Continuité pédagogique et continuité éducative. Par Catherine Hurtig-Delattre

Catherine Hurtig-Delattre* est enseignante en maternelle Elle revient sur son expérience d’école à distance : un challenge qui demande une grande créativité pédagogique. Sur les relations avec les familles pendant ces deux mois : inédites mais enrichissantes.  Et constate et regrette que les Atsem pendant toute cette période, ont été étrangement écartées de cette continuité pédagogique et éducative. Mais le dé confinement venu, on leur a demandé de reprendre leur poste car le rôle dans ce contexte est plus que jamais indispensable. Un témoignage et une analyse à méditer !

 
Continuité pédagogique : l’impossible « tout numérique »
Mars-mai 2020 :  pendant près de deux mois, les enseignants français ont inventé dès l’école maternelle, la « continuité pédagogique ». Il s’agissait, alors que les écoles ont fermé du jour au lendemain, de poursuivre les apprentissages scolaires à la maison. Ce qui s’est produit alors a été largement analysé et relayé dans les médias. En tant qu’enseignante en école maternelle, j’ai été traversée par les différents élans contradictoires qui ont caractérisé cette période. Sidération première, suivie d’un formidable élan de créativité pédagogique. Bricolages et adaptation aux outils, et inquiétude d’imaginer une école « tout numérique ». Intensité des relations avec parents et enfants, et désolation d’en voir les limites. Conscience aigüe de la précarité et espoirs rassurants des solidarités.

Continuité éducative :  la grande absente
Pendant ces huit semaines, j’ai donc été totalement absorbée par la complexité de la « classe à distance » et du lien avec les familles. Si absorbée que j’en suis presque venue à oublier qu’à l’école, je ne travaillais pas toute seule avec les enfants. Pourtant, je n’étais pas centrée sur les tâches scolaires, tant cette situation inédite m’a plongé dans les univers familiaux. Mais je l’ai fait toute seule, ou au mieux avec mes collègues enseignant.es. C’est que dans cette notion de continuité pédagogique on a assisté à une  fragmentation des métiers et une  centration exclusive de l’école sur la fonction enseignante. Pourtant, nous savons  que l’école ne se réduit pas à sa mission pédagogique autour de la construction des savoirs. Elle remplit une mission éducative globale, qui prend en compte l’enfant au-delà de l’élève. A l’école maternelle, l’enseignante se préoccupe des besoins de l’enfant, avec les spécificités de chacun. Santé, hygiène, alimentation,  sommeil, activités en dehors du temps de classe font l’objet d’attention, de concertations.  Une des chevilles ouvrières de cette vision globale passe par le binôme ATSEM/enseignante. N’oublions pas les autres professionnelles :  les AESH auprès des enfants en situation de handicap, l’équipe périscolaire avant et après les temps de classe, l’équipe du Réseau d’Aide Spécialisé (RASED) auprès des élèves en difficulté scolaire, l’équipe médico-sociale auprès de tous ceux qui en ont besoin.
A la fermeture des écoles, les instructions concernant la continuité pédagogique se sont adressées aux seuls enseignants chargés de classe. Ils ont été épaulés par des personnes ressources internes à l’éducation nationale : rééducateurs de réseau, conseillers pédagogiques, et ont été autorisés à associer les AESH. Mais on a continué à parler de continuité pédagogique et jamais de continuité éducative.  Pourquoi  la communauté éducative,  pourtant bien présente dans les textes comme dans les rouages de l’Education Nationale et des collectivités, s’est-elle volatilisée ?

ATSEM et équipes périscolaires : exclues du processus éducatif
Cette situation de crise met en lumière le fonctionnement de l’école maternelle. En temps normal, l’ensemble des professionnels de l’école sont associés au projet éducatif global de l’école et aux liens avec les familles. On parle de répartition et de complémentarité des tâches. Ce n’est pas toujours facile, mais cela fait partie des recommandations institutionnelles. Mais au moment de penser une « continuité », aucune consigne n’a été donnée en ce sens. Ces équipes  ont été tout simplement exclues du processus éducatif. On leur a confié le ménage,  la désinfection, et au mieux la participation à l’accueil en urgence des enfants de soignants. Et pourtant, puisque l’enseignant, pilote de la classe, communique à l’ATSEM les projets pédagogiques et les pense en lui donnant une place, pourquoi ne pas avoir imaginé de nouvelles modalités pour le binôme, dans la classe à distance ?  Puisque les équipes périscolaires ont des liens privilégiés et quotidiens avec une grande partie des familles, pourquoi ne pas les avoir associées aux démarches pour contacter ces familles « éloignées » ? Au lieu de cela, ces professionnels ont été renvoyés dans leur lieu de confinement : « rentrez chez vous, on vous dira quand l’école reprendra ». Dans le meilleur des cas, les directeurs ou collègues  bienveillants ont pris des nouvelles de leur santé. Sur le terrain, certaines démarches minimales se sont improvisées. «  J’ai réalisé un «  journal de la classe » avec les photos envoyées par les élèves. J’ai fait la démarche de l’envoyer  à l’ATSEM de la classe, mais seulement au bout de deux semaines. Elle a semblé apprécier la démarche. Ce n’est qu’après un mois que j’ai eu l’idée de la solliciter pour envoyer sa contribution au journal, ce qui lui a redonné une place et a été fortement apprécié  des enfants et des parents. Je ne sais pas pourquoi j’ai attendu si longtemps. » « J’ai appelé l’ATSEM de la classe et je lui ai  donné des nouvelles des enfants fragiles de la classe, comme je le fais au quotidien en classe.  Un contact précieux pour elle et pour moi, mais qui  ne va pas de soi… « Ce sont les enfants et les parents qui ont demandé des nouvelles de l’ATSEM. Je lui ai alors proposé d’être dans la boucle .Elle a envoyé des histoires qu’elle enregistrait chez elle pour les enfants. » Dans tous les échos que j’ai eu, ces démarches n’ont été ni initiées ni encouragées par l’institution.

Déconfinement : Les ATSEM en première ligne

Les scénarios complexes du  déconfinement sont là : où on voit revenir sur la scène les ATSEM et les équipes périscolaires. Les premières seront indispensables pour la désinfection des locaux et la mise en place des gestes barrières. Les deuxièmes seront mobilisées pour la prise en charge des élèves en petits groupes, pendant ou après l’école. La collaboration va être indispensable sur le plan technique et organisationnel. Mais les sujets sont nombreux dans le champ éducatif : comment accueillir au mieux les enfants et les familles ? Comment les rassurer dans cette situation anxiogène ? Comment aider les plus jeunes à vivre cette nouvelle séparation après deux mois avec leurs parents ? Comment assurer les entrées et sorties, les déplacements, les récréations, les repas, les activités de manière à ce que les enfants soient en sécurité psychique ? En bref : comment assumer en équipe notre tâche de professionnels de petite enfance, tout en respectant les gestes barrière ?  A nous, professionnels, de penser ces collaborations  dans une optique de partenariat inter-métier et de continuité éducative …

Tirer les enseignements de cette fragmentation des métiers
La crise actuelle aurait pu être une opportunité : on a besoin de tous les acteurs dans la continuité éducative, dans l’école mais aussi  dans les territoires. Depuis l’Education prioritaire et plus encore depuis les PEDT,   l’école collabore avec les structures à mission médico-sociale, sportive, culturelle ou de soutien scolaire. Et là encore : silence total dans les recommandations. Les initiatives ont foisonné pour maintenir les liens avec les familles et œuvrer à la solidarité, mais la coordination entre école et partenaires ont été inexistantes ou marginales. Encore plus exceptionnelles, les démarches d’échanges « inter métiers » associant des parents. Les raisons de la fragmentation sont multiples. Les institutions comme les acteurs ont  dû gérer l’urgence. La multiplicité des statuts et des employeurs  ne facilite pas les choses. Au-delà, cela met l’accent sur la fragilité de partenariats qui semblent voler en éclats, alors que les professionnels ont l’habitude de travailler ensemble dans leur cadre « normal ». Dans une optique coéducative inter-métiers, on pourrait pourtant rêver que chacun puisse s’appuyer sur les autres, surtout avec les familles qui ont de multiples besoins. Cela serait au bénéfice des enfants, des familles et de la reconnaissance professionnelle de tous.

*auteur de « la coéducation à l’école, c’est possible ! » Chronique sociale 2016

 
Article rédigé par : Catherine Hurtig-Delattre
Publié le 22 mai 2020
Mis à jour le 22 mai 2020