrices d’emploi parce qu’elles permettent à des femmes qui ne peuvent pas accueillir chez elles, d’exercer un métier, donc c’est créateur d’emplois.»


MAM : un outil de rééquilibrage de l’offre d’accueil pour les grandes villes
Pour des communes bien plus importantes et franchement urbaines voire métropolitaines comme Paris, l’appui à l’essor des MAM s’inscrit dans une toute autre dynamique. Ces communes ou métropoles comptent plusieurs milliers d’assistants maternels en activité, mais leur problème est que ces professionnels n’exercent pas dans les quartiers ou arrondissements où les parents potentiellement employeurs – et demandeurs de places d’accueil – résident. L’appui à la création de MAM (par l’aménagement et la mise à disposition de locaux à des conditions avantageuses) s’inscrit donc déjà dans un projet de rééquilibrage local de l’offre. C’est ce qu’évoque Sandrine Charnoz, conseillère déléguée à la petite enfance de Paris :

« On souhaite rapprocher les assistants maternels des familles qui pourraient avoir des besoins. Sachant que les assistants habitent aux portes de Paris alors que les familles qui ont des besoins non. Aussi, sur Paris les assistants maternels sont plus souvent au chômage que dans le reste de la France. Donc, le soutien au MAM est un moyen de rapprocher les ass mats des familles qui pourraient avoir besoin. C’est une démarche de mise en visibilité, de mise en relation. » Au moment de notre entretien avec Sandrine Charnoz, une MAM était sur le point d’ouvrir dans le 11ème arrondissement et plusieurs autres en projet. La mairie soutenait particulièrement (avec une prise en charge du loyer des locaux pouvant aller jusqu’à 70%) les créations dans les zones de fortes tensions entre demande et offre d’accueil du jeune enfant.


Principal reproche : La MAM, une forme de quasi accueil collectif dérégulé
C’est un des principaux reproches fait aux MAM : ces espaces d’accueil seraient quasi-collectif au sens où ils accueillent un collectif d’enfants, et peuvent même accueillir plus d’enfants qu’une micro-crèche et ne sont, pourtant, pas régis par la réglementation de l’accueil collectif. Lydie Gouttefarde, le souligne :

« Il arrive régulièrement que des professionnels de la petite enfance diplômés ou qualifiés s’interrogent sur les conditions d’accueil en MAM. Entre l’accueil qui ressemble à de l’accueil collectif, les contraintes qui ne sont pas comparables en matière notamment bâtimentaire, ou alimentaire, le profil différent des encadrants des enfants, et l’absence de directeur ou référent technique, la concurrence leur paraît souvent difficile à comprendre ».

Ces remarques pourraient passer, à première vue, pour le reflet d’une sorte de réflexe statutaire ou corporatiste de professions de l’accueil collectif.
En effet, issues d’une expérimentation, les MAM se développent non pas dans un vide juridique mais, disons, dans une grande légèreté juridique. De ce fait, cette forme d’accueil et son succès sèment le trouble : est-il possible d’accueillir des enfants dans un contexte collectif sans être soumis à une réglementation qui se veut garante de la qualité du collectif d’accueil ? Une réglementation qui porte sur les formations nécessaires des professionnels, leur encadrement et leur accompagnement ; mais une réglementation qui porte également sur les normes à propos des bâtiments, de la restauration etc… Et si oui, alors qu’est ce qui garantit la qualité de l’accueil collectif si ce n’est cette réglementation ?

Les questions sont d’importance et le trouble profond. Les professions de l’accueil collectif peuvent se sentir attaquées par l’existence des MAM, tant sur leurs compétences supposées que sur leur articulation au sein d’équipes hiérarchisées et structurées par des projets. Il faut bien souligner ce point : dans le fait qu’aujourd’hui les MAM soient en plein essor et, pour une bonne part d’entre elles, fonctionnent, il y a une remise en question de fait de l’ensemble des normes appliquées aux formations et à l’organisation des professionnels de l’accueil collectif. C’est ce que remarque également Élisabeth Laithier :

« Alors le point qui nous ennuie c’est que le mode de fonctionnement de ces MAM surtout grâce à la délégation d’accueil est finalement très proche de celui d’un accueil collectif, parce qu’une MAM avec 4 assistants maternels elles sont très proches d’une micro-crèche. Et en ce qui concernant la délégation d’accueil une ass mat peut accueillir jusqu’à 6 enfants. C’est quasiment le ratio en EAJE. Ce qui nous inquiète c’est ce mode de fonctionnement très proche des EAJE alors qu’il est appliqué à un mode d’accueil individuel. »


Par delà ce premier aspect « corporatiste » et cette crainte de confusion, l’interrogation sur la légèreté juridique dans laquelle fonctionnent les MAM a également une autre dimension. Ces lieux d’accueil (pour ne pas dire ces établissements) accueillent du public sans être soumis ni aux normes bâtimentaires des établissements accueillant du public ni aux normes de restauration collective.
A ce niveau là, ce ne sont plus les prérogatives ou la définition de certaines professions qui sont « attaquées » par l’existence des MAM, mais les limites de ce que l’on appelle un « collectif » ou un « lieu public ». Les MAM, en combinant des accueils individuels basés initialement dans des espaces domestiques dans un même espace commun, créent un « espace hybride » qui a toutes les caractéristiques d’un lieu public et collectif tout en restant géré par un droit individuel.

 Les MAM, sources de confusion pour les élus
Les MAM semblent donc bien se développer « entre » les deux grands paradigmes qui structurent l’accueil de la petite enfance dans notre pays : le paradigme familial-domestique propre à l’accueil individuel en assistant maternel et le paradigme sanitaire-social propre à l’accueil collectif. Entre les deux, soit, mais en ressemblant furieusement à du collectif, ce qui amène certains élus à faire allègrement la confusion apparemment. La confusion est de taille, parce qu’en effet, un établissement d’accueil collectif peut être très difficile à monter parce qu’il faut construire ou installer les locaux aux normes (ce qui est moins strictement le cas pour une MAM) et trouver des professionnels qualifiés dans les bonnes proportions (là où une MAM est « simplement » issue de la volonté de se regrouper de plusieurs assistants maternels). Mais après cela, on peut relativement compter sur la stabilité et la pérennité de l’établissement. Les professionnels sont embauchés et structurés dans leur collaboration quotidienne. Rien de tout cela en MAM, issues de la volonté et du projet d’installation de plusieurs assistants maternels souhaitant travailler ensemble, une MAM peut se dissoudre très rapidement lorsque ces professionnels ne souhaitent plus ou ne peuvent plus travailler ensemble. Et c’est là que l’on s’affronte à la question de l’instabilité des MAM.

 MAM : une forte instabilité
Autre limite du modèle des MAM, leur forte instabilité. La remarque est fréquente, même si l’on ne dispose pas de données fiables sur ce phénomène. En effet, la fermeture ou la transformation d’une MAM (par le départ d’un ou plusieurs assistants maternels du projet, ou leur remplacement) ne se traduit pas par une création ou une destruction de places d’accueil mais par une simple reconversion de ces places d’un accueil en MAM à un accueil dans un cadre domestique. Le département de Loire-Atlantique a commandé en 2013 une étude mettant en exergue la fragilité de ces structures, notamment du fait des tensions entre professionnels, des différences d’engagement dans le projet et des différences de pratiques envers les enfants et les parents. Mais, si l’on sait que nombre de projets échouent ou s’arrêtent au bout d’un temps, on ne sait pas encore mesurer le phénomène. Néanmoins, sur ce point, les différents acteurs interrogés convergent : les MAM sont instables et peuvent, à ce titre, être une « fausse promesse » pour la promotion des places d’accueil sur un territoire. C’est ce que souligne Élisabeth Laithier :« Le cadre fixé par la loi sur la pérennité de ces structures n’est pas assez clair. Parce que nous avons déjà eu des exemples de MAM qui se disloquaient et à ce moment là les familles se retournent immédiatement vers le maire. Et c’est compliqué. Et c’est une responsabilité qu’il faut que nous ayons à l’esprit en tant qu’élu. »

Encore une fois, contrairement à une structure collective d’accueil, une MAM peut disparaître quasiment du jour au lendemain, laissant les parents et les élus face à un problème et une urgence de taille. Et ce problème est surtout valable pour les petites collectivités qui peuvent être d’autant plus tentées (on l’a vu) par l’ouverture de MAM qu’elles n’ont pas les moyens de porter l’ouverture de structure collective. Ces petites communes auront également moins les moyens et d’accompagner les MAM dans leur fonctionnement et de récupérer les pots cassés en cas d’arrêt de la structure. Ce n’est pas le cas pour une très grande ville comme Paris qui a, et les moyens de soutenir l’essor des MAM, et celui de « réparer » la casse si certains projets devaient échouer :

« Non, on n’a pas de craintes par rapport à l’instabilité des MAM. Et puis si on les suit c’est pour ça. On n’est pas plus à l’abri qu’avec d’autres modes d’accueil et on est en capacité à Paris de reprendre les enfants. Je pense que le soutien et la confiance c’est important. Après c’est un pari pour les assistants maternels qui s’engagent. C’est un petit challenge, elles ont généralement un caractère assez fort celles qui se lancent là dedans. » explique Sandrine Charnoz


Un cadre souple mais trop flou
Les MAM sont donc aujourd’hui bien installées dans le paysage de l’accueil du jeune enfant dans notre pays. Nombreuses, en plein essor. Mais elles sont aussi insoutenablement légères par bien des aspects.
Sous l’angle juridique puisqu’elles instaurent et font vivre de fait des collectifs d’enfants au sein de lieux accueillant du public, sans relever d’une juridiction de l’accueil collectif et de lieux accueillant du public.
Légèreté également de l’encadrement réglementaire et normatif. Les textes cadres sont rares et purement incitatifs, laissant certaines collectivités locales éditer des chartes pour cadrer, un peu plus, les choses à leur niveau. Légèreté de la formation des professionnels (du moins suivant le point de vue des professionnels de l’accueil collectif). Les assistants maternels paraissent bien trop peu armées pour animer un collectif d’accueil de jeunes enfants avec leur 80 heures de formation en début d’activité et leur 120 heures de formation au final. Enfin, légèreté de l’existence même de ces structures.
Peu coûteuses à créer, légères réglementairement, les MAM sont aussi légères parce qu’elles peuvent disparaître rapidement, laissant parents et responsables publics démunis, avec les enfants sur les bras. Face à cela, la future loi ESSOC pourra amener quelques précisions, précisions qui sont impatiemment attendues par les acteurs locaux, ainsi qu’une meilleure coordination des différents acteurs de l’accueil de la petite enfance :

« Il faudrait un cadre juridique plus précis. Et la mairie elle a besoin de l’appui de la CAF et de la Pmi parce que l’élu à la petite enfance n’est pas forcément un spécialiste et la bonne volonté ne suffit pas. Et il faut un cadre juridique qui borde et un travail partenarial chacun dans son rôle et disant ce qu’il peut apporter. En gardant bien les prérogatives qui sont les siennes. » conclut Élisabeth laithier.


 
Article rédigé par : Pierre Moisset
Publié le 10 octobre 2019
Mis à jour le 15 octobre 2019