Réforme des modes d’accueil : vive inquiétude chez les assistantes maternelles

Adrien Taquet, Secrétaire d’Etat à l’Enfance et aux Familles, vient de donner le coup d’envoi de la réforme des modes d’accueil. S’il n’y a pas de grands changements par rapport aux décisions prises par son prédécesseur Christelle Dubos, il n’en reste pas moins que certaines mesures suscitent de vives inquiétudes du côté des professionnels de l’accueil individuel. C’est notamment le cas des dispositions relatives à l’agrément, un sujet très sensible chez les assistantes maternelles, qui touche à leur employabilité même. La réforme prévoit aussi beaucoup d’expérimentations, source là aussi de déception chez ces professionnelles. On fait le point avec Marie-Noëlle Petitgas, présidente de l’ANAMAAF et Sandra Onyszko, directrice de la communication de l’Ufnafaam.
Les assistantes maternelles attendaient beaucoup de cette réforme. Or les mesures actées ou proposées par le gouvernement ne sont finalement pas à la hauteur de leurs espérances. Ces professionnelles qui représentent le premier mode d’accueil ont pourtant besoin d’être soutenues. Depuis 2018, le nombre de places proposées par ces pros est de moins en moins important. La population des assistantes maternelles est vieillissante et le métier de moins en moins attractif ne permet pas le renouvellement des générations. 

L’agrément et l’article 421-4 du Code l’action sociale et des familles (CASF) : la formulation n’est toujours pas satisfaisante
La plupart des mesures concernant l’accueil individuel se font par ordonnance car elles impliquent des modifications du Code de l’action sociale et des familles. C’est le cas de l’article 421-4, sur l’agrément, dont la formulation est en discussion avec la DGCS. En effet, rien n’est encore joué puisque les syndicats et organisations ont jusqu’au 30 novembre pour formuler leurs commentaires et propositions.
Ce qui est proposé : « Le nombre total de mineurs de tous âges simultanément sous la responsabilité exclusive de l'assistant maternel ne peut excéder six, dont au maximum quatre enfants de moins de trois ans. » Une réécriture qui ne convient absolument pas à l’Anamaaf. « Cette question fait partie des grandes attentes des assistantes maternelles. On avait demandé une révision de l’écriture de cet article pour qu’il soit plus clair. Nous avons participé à toutes les concertations. Or là, aucune distinction n’est faite entre un enfant de 6 ans et un adolescent de 15 ans. Ce n’est pas satisfaisant du tout ! C’est pourquoi nous proposons que l’on prenne en compte les mineurs jusqu’à 11 ans, c’est-à-dire la fin de l’école primaire », explique Marie-Noëlle Petitgas, présidente de l’Anamaaf. Pour Sandra Onyszko, « il faut considérer le chiffre de 6 enfants accueillis simultanément en dehors des propres enfants de plus de 3 ans de l’assistant maternel. » Et ajoute : « Sur la question d’inclure un âge à cette disposition, nous sommes plus réservés. Nous préférons laisser cette décision à la discrétion des services de PMI. Chaque assistante maternelle est différente, chaque situation est différente donc c’est compliqué de donner un âge fixe. A quel moment considère-t-on qu’un enfant est autonome ? » Elle souligne également : « Dans le texte, il est écrit que l’agrément précise le nombre d’enfants ainsi que l’âge. Nous aimerions que l’âge s’apprécie à partir du 3e enfant pour éviter un frein à l’employabilité et au choix des familles. » Et de conclure, « notre désir c’est que le ministère puisse réécrire ce texte avec plus de clarté afin qu’il soit bien compris de tous, assistants maternels et PMI. L’essentiel étant de concilier la qualité d’accueil de l’enfant et l’employabilité des assistants maternels.

Un autre point fait également bondir Marie-Noëlle Petitgas : la possibilité pour l’assistante maternelle, pendant l’exercice de sa mission, de « s’occuper à titre gracieux de ses propres enfants, et de tout autre enfant qui lui est confié par ses parents ou représentants légaux. » « C’est une véritable surprise que cette possibilité d’accueillir les enfants du voisin par exemple et un recul en arrière. Et puis c’est la porte ouverte au travail au noir ! On ne va pas dans le sens d’une recherche de qualité… », regrette-t-elle.

L’extension de l’agrément :  deux enfants au moins comme pour le COVID
Afin de faciliter les remplacements entre assistantes maternelles, la réforme propose une dérogation exceptionnelle permettant d’accueillir un enfant supplémentaire, 50 heures par mois. L’idée, plus de souplesse, pour que les professionnelles puissent notamment partir en formation. « Le fait de passer à une place en plus ne va pas régler le problème », estime Marie-Noël Petitgas. « Une assistante maternelle qui a 4 enfants chez elle devrait trouver 4 collègues pour la remplacer. Pour nous, la mesure devrait prévoir la possibilité d’accueillir 2 enfants en plus. Ce serait plus facile du point de vue organisationnel et pour les enfants qui seraient confiés deux par deux aux remplaçantes », ajoute-t-elle. « Nous sommes d’autant plus contrariés qu’avec le Covid il n’y avait pas de problème pour étendre l’agrément à 6 enfants. Il faut savoir faire confiance. Les abus restent à la marge ! », conclut-elle. 

L’agrément conditionné à la fréquentation d’un RAM (futur REP) ? 
La décision accordant l’agrément doit indiquer « le nom et les coordonnées du ou des relais (…) que l’assistant maternel est invité à fréquenter (…) ». « Cela introduit une limite administrative, incompatible avec l’adaptabilité que nous prônons. En pratique, certains territoires n’ont pas de RAM. De plus, une assistante maternelle peut tout à fait accueillir un enfant hors secteur du RAM et vice versa. C’est pourquoi, il faut mettre un peu plus de souplesse dans la formulation, en permettant à l’assistant maternel de fréquenter le cas échéant le relai visé à l’article L. 214-2-1 auquel celui-ci est affilié ou non », précise Marie-Noël Petitgas.

La possibilité d’administrer des médicaments notée (ou pas) dans l’agrément : c’est inadmissible ! 
L’ordonnance va être accompagnée de décrets dont un concernant l’administration des médicaments et traitements par les professionnels de crèche et les assistants maternels, sauf avis contraire express du médecin, afin de faciliter l’accueil d’enfants en situation de handicap ou atteints de maladie chronique. Une disposition qui faisait consensus. Concernant l’accueil individuel, il est prévu que l’agrément de l’assistant maternel indique si le professionnel en question peut ou pas administrer des médicaments. « Cette formulation est aberrante. C’est de la discrimination ! Qui voudrait confier un bébé à une assistante maternelle qui ne pourrait pas donner de médicaments ? Cela va ouvrir la porte à de nombreux abus. Il vaut mieux écrire que l’agrément permet à la professionnelle d’administrer des médicaments et préciser qu’en cas de soins nécessitant un suivi médical particulier un protocole sera mis en place avec la PMI et/ou le médecin traitant de l’enfant. »

L’Ufnafaam de son côté tient à saluer la mise en place de l’accès à la médecine du travail pour les assistantes maternelles. Et exprime toutefois un regret : « Un ancien texte du Code de l’action sociale et des familles prévoyait une durée d’agrément de 10 ans pour les assistantes maternelles qui avaient le CAP et qui exerçaient en crèches familiales. Nous trouvons injustes qu’il ne soit plus dans le CASF et aimerions qu’il soit réintégré. »
 
Les assistantes maternelles méritent mieux que de simples expérimentations 
Dans la réforme des modes d’accueil, de nombreuses expérimentations sont prévues à titre expérimental et en particulier pour les pros de l’accueil individuel. C’est le cas de l’accompagnement en santé et des analyses de pratique. « Il faut s’assurer que les droits nouveaux que l’on a créés sont bien réels. Et donc vérifier que les ressources nécessaires sont localement disponibles », s’était justifié Adrien Taquet lors de sa rencontre avec Les pros de la Petite Enfance. Mais c’est une déception en plus pour les assistantes maternelles. « On aurait voulu une vraie volonté affichée… Avant que l’expérimentation soit mise en place, qu’il y ait des retours… cela va prendre 10 ou 15 ans, comme cela a été le cas pour la médecine du travail. Les groupes de paroles, les analyses de pratique, cela peut apporter beaucoup.  Encore une fois, on loupe le train. Au final, on se demande s’il y a une vraie volonté de promouvoir ce métier », réagit la présidente de l’Anamaaf. Du côté de l’Ufnafaam, les expérimentations ne sont pas non plus très bien perçues. « De façon plus large, nous attendons que les assistants maternels puissent bénéficier de moyens pour répondre à la qualité d’accueil exigée. Une concertation doit s’engager sur cet équilibre. Pour exemple, il sera difficile d’offrir un accueil de qualité si l’accompagnement en santé n’est qu’une expérimentation. Si ce texte ne donne pas les moyens nécessaires aux assistants maternels, cela pose un certain nombre de questions. Il s’agit quand même du premier mode d’accueil. Et cela voudrait donc dire que les familles qui emploieraient une assistante maternelle bénéficieraient d’un moindre accompagnement santé de leurs enfants… », explique Sandra Onyszko. 

L’agrément reste néanmoins le sujet le plus sensible de la future réforme. Si la DGCS, en charge de la réécriture de l’article 421-4 ne parvient pas à trouver une formulation claire (qui ne prête pas d’interprétation de la part des PMI) et consensuelle, c’est-à-dire satisfaisante pour les assistantes maternelles (favorisant leur employabilité sans altérer ou compromettre la qualité de leur accueil), le risque est grand que la colère de ces professionnelles de l’accueil individuel ne cesse de gronder et de se manifester bruyamment. Or ce n’est pas le souhait du Secrétaire d’Etat à l’Enfance et aux Familles porteur de la réforme, lui qui affirme haut et fort qu’il ne doit y avoir aucune hiérarchie dans les modes d’accueil et que la liberté de choix des parents est à préserver à tout prix. 
Début décembre, on devrait connaître les décisions prises. Affaire à suivre donc. 
 
Publié le 27 novembre 2020
Mis à jour le 13 décembre 2020