Lettre ouverte à Adrien Taquet . Par Isabelle Fillozat et Nathalie Casso-Vicarini

Isabelle Filliozat, psychothérapeute, auteure, Vice-Présidente de la Commission des 1000 jours et Nathalie Casso-Vicarini, membre de la Commission des 1000 jours, Fondatrice-Déléguée générale de l’Association Ensemble pour l’Éducation de la petite enfance co-signent une lettre ouvert eau secrétaire d’Etat à l’Enfance et aux familles. Elles souhaitent attirer son attention sur le formidable engagement des professionnels de la petite enfance ( de l'accueil collectif comme de l'accueil individuel) durant la pandémie. Et estiment que ce serait juste de revaloriser leurs salaires
Monsieur le Ministre, cher Adrien,

Depuis le début de la pandémie, les professionnels de la petite enfance ont assuré leur mission de service public sans faillir alors même que leurs conditions de travail devenaient plus difficiles. Les structures d’accueil sont restées ouvertes pendant les confinements assurant ainsi la continuité de la vie professionnelle des parents. La charge de travail a augmenté, l’amplitude horaire a été élargie pour ne pas mélanger les groupes, la désinfection systématique de tout le matériel et l’environnement. Les équipes ont dû faire face à un fort absentéisme (malades, cas contact) et aux démissions.  

En effet, la pandémie a encouragé les salariés ayant de petits salaires à quitter les grandes villes. La cherté des loyers ne leur permettant pas de vivre près de la structure d’accueil, les longs trajets quotidiens ajoutés à l’augmentation de la pénibilité du travail ne revêt plus de sens à leurs yeux.

Les professionnels de petite enfance ont appliqué le lourd protocole sanitaire, malgré leurs craintes sur l’impact de ce dernier sur les enfants, la complexification des activités qui doivent être adaptées, et la fatigue entraînée.

Le port du masque limite les interactions non verbales avec les tout-petits, contraint à parler plus fort, et entraîne des malentendus. Certaines activités devenant impossibles du fait du protocole sanitaire. Il a fallu se réinventer dans un climat très stressant de crainte de contaminer ou d’être contaminé, de doute sur les conséquences pour les enfants et de déficit de relations sociales.

Le masque perturbe les interactions avec les enfants, il faut redoubler d’effort pour communiquer avec les petits qui ne peuvent plus lire les mimiques de l’adulte. Il est plus difficile d’obtenir la coopération de l’enfant, il faut faire deux fois plus d’efforts. Sans compter que malgré leurs efforts pour se montrer expressif avec les yeux et le haut du visage, le nombre de sourires et de rires diminue. La fatigue s’ajoute au stress.
Dans un climat insécure, les enfants qui n’ont pas encore accès au langage verbal mordent davantage… Ce qui complexifie en retour le travail de l’équipe auprès du groupe d’enfants et bien sûr avec les parents. Les professionnels reçoivent aussi le stress de ces derniers. Stress de laisser leurs enfants, peur du virus, anxiété face au futur, détresses professionnelles, insécurité économique.

Le repas était un moment de pause et de ressourcement social. Mais pour respecter les mesures sanitaires, des roulements sont organisés. Résultat : moins de temps de pause, moins de relations. Ces moments conviviaux entre adultes sont des temps nécessaires de ressourcement et de cohérence d’accompagnement du développement des enfants, d’échange d’informations et de tissage de liens de confiance dans les équipes.
Augmentation de la pénibilité et manque de reconnaissance mènent à l’épuisement et à la démotivation.

Les facteurs de risque sont nombreux. Dans les pays du nord, des facteurs de protections ont été mis en place. Par exemple, en Norvège, les équipes ont été doublées. Ce qui n’a pas été fait en France, où des équipes réduites ont fait face avec peu ou pas d’accompagnement. En ces temps de pandémie, la pénibilité du travail a beaucoup augmenté, avec peu de soutien et trop peu de reconnaissance.
Cette période a demandé un surcroit d’adaptation de la part des professionnels. Or ces capacités sont limitées.
Professionnel.le.s de crèches et assistant.e.s maternelles sont épuisés. Ils ont besoin de se sentir reconnus pour les efforts et l’engagement dont ils ont fait et font encore preuve. Leurs salaires sont indécents eu égard à l’importance de ces métiers à haute valeur ajoutée pour toute la société et son devenir.

Dans les hôpitaux et les écoles, les professionnels ont bénéficié d’une prime liée à la charge de travail et aux facteurs de risque. Il nous semble justifié de revaloriser ces professions si essentielles au contact des tout jeunes enfants, donc du fonctionnement global de la société.

Si le rapport des 1000 premiers jours est la feuille de route du Ministère, il semble juste de revaloriser le salaire de ces professionnels en structure et à domicile qui accueillent et accompagnent les très jeunes enfants et leurs parents.

 
Article rédigé par : Isabelle Fillozat et Nathalie Casso-Vicarini
Publié le 07 septembre 2021
Mis à jour le 08 septembre 2021