Ordonnances modes d’accueil : le point sur la consultation

Norma. C’est sous ce nom de code qu’ont circulé les échanges autour de l’article 50 de la loi ESSOC et des futures ordonnances devant simplifier et faciliter l’implantation de modes d’accueil collectifs et individuels. Norma puisqu’un des points majeurs de la réforme sera la simplification des normes. Depuis le 15 juillet les contributions des différents acteurs du secteur de la petite enfance ont été remises à la Direction Générale de la Cohésion Sociale (DGCS) en charge du dossier au Ministère des Solidarités et de la Santé qui doit en faire la synthèse.
Cet automne, le projet d’ordonnances devrait être finalisé et la rédaction proprement dite des textes réglementaires lancée. Les ordonnances ESSOC seront publiées au plus tard en février 2020. Ce calendrier sera respecté.
Des contributions sérieuses et argumentées
Depuis fin mai en effet, période à laquelle la Direction générale de la Cohésion Sociale (DGCS) a remis son projet de texte soumis à la consultation, les partenaires sociaux ont été reçus au ministère et les acteurs du secteur ayant participé aux groupes de travail durant la phase de concertation invités à remettre leurs contributions écrites. Soit en remplissant un questionnaire, soit en écrivant un texte résumant leurs positions. Tous, de Pas de bébés à la consigne à la FFEC, en passant par l’Ufnafaam et l’ANAMAAF, l’Uniopss, l’AMF, la Fepem et d’autres, ont répondu. Au total près de 25 contributions dont certaines dit-on à la DGCS « de grande qualité. Avec de très bonnes idées ». Voici un point non exhaustif des contributions les plus significatives.

Pas de bébés à la consigne : priorité à la qualité de l’accueil
Le Collectif « Pas de bébés à la consigne », regroupant plus d’une vingtaine d’organisations professionnelles (associations ou syndicats), a été l’un des premiers acteurs du secteur à remettre sa copie. Dans sa contribution, Pas de bébés à la consigne commente et argumente les différents points du texte en reprenant l’essentiel de ses 20 propositions transmises au printemps dernier à la secrétaire d’État auprès d’Agnès Buzyn, Christelle Dubos. Son crédo : maintenir voire améliorer la qualité d’accueil du jeune enfant. D’ailleurs sa contribution s’intitule : « la qualité d’accueil comme boussole pour la réforme des modes d’accueil ».

Le texte reconnait que « certaines demandes des professionnels sont prises en compte dans leur principe » mais note « qu’elles appellent des garanties, notamment en termes de financement pour assurer leur effectivité et contribuer réellement à la qualité de l’accueil ». C’est le cas des temps d’analyse de pratique, de la généralisation du projet d’accueil ou de la mise en oeuvre de la Charte nationale d’accueil du jeune enfant, etc.
Quant à la qualification des professionnels, (le Collectif demandait un retour au 50/50) dit « accueillir favorablement l’engagement à maintenir le ratio 40/60 » mais demande que les ordonnances maintiennent expressément les professions faisant partie des 40%. Ce qui dans le projet semble être le cas.
Sur la question du taux d’encadrement où le texte soumis à consultation propose deux solutions : soit 1 pro pour 6 enfants quel que soit leur âge, soit 1 pour 5 avant 18 mois et 1 pour 8 après 18 mois, le Collectif en propose une troisième : 1 pour 5 avant 18 mois et 1 pour 7 après 18 mois … « ce qui en termes d’encadrement global revient à 1 pour 6 » précise Julie Marty-Pichon, l’un des porte-paroles de Pas de bébés à la consigne et présidente de la Fédération Nationale des Éducateurs de Jeunes Enfants (FNEJE). 

Enfin le Collectif dont rappelons-le l’un des slogans lors des mobilisations de mars et mai derniers était « les bébés ne sont pas des sardines », accepte le principe de 7m2 par enfant comme règle nationale et réfute le 5,5m2 par enfant dans les zones tendues. Zones tendues « qui selon le critère INSEE concernerait plus de 600 villes soit 22 millions d’habitants ! » accuse Julie Marty-Pichon. Par ailleurs le Collectif ne choisit aucune des solutions (fort complexes) prévues pour l’accueil en surnombre et préfère opter pour le statu quo.
Enfin sur les micro-crèches qui selon le projet rejoint pleinement le « camp » des EAJE, Pas de bébés à la consigne s’oppose à un accueil élargi au-delà de 12 enfants. « Si l’agrément allait au-delà, jusqu’aux 15 ou 16 enfants par exemple comme on a pu le lire dans certains documents, cela irait contre la lutte contre la pauvreté, l’un des engagements du gouvernement, puisque la plupart des micro-crèches sont des micro crèches -Paje » remarque Julie Marty-Pichon.

La FFEC, en colère, brandit le spectre de la destruction de places  
La Fédération des Entreprises de Crèche (FFEC), elle, ne décolère pas. Elle ne voudrait pas que sous couvert de simplification, on entraine des surcoûts pour les gestionnaires de crèche. Elle co-signe avec La Fédération Française des Services à la Personne et de Proximité (Fédésap) qui regroupe notamment des entreprises de gardes d’enfants à domicile, une contribution assez violente et vindicative intitulée sobrement « Travaux de simplification du cadre normatif applicable aux modes d’accueil du jeune enfant ». Mais accompagnée d’un communiqué de la FFEC qui lui tire la sonnette d’alarme : « Consultation ESSOC : la FFEC appelle le gouvernement à ne pas détruire de crèches ». Une argumentation simple que résume ainsi Elsa Hervy, la déléguée générale de la Fédération : « si les contraintes augmentent, les charges financières montent et il y a aura des fermetures et des destructions de places. ». En clair,  d’accord pour la simplification des normes mais à coûts constants pour les gestionnaires. C’est avec ce filtre du coût qu’elle a, avec la Fédésap, examiné le projet de la DGCS et formulé des propositions. C’est pourquoi souvent le statu quo a été préféré aux solutions nouvelles.
Dans leur texte commun les deux fédérations expliquent que « trois principes guident leur réponse : le maintien de la haute qualité des modes d’accueil et d’accompagnement ; aucun surcoût ne peut être décrété si une économie n’est pas réalisée par ailleurs ; à titre transitoire, une non-rétroactivité de règles aboutissant à des destructions de places et la rétroactivité des règles permettant la création de place. » Une rétroactivité à la carte en quelque sorte…

Puis toujours d’une même voix, FFEC et Fédésap alertent sur 4 points essentiels à leurs yeux.
• « Les propositions concernant le taux d’encadrement reviennent à augmenter de 15% la masse salariale. » La FFEC préfère un retour au critère de la marche (qu’elle a pourtant combattu car sujet à interprétation de la part des médecins ou puéricultrices de PMI) ou bien de remplacer 18 mois par 15 mois.
• « Celles relatives aux surfaces reviendront à augmenter les coûts de construction de place de 17%. » La FFEC refuse le 7m2 de surface utile par enfant et milite pour le 6m2 (et le 5, 5m2 dans les zones tendues. Avec une obligation d’une salle de motricité ou d’un espace extérieur de 20m2 sauf pour les micro-crèches.
• « L’une des solutions proposées pour l’accueil en surnombre (la deuxième) ne permettrait pas d’occuper effectivement tous les jours toutes les places et supprimerait de fait des dizaines de milliers de places. » Il est hors de question de « tuer l’accueil en surnombre » et donc la FFEC choisit la première solution proposée. (Ndlr : les EAJE ont la possibilité d’accueillir simultanément 20% en plus de la capacité autorisée à condition de ne pas dépasser un taux d’occupation hebdomadaire de 100% de la capacité d’accueil horaire autorisée).
• Enfin la Fédésap et la FFEC insistent pour que « garde à domicile » soit remplacé dorénavant par l’expression « accompagnement d’enfant à domicile », plus respectueuse « de ce mode et de ses procédures actuelles simples, justes, nationales et harmonisées tant lors de la délivrance de son autorisation d’exercice que de son contrôle ».

L’Uniopss : des craintes sur la qualité d’accueil et sur les micro-crèches
L'Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (Uniopss) a rendu sa copie début juillet. Elle y souligne les points positifs et d’accord sans éluder ceux qui la préoccupent.  De façon constructive et avec quelques propositions innovantes à la clef. Ses principales craintes concernent la qualité d’accueil qui selon elle s’appuie sur deux principes : mettre l’enfant au cœur de la politique d’accueil du jeune enfant et créer une culture commune de la petite enfance. En clair les modes d’accueil sont faits pour que l’enfant puisse se développer et s’épanouir et non pour répondre aux impératifs de gestionnaires et qui dit culture commune de la petite enfance dit convergence « normative et qualitative » de l’ensemble des modes d’accueil collectif et individuel. Partant de là, l'UNIOPSS, inquiète, explique qu’elle « sera particulièrement attentive à ce que les affirmations de principe sur la qualité ne restent pas des vœux pieux. »

Néanmoins, elle se félicite du maintien du ratio 40/60 et de la répartition des diplômes au sein de ce ratio, valide les propositions concernant les m2 par enfant, mais souhaite une précision de ce qu’est la « surface utile ». Quant aux taux d’encadrement, l’Uniopss n’est pas opposé au 1 pour 6, à condition que l’organisation de la crèche puisse prendre en compte les besoins spécifiques des bébés…

En revanche l’Uniopss s’inquiète de ce qui se dessine pour les micro crèches. Et annonce qu’elle « s’opposera à toute augmentation de places supérieure à 12 ». Son argumentation : si la capacité d’accueil augmentait sans révision du cadre réglementaire actuel, cela ferait craindre un affaiblissement de la qualité. Par ailleurs elle reprend la critique de Pas de bébés à la consigne concernant un éventuel développement des micro- crèches Paje qui serait en contradiction avec la stratégie de lutte contre la pauvreté.

Les points de vigilance de l’Ufnafaam et de la Fepem : les mêmes règles pour tous les assistants maternels quel que soit leur lieu de travail
En préliminaire à ses réponses, l’Union des fédérations nationales d’assistants familiaux et d’assistants maternels (Ufnafaam) a pris soin de préciser qu’elle était opposée à toute mesure qui différencie les assistantes maternelles exerçant à leur domicile et celles exerçant en MAM ou en crèche familiale. Ce qui est le cas quand sont évoquées par exemple les temps d’analyse de pratique (6h vs 4 h annuels) ou le référent santé (clairement décrit pour les MAM, beaucoup moins bien défini pour les professionnels isolés) notamment. En cela d’ailleurs, elle est rejointe par La Fédération des particuliers employeurs de France (Fepem) qui ne souhaite pas que la vie des assistantes maternelles en MAM soit plus compliquée que celles exerçant à leur domicile ou dans un tiers lieu. « L’idée explique Sophie Bressé chargée de mission, « c’est qu’il ne faut pas trop de réglementations qui alourdissent. Il faut cesser de tirer les MAM vers les crèches. ».

En préambule à ses commentaires la Fepem a rappelé, elle, « le contexte de pénurie de professionnels dans le champ de l’accueil individuel des assistants maternels. (…). Dès lors la première urgence est donc de soutenir le développement de modes d’accueil innovants et souples, en quantité suffisante pour répondre aux besoins d’accueil des familles et suffisamment pour faire venir de nouveaux assistants maternels dans la profession ». Ce qui ne signifie pas que la qualité d’accueil qui passe d’abord par la formation ne soit pas une priorité. « Nous voulons avec la loi ESSOC un cadre protecteur pour le parent employeur et le salarié » résume Sophie Bressé.

Les professionnels de l’accueil individuels sont plutôt satisfaits du projet d’ordonnances qui répond à nombre de leurs demandes comme l’accès à la médecine du travail la notion de démission légitime (ex : en cas de refus de vaccination des parents).  La vraie question tant pour le référent santé que pour l’analyse de pratique reste qui paiera, qui financera ? Quelques réserves aussi sur la possibilité d’accueillir 6 enfants dans le cadre de remplacements entre assistants maternels. « Il faudrait un cadre plus contraignant remarque Sandra Onyszko de l’Unfnafaam, et limiter cet accueil en surnombre dans le temps ». Et Sophie Bressé d’ajouter « pour que cela fonctionne il faut que la demande de dérogation puisse être donnée en amont du besoin et que les règles soient précisées afin de sécuriser juridiquement et pédagogiquement cet accueil supplémentaire qui ne se fait pas dans le cadre d’une délégation. »

Confiance et détermination à la DGCS
Actuellement, la DGCS est en train de faire la synthèse de ces textes et d’en expertiser les propositions. L’été sera studieux. Et c’est à la rentrée que le cabinet de la secrétaire d’État Christelle Dubos devra arbitrer. Les contributions mettent en évidence « des positions très contrastées » reconnait-on à la DGCS qui note néanmoins avec satisfaction « qu’il y a aussi un consensus sur un socle de mesures.» Celles concernant la gouvernance et les Schémas Départementaux des services aux familles par exemple, ou bien l’analyse de pratique, la mise en oeuvre de la Charte de l’accueil du jeune enfant ou encore le principe d’un référent-santé.
Sur certaines questions qui demandent encore des investigations et des expertises techniques comme l’administration des médicaments par exemple, des groupes de travail associant les contributeurs qui le souhaitent,  plancheront durant le l’été.
La DGCS demeure confiante, satisfaite du travail déjà accompli.

L’impossible réforme ?
Sur les points d’achoppement et de tensions bien identifiés (taux d’encadrement, surfaces utiles etc.), la synthèse sera difficile tant les antagonismes sont forts. Ce sera aux politiques de trancher.
Rappelons que l’objectif de l’article 50 de la loi ESSOC permettant de légiférer par voie d’ordonnances sur les modes d’accueil est le suivant : créer de nouvelles solutions d’accueil pour les familles en facilitant l’implantation des modes d’accueil sans en altérer la qualité. Feuille de route difficile. Car au cœur des solutions proposées on bute inéluctablement sur cette notion de qualité d’accueil. Tous les contributeurs sont d’accord sur la nécessité de ne pas altérer la qualité d’accueil. Mais faut-il seulement préserver la qualité existante ou au contraire l’améliorer encore ? Et cela nécessite-il des moyens accrus ? Donc des coûts supplémentaires pour les gestionnaires ? Et là plus d'accord possible, car chacun parle de son point de vue, prêt à se mobiliser.

Peu de marge de manœuvre donc pour le gouvernement. Et pourtant ne rien bouger serait surement la pire des solutions. Les professionnels sont à cran et souvent malheureux dans leur travail (ils l’ont clairement exprimé dans notre questionnaire recrutement/ turn over et dans leur mobilisation du printemps dernier), certains gestionnaires sont fragilisés et inquiets car des fermetures de crèches écrasées par  les charges financières, il y en a de plus en plus.
Croisons les doigts pour qu’enfin il se passe quelque chose de positif dans ce monde de la petite enfance, trop longtemps négligé par ce gouvernement. Espérons que le grand bouleversement annoncé qui dans la lignée du rapport Giampino de 2016, plaçerait l’enfant au cœur de toutes attentions, n’accouche pas (comme certains le craignent) d’une réformette faite de demi -mesures tentant de contenter tout le monde. Réponse cet automne.


Consulter l’intégralité des contributions.
Pas de bébés à la consigne
FFEC/ Fédésap
• Fepem

 
Article rédigé par : Catherine Lelièvre
Publié le 24 juillet 2019
Mis à jour le 12 septembre 2019