Steven Vasselin, adjoint Petite Enfance à la ville de Lyon : « Pénurie de diplômés : le point de rupture est dépassé »

Steven Vasselin, adjoint chargé de la Petite Enfance à la ville de Lyon, a publié le 21 février dernier sur le JDD une Tribune, cosignée par plusieurs élus locaux. Un message fort dans lequel lui qui est également représentant de France Urbaine au Comité de filière Petite Enfance interpelle les Régions concernant le manque de professionnels diplômés et leur demande d’augmenter les quotas de formation. Entretien avec un élu mobilisé et déterminé à ce que les choses changent.
Les Pros de la Petite Enfance : La ville de Lyon apparaît comme la porte-parole de toutes les autres villes de France sur les questions Petite Enfance. Concentre-t-elle finalement toutes les problématiques liées à la Petite Enfance ?
Steven Vasselin : Oui, c’est clair. De par notre taille, notre population, le nombre de nos crèches, nous agrégeons de fait toutes les problématiques existantes.

Sur fond de pénurie de professionnels diplômés, vous avez publié dans le JDD une tribune dans laquelle vous exhortez les régions à augmenter les quotas de formation des métiers de la Petite Enfance. Pourquoi ?
Il y a une vraie marge de manœuvre là-dessus. C’est un moyen très concret de solutionner la problématique parmi d’autres sujets mais celui-là est un sujet essentiel. Si on arrive à ce que les régions prennent vraiment le sujet à bras-le-corps, qu’ils augmentent rapidement et significativement les quotas de formation, cela donne une vraie lumière au bout du tunnel. Même si les effets ne s’en ressentiront que dans 2, 3, 4 ans car il y a évidemment le temps de formation de ces futurs diplômés cela donne de l’espoir et rebooste les équipes. Il est important qu’elles ne se sentent pas dans une situation où il n’y a pas l’ombre d’une solution et que l’on ne peut que déplorer les choses sans pouvoir rien faire.

Est-ce qu’il y a vraiment des écoles qui refusent des candidats (AP, EJE) ?
Je n’ai pas la prétention de connaître l’ensemble des écoles françaises mais pour avoir beaucoup échangé avec les écoles de la région, elles refusent énormément de candidats. Par exemple, l’école Ocellia, qui forme notamment des EJE, reçoit 500 demandes pour 80 places. Concernant les AP, c’est 1000 demandes pour 90 places. D’où la nécessité d’augmenter les quotas de formation.

Augmenter les quotas de formation, n’est-ce pas aussi le risque de prendre n’importe qui ?
Les écoles nous disent qu’elles refusent des candidats de qualité. Sur une telle proportion de dossiers, elles pourraient en accueillir le double qu’elles auraient des candidats de qualité. Notre seule chance dans cette crise, c’est que pour le moment il n’y a pas de crise de vocation à l’entrée des écoles. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas un gros travail à faire aussi pour susciter des vocations notamment auprès des garçons. Il y a un gros travail à faire sur l’image de marque de ces métiers auprès du grand public pour que l’on puisse davantage intéresser les hommes mais le constat c’est qu’il n’y a pas de manque de candidats dans les écoles.

Comment pensez-vous convaincre les régions d'augmenter les quotas de formation ? 
C’était toute la démarche de cette tribune, rendre visible ce sujet. Que l’on ne puisse plus considérer la Petite Enfance comme un sujet mineur et qui ne soit pas pris de manière franche et prioritaire dans les politiques publiques de l’ensemble des collectivités. Toute cette phase de médiatisation autour de ce problème c’est le but. Quand un sujet est médiatisé, qu’il est mieux perçu du grand public, derrière les politiques s’en emparent davantage.
De par cette tribune, nous souhaitions mettre les régions dans notre réalité. Et notre réalité, c’est aussi des professionnels à bout de souffle, des fermetures de section, des réductions d’amplitude horaire, des familles mises en grande difficultés. On ne peut pas attendre. Il faut que les choses bougent.

Quelles mesures peuvent être mises en place pour valoriser les métiers de la PE, les rendre attractifs et susciter des vocations ?
Il y a un travail de fond que l’on va essayer d’engager notamment au sein du comité de filière. L’un des chantiers sur lequel on converge c’est de pouvoir changer cette image des métiers de la petite enfance et de beaucoup mieux la faire comprendre sous l’angle pédagogique, éducatif, de rôle dans l’épanouissement des enfants qui est trop loin de l’imaginaire du grand public aujourd’hui. Travailler en crèche, c’est vu comme changer des couches à des bébés toute la journée alors que c’est très loin de ça la réalité. La formation et l’apport des professionnels sont en avant tout sur les aspects éducatifs, d’éveil, d’épanouissement des enfants. Et il y a un sens très fort sur ces métiers-là. On lit de plus en plus d’articles sur les jeunes en quête de métiers porteurs de sens, on a une belle opportunité là-dessus avec les métiers de la petite enfance. Il faut savoir les présenter sous un autre jour. Et donc probablement travailler sur de longues campagnes pour redonner les lettres de noblesse à ces métiers de la Petite Enfance. Pour masculiniser davantage la filière, ce que l’on essaie d’impulser au niveau de la Ville de Lyon, c’est de beaucoup travailler sur la pédagogie plein air, d’en faire le socle d’activités dans nos crèches avec les enfants. Et de sortir de cette image de la crèche un peu hygiéniste. Notre modèle en cela ce sont les pays scandinaves. Au Danemark par exemple, 1/3 des professionnels de crèche sont des hommes. En France, ce n’est même pas 1%. Sinon on investit aussi beaucoup à la fois pour construire de nouvelles crèches et pour rénover, végétaliser les structures existantes. Et donc quelque part, c’est aussi donner des outils de travail beaucoup plus agréables, qui seront de nature à mieux fidéliser nos professionnels.

Selon vous, l’accent mis sur le plein air permettra de masculiniser davantage la profession ?
Je pense car à mon avis on change complétement d’imaginaire. On est beaucoup plus sur des métiers qui, dans l’esprit du grand public, vont rassembler à des animateurs de MJC, des professions plus masculinisées. Et on va sortir de ce côté : les crèches c’est un endroit pour les femmes. Je pense vraiment que cela aidera. De la même manière où quand vous pensez à un centre aéré, vous n’imaginez pas que ce sont que des femmes qui encadrent les enfants. On imagine aisément des garçons le faire et les jeunes garçons aujourd’hui s’imaginent parfaitement faire ce type de métiers-là. Finalement, EJE au sein d’une crèche avec cette dimension pédagogique plein air, on se rapproche beaucoup de cet imaginaire-là. Au Danemark, si on a ce résultat-là, c’est parce que l’image que les gens ont des crèches n’a rien à voir avec la France. Aujourd’hui un jeune garçon qui dira vouloir travailler dans la petite enfance, je pense qu’il subira malheureusement les moqueries.

Considérez-vous qu’il y a urgence à agir ?
On a déjà pris le mur. Le point de rupture est dépassé. On a déjà dû prendre des mesures telle que réduire les amplitudes horaires, fermer des sections. Alors pour l’instant que de manière temporaire mais si on regarde l’exemple de Villeurbanne, ils ont annoncé la semaine dernière qu’ils allaient réduire l’amplitude horaire de toutes leurs crèches municipales jusqu’à la fin de l’année. Ce sont malheureusement des mesures qui ne sont pas liées au Covid. C’est cette crise structurelle du recrutement qui nous amène à cela aujourd’hui. On n’est même plus dans l’alerte, on est déjà dans le constat que les dégâts ont commencé. Dans chaque crèche que je visite, sans dépeindre un tableau noir non plus, il ne faut pas exagérer parce qu’on a des professionnels qui ont le goût de leur métier, on sent de la fatigue, de l’épuisement, on sent qu’elles sont sur la corde raide pour beaucoup d’entre elles. 

Lire aussi l'article "Pénurie de pros : Steven Vasselin revient sur son appel aux régions" publié dans la lettre hebdo n° 37 du 28 février 2022

Une campagne de communication pour recruter plus de 100 pros de la Petite Enfance

Le 19 janvier, la Ville de Lyon lançait une grande campagne de recrutement (affichage, réseaux sociaux…). Plus de 100 postes à pourvoir dans ses crèches municipales. Cette campagne commence-t-elle à porter ses fruits ? « Oui et non. Oui dans la mesure où on reçoit pas mal de candidats, une grosse soixantaine de candidatures mais, à ce stade, il n’y a pas une solution magique car ce sont des personnes qui sont en poste ailleurs. Cela permet de régler très ponctuellement une partie du problème mais ce n’est pas une solution. Le seul point positif à l’échelle de la ville Lyon, c’est que nous constatons que nos efforts de revalorisation des salaires, de l’ordre de 80 à 200 euros brut par mois, et des conditions de travail au sein de nos crèches portent leurs fruits puisque nous devenons compétitifs et désirables auprès des professionnels en poste », explique Steven Vasselin.

Article rédigé par : Propos recueillis par Caroline Feufeu
Publié le 25 février 2022
Mis à jour le 10 juin 2023