Financement des EAJE : le point sur trois bonus de fonctionnement

Repris dans le Plan contre la pauvreté et inscrits dans la Convention d’Objectifs et de Gestion (COG) 2018-2022, les bonus « Mixité », « Territoire » et « Handicap » annoncent une nouvelle ère. Ils viennent corriger les effets pervers de la PSU qui n’étaient pas en cohérence avec le souhait du gouvernement d’ouvrir les crèches aux familles qui jusqu’alors en étaient exclues. Et d’aider les gestionnaires, notamment les collectivités locales, à ouvrir des EAJE dans des territoires sous-dotés, en particulier les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). Le point sur le dispositif, ses hypothèses de mise en œuvre et les choix finalement adoptés par le conseil d'administration de la Cnaf.
Il est certain que l’idée est bonne. Maintenant, tous les acteurs petite enfance intéressés par ces mesures sont d’accord sur un point : l’efficacité du dispositif va dépendre des conditions de sa mise en œuvre. Les critères d’attribution des bonus sont donc le point majeur. Et c’est celui qui peut encore faire l’objet d’arbitrages. Car les modalités proposées par les services de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) doivent encore être confirmées par un vote de la Commission d’action sociale de la Cnaf. Si celle-ci n’était pas en phase avec les propositions, les services devraient revoir leur copie. Pour l’heure voici les modalités proposées. Avec un parti-pris : que cela soit facile à mettre en œuvre et ne devienne pas « une usine à gaz ».

Des bonus de fonctionnement progressifs
Les trois bonus concernent le fonctionnement des EAJE. Ils seront donc versés par place et par an. Il ne s’agit pas d’aide à l’investissement donc à la création de nouvelles places même si certains comme le bonus « Territoire » peuvent d’une certaine façon y contribuer. Cela dit, les gestionnaires considèrent que dans un EJAE ce n’est pas la construction qui constitue le coût le plus important, mais le fonctionnement (et notamment le poste « salaires ») - d’où chaque année la destruction de places de crèches (environ 5000 par an). Les trois bonus aussi seront appliqués selon une grille qui permet une progressivité. A noter aussi : ces bonus s'appliqueront à toutes les places des EAJE concernés et que ces bonus seront effectifs dès 2019, avec pour le bonus mixité un paiement en 2020.

Le bonus « Handicap » : de 500 à 1300 €
En 2016, seuls 19,5% des enfants bénéficiaires de l’Aide à l’Éducation de l’Enfant Handicapé (AEEH) ont fréquenté une crèche. Et le récent rapport du Haut Conseil de la Famille, de l’Enfance et de l’Age (HCFEA) sur l’accueil et la scolarisation des enfants en situation de handicap de 0 à 6 ans relevait ce taux faible. Tout en insistant par ailleurs sur la nécessité d’accueillir très tôt les jeunes enfants rencontrant des difficultés et pouvant potentiellement être en situation de handicap, c’est à dire avant qu’un diagnostic précis ne soit posé. Et donc avant même qu’ils soient bénéficiaires de l’AEEH.
Il est admis que l’accueil d’enfants en situation de handicap nécessite un renforcement de personnel encadrant et demande des temps de réunion-concertation plus importants. Et selon l’estimation de la Cnaf, lorsque le nombre d’enfants concernés est élevé et dépasse les 7,5% d’inscrits, la crèche doit supporter un surcoût d’environ 20%.
De ce constat, il est proposé de verser un bonus de 500€ par place et par an aux EAJE qui comptent plus de 5% d’enfants inscrits bénéficiant de l’AEEH. Et un bonus de 1300 € à ceux qui en comptent plus de 7,5%.
Ce bonus représentant un budget de 33 millions d’euros pour le financement de 30 000 places.

Ces modalités ne faisaient pas vraiment l’unanimité.
Premièrement parce qu’elles ne prennaint en compte que les enfants bénéficiant de l’AEEH, alors même qu’avant trois ans, le plus souvent les difficultés sont en train d’apparaître (parfois c’est le lieu d’accueil qui les détecte) et qu’évidemment vu le temps nécessaire pour poser un diagnostic, ces jeunes enfants et leur famille ne sont pas encore éligibles à l'AEEH. A cela la Cnaf répond que « la mesure pourra être étendue à partir de 2020 aux enfants bénéficiant d’un Projet d’accompagnement indiviusalisé « handicap » (NDLR version handicap du PAI ?) dont les critères restent à définir, et ce dans la logique d’un repérage précoce ».
Deuxièmement, les gestionnaires relèvaient que l’aide devrait être octroyée dès l’accueil du premier enfant en situation de handicap … puisque pour un accueil de qualité, c'est dès le premier enfant que l’équipe doit faire face à un surcroît d’attention, de soins, donc de travail et de temps.
Du coup, la Cnaf a revu sa copie pour aboutir au dispositif finalement adopté le 2 octobre dernier. Un dispositif plus satisfaisant puisqu'il sera mis en oeuvre dès le premier enfant en situation de handicap accueilli. Toujours plafonné à 1300€ par place et par an, il variera en fonction du pourcentage d'enfants en situation de handicap (bénéficiant de l'AEEH) et du coût par place selon la formule suivante : bonus par place = % d'enfants en situation de handicap X taux de finacement X coût par place.
Les taux de financement s'articulant ainsi : moins de 5% d'enfants en situation de handicap accueillis par l'EAJE : bonus de 15% par place ; entre 5 et 7% : 30% par place ; plus de 7,5% : 45% par place. Selon la Cnaf, ce nouveau « scénario présente l'avantage de lisser les effets de seuils, de s'appliquer dès le premier enfant porteur de handicap accueilli et de tenir compte du coût réel de la structure»

Le bonus « Mixité » : de 300 € à 1200 €
C'est un bonus destiné à favoriser l’accueil d’enfants issus de familles pauvres et donc à encourager la mixité sociale dans les crèches, dont on sait par ailleurs que ce mode d’accueil collectif est particulièrement pertinent et efficace pour lutter contre les inégalités dès le plus jeune âge. Salué par tous lors de son annonce au moment de la signature de la COG, ce bonus suscite beaucoup d’espoirs notamment chez les gestionnaires associatifs, particulièrement investis dans cet accompagnement des familles fragiles ou en situation de précarité.
Concrètement, c’est un des correctifs de la PSU et de sa tarification horaire les plus attendus, puisqu’il permet de compenser la baisse des recettes liées à l’accueil de familles payant moins d’un euro de l'heure et surtout fréquentant la crèche avec plus ou moins d'assiduité. Et de toutes façons, sur des périodes généralement plus courtes que celles ayant choisi la crèche pour concilier leur vie professionnelle et leur vie familiale. Rappelons qu’aujourd’hui, 19,2% des enfants accueillis en crèche vivent sous le seuil de pauvreté et 30% des familles paient moins d’un euro de l’heure.

A l’annonce de ce bonus, la plupart des gestionnaires pensaient qu’il serait déclenché au regard d’un pourcentage d’enfants dits « pauvres » accueillis. Ils savaient aussi qu’en principe, il ne serait déclenché qu’au-delà des 20% d’enfants pauvres accueillis, 20% étant considéré comme la norme. Or il semble que l’administration ait imaginé un système un peu différent. En effet le bonus « Mixité » sera attribué en fonction de la participation moyenne familiale facturée par la crèche.
Ainsi un bonus de 2100€ par place et par an sera attribué pour toutes les places des EAJE qui comptent une participation familiale moyenne inférieure ou égale à 0,75€ de l’heure.
800€ par place pour les crèches avec une moyenne des participations familiales comprise entre 0,75€ et 1€ de l’heure.
Et 300€ par place pour les crèches dont la moyenne des participations familiales est comprise entre 1€ et 1,25€.
La Cnaf considère que le budget consacré a cette mesure serait de 55 millions d’euros pour un objectif de 90 000 places d’ici 2022.

Là encore il semble que le système proposé, qui a le mérite d’être simple, ne fait pas l’unanimité. La rogne est perceptible chez nombre de gestionnaires qui considèrent que ce n’est pas de la mixité sociale (car qui dit mixité, dit mélange des niveaux de vie des familles), mais qu’il s’agit plus d’une aide au fonctionnement des crèches qui accueillent des publics fragiles. En effet ce ne sont pas les places ouvertes aux enfants en situation de pauvreté qui bénéficient de ces bonus, mais toutes les places d’une crèche recevant des enfants dont les familles s’acquittent de participations modestes. Cela peut constituer une sérieuse aide pour les crèches établies dans des zones prioritaires ou dans les territoires QPV, et en cela c’est très cohérent avec les annonces de la Stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté et avec les objectifs de la COG. Avec un risque : constituer des crèches-ghetto ... ce qui n'est pas l'esprit de la mesure ! En revanche cela exclura toutes les crèches qui souhaitent, dans un réel esprit de mixité sociale, diversifier les familles accueillies et s’ouvrir aux plus démunies. Le feront-elles sans ce coup de pouce visant à compenser les inconvénients inhérents à ce type d’accueil (assiduité, participation familiale, et temps d’accueil) ?
Malgré les réserves émises, la Cnaf n'a pas modifié ce mode de calcul et c'est donc la moyenne des participations familiales qui sera le critère de base pour l'octroi de ce bonus.

Le bonus « Territoire » : de 700 € à 1000 €
Le seul bonus qui n’est pas en lien avec la PSU. Lui ne concerne que les collectivités locales (et certaines associations) dans le cadre du bientôt futur ex-CEJ (Contrat Enfance Jeunesse). Le bonus « Territoire » vise à encourager le développement de places d’accueil. D’ores et déjà, un forfait de 2100 € par place et par an serait - dans le cadre des conventions territoriales globales signées entre la Caf et les collectivités - proposé pour toute nouvelle place d’accueil créée où que ce soit sur le territoire.
Mais les territoires les plus précaires (ce qu’Emmanuel Macron, dans son discours sur le Plan contre la pauvreté, a appelé « les communes le plus pauvres ») recevront un bonus modulé selon leurs revenus potentiels et le niveau de vie de leurs habitants ou le quartier d’implantation de la structure d’accueil. Ce bonus « Territoire » pourra aller jusqu’à 700 € et être assorti d’une majoration spécifique de 1000 € si l’EAJE est situé dans une zone QPV.
Cette mesure correspond à un engagement annoncé par le président de la République lors de la présentation des mesures en faveur de la banlieue et repris dans sa présentation du Plan contre la pauvreté.



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Article rédigé par : Catherine Lelièvre
Publié le 20 septembre 2018
Mis à jour le 01 octobre 2020