Daniel Lenoir, directeur général de la CNAF : « Les coûts d'investissements pour les crèches ont presque doublé en 10 ans »

Schémas départementaux de services aux familles, gestion des crèches, financement direct et indirect des modes de garde, mixité sociale, Maisons d’assistantes maternelles et micro-crèches … Daniel Lenoir, le directeur général de la Caisse Nationale des Allocations Familiales depuis 2013, fait le point sur ce qui fonctionne et fonctionne moins bien en matière de modes d’accueil du jeune enfant. Et précise ce qui, selon lui, doit être le rôle des CAF.
Les Pros de la Petite Enfance : En matière de modes d’accueil, quelle est aujourd’hui la politique de la CNAF… et des CAF ?
Daniel Lenoir : Il s’agit pour nous de continuer à développer les capacités d’accueil Petite Enfance de façon diversifiée. En clair nous devons répondre à la fois aux différents besoins des familles mais aussi des territoires. Et il y a actuellement une grande hétérogénéité. Par exemple en Haute-Loire 85% des besoins sont couverts, en Seine-Saint-Denis seulement 25% et en Guyane à peine 10%. Les schémas départementaux de services aux familles, en cours de généralisation, vont nous permettre d’adapter au mieux, département par département, l’offre à la demande.
Nous avons aussi un objectif de mixité sociale. Nous devons accueillir toutes les populations y compris les familles précaires. Nous allons lancer avec le Ministère un programme de crèches à vocation d’insertion professionnelle (VIP). Ce sera une convention signée entre la CNAF, le Ministère des Familles, de l’Enfance et des Droits des Femmes et Pôle Emploi. On le sait et le rapport de Terra Nova* l’avait souligné, l’accueil collectif est un puissant moyen de lutter contre les inégalités sociales. Notamment en ce qui concerne le langage. Nous soutenons toutes les initiatives qui vont dans ce sens (Parler Bambin, langues des signes pour bébé, etc.) Je pense qu’il y a la place pour toutes sortes d’expérimentations et nous ferons les évaluations des différentes méthodes ultérieurement. Nous sommes aussi attentifs à l’accueil des enfants porteurs de handicaps.
Toutes ces actions s’appuient sur les fonds « publics et territoires », la PSU (la prestation de service unique) pour les crèches et les schémas départementaux.

Micro -crèches, Mam, ce sont des modes d’accueil qui se développent beaucoup, quelle est votre politique en la matière ? Il y a parfois des irrégularités ou des disparités entre départements peu compréhensibles ?
Nous déclinons une politique nationale localement donc, il est parfois normal qu’il y a ait des disparités, c’est une façon de s’adapter aux situations locales et c’est le sens des schémas départements de services aux familles. Mais il est vrai aussi que, parfois, des dispositions nationales ne sont pas toujours respectées ou mal comprises donc mal interprétées. Contrairement aux établissements d’accueil du jeune enfant (EAJE) pour lesquels nous avons une doctrine nationale et que nous finançons directement, pour les micro crèches et les Mam ce sont les PMI qui décident ou non d’en autoriser l’ouverture.
Les MAM se sont développées de façon un peu anarchique et spontanée... Au début, les Mam n’étaient pas intégrées à la COG (Convention d’Objectifs et de Gestion) de 2014-2017. Au sein du réseau CAF, il y avait des positions opposées. Aujourd’hui, il y a environ 1230 MAM et nous préparons une circulaire qui constituera une approche commune PMI et CAF pour porter un avis favorable ou non sur un projet de Mam. Ce sera comme une charte d’accueil. Par ailleurs, cette circulaire prévoit aussi une prime à l’installation de 3000 € pour toute Mam qui se crée dans une zone prioritaire, c’est-à-dire là où l’offre ne comble pas la demande. Elle s’imposera à toutes les CAF. Et les porteurs de projets pourront s’en prévaloir. Il n’en demeure pas moins qu’une Mam qui n’a pas de statut juridique (par exemple associatif) ne pourra pas être aidée. Nous menons une politique de transparence : on publie les circulaires et elles doivent être appliquées.

Et pour les micro-crèches ?
Le nombre de micro-crèches a presque doublé en trois ans et il y a, à l’évidence, une nécessité de clarifier la doctrine. Cela dit là encore, ce sont les PMI qui donnent les agréments…
Il y a deux problèmes. L’un est assez simple à résoudre : plusieurs micro-crèches se créent au même endroit, dans le même immeuble. Ces micro-crèches mitoyennes constituent en fait une crèche collective cachée. C’est purement et simplement un détournement de la loi : il s’agit d’échapper aux normes d’encadrement et de sécurité qui s’appliquent aux crèches collectives de plus de dix berceaux. Dans le cadre du Plan crèches, nous allons demander à nos CAF de ne pas participer directement au financement de tels établissements mitoyens. Et d’une façon générale d’être très vigilantes sur la stabilité des projets. Mais si la PMI en autorise l’ouverture, via le Cmg (complément de libre choix de mode de garde), d’une certaine façon nous finançons. L’autre point préoccupant à propos des micro-crèches c’est qu’il s’en ouvre là où il n’y a pas de besoins, là où l’offre est saturée. Du coup cela déstabilise tous les efforts destinés à, au contraire, ajuster au mieux l’offre à la demande. Et encore une fois, c’est particulièrement problématique puisque nous les finançons indirectement via le Cmg. Par ailleurs, avec les micro-crèches, par exemple, nous ne pouvons vérifier la mixité sociale.

Il y a donc un problème avec le Cmg … ?
Je pense que pour la prochaine Convention d’Objectifs et de Gestion (COG) que nous commençons à préparer dès à présent, il faudra se poser la question de la PSU et du Cmg  et des effets de distorsion inhérents à ce double système. Grâce à la PSU que nous versons directement aux Etablissements d’Accueil du Jeune Enfant (EAJE) nous avons la capacité de réguler l’offre. Avec le Cmg, c’est impossible : dès lors que l’établissement est ouvert (micro-crèche notamment) nous avons l’obligation de le verser aux familles des enfants qui le fréquentent. Il faudrait harmoniser ces deux types d’aide ce qui permettrait d’avoir des politiques publiques cohérentes.

Le rapport de l’Observatoire national de la petite enfance que vous avez publié fin janvier fait état d’une baisse du recours aux assistantes maternelles pour la deuxième année consécutive. Comment l’expliquez-vous ?
A priori, je dirais que c’est dû au chômage : moins d’argent, plus de temps. Mais une étude est en cours pour analyser cette baisse. Et plus généralement, pour comprendre ce qui détermine le recours à tel ou tel autre mode de d’accueil. On n’arrive pas vraiment à expliquer ces mouvements et ces phénomènes.  
Nous allons cependant poursuivre notre accompagnement des assistantes maternelles, favoriser la création des Mam et encourager le développement des Réseaux d’assistante maternelle (Ram) qui sont de bonnes solutions pour les professionnelles et pour les enfants.

Les places en crèche, en revanche, continuent à se développer ?
Oui. Une étude menée par le service des Etudes et des Statistiques a commencé en septembre dernier à ce sujet.
En terme quantitatif, nous ne changerons pas les objectifs pris par la COG : 200 000 places collectives. En ce qui concerne la création de places, nous sommes en phase avec nos objectifs. En revanche, nous ne sommes pas bons sur la rénovation car on détruit autant de places de crèches qu’avant.
Pour avoir une meilleure compréhension de l’économie des crèches, nous avons commandé une étude dont nous n’avons pas encore les résultats définitifs, mais les premières tendances. L’étude porte sur les coûts de fonctionnement et les coûts d’investissement. Il semblerait d’ores et déjà qu’il y ait des écarts allant du simple au double sur les coûts de fonctionnement. Quant aux coûts d’investissements ils auraient quasiment doublé en dix ans. Et le pourcentage de notre financement des investissements a diminué : il est passé de 33% à 22%.
Or en 2015/2016, nous augmentons de 2000€ l’aide à l’installation des crèches.
En clair, ce qui se dessine avec cette étude, c’est que certaines crèches sont mal gérées. Nous faisons déjà des contrôles, nous allons les renforcer.


*http://tnova.fr/rapports/la-lutte-contre-les-inegalites-commence-dans-les-creches
Article rédigé par : Catherine Lelièvre
Publié le 15 mars 2016
Mis à jour le 28 juin 2017