Lettre ouverte d’Arnaud Deroo au Président de la République

Nous publions cette lettre ouverte à Emmanuel Macron, le président de la République, signée d’Arnaud Deroo, EJE de formation, thérapeute, formateur, l’un de nos chroniqueurs depuis le lancement de  notre site. Une initiative personnelle mais qui parlera à nombre de professionnels de la petite enfance nous n’en doutons pas. Une tribune libre qui n’engage pas le site Les Pros de la Petite Enfance.
Monsieur le Président,

Je rêve de « toucher » votre cœur (mais est-ce possible) votre sensibilité, votre humanité, pour vous faire comprendre combien s'occuper réellement, vraiment de la petite enfance et de sa famille sont des enjeux capitaux pour notre avenir. Je dis souvent que s'occuper de la petite enfance, c'est faire du développement durable.
Nous sommes, paraît-il, dans le pays des droits de l'Homme et de la Convention internationale des droits de l'enfant, pour autant, par moment, nous pouvons en douter.
Il nous reste sincèrement des choses importantes à faire. En outre, quand j'écris ces mots nous n'avons toujours pas signé la loi contre les châtiments corporels et humiliations faites aux enfants alors que plus de 35 pays l'ont fait. Donner une fessée à un enfant semble encore être un acte éducatif admis dans notre pays.
S'occuper du jeune enfant, du bébé, n'est pas qu'une question privée.

S 'occuper du jeune enfant, du bébé est un sujet d'état.
Construire un nouveau monde s'élabore dès la petite enfance, dans le lien parent-enfant.
Maria Montessori (que vous avez mis de côté pour l'éducation Nationale) disait : « si nous nous occupions des jeunes enfants différemment, le monde changerait », c'est tellement vrai.

Respecter réellement le jeune enfant, offrir des adultes bien-traitants, devrait être une cause nationale, mais depuis plusieurs gouvernements cela n'est pas leur préoccupation.
Défendre un tel projet n'est pas utopique.

Les spécialistes de l'enfance (dont je fais partie) n'ont de cesse d'attirer l'attention sur l'empreinte fondamentale des premières années et les grandes personnes s'en moquent. Ces spécialistes nous rappellent que, si les adultes représentent insécurité, incertitude ou encore manque d'amour et de tendresse, naîtront alors chez l'enfant non seulement des sentiments d'agressivité et de violences psychologiques contre lui-même, contre la société, mais aussi des difficultés d'apprentissages qui entraînent ensuite de nombreuses dépenses.
De nos jours, les sciences humaines, neurologiques voire quantiques démontrent avec force combien ces postulats sont vrais. Mais la petite enfance n'est toujours pas une urgence.
Même les économistes, prix Nobel, déclarent que les problèmes économiques relèvent aussi de mécanismes affectifs.

Les comportements de violence, de furie que nous vivons depuis quelques temps trouvent aussi leurs origines dans l'éducation et cette cause est rarement évoquée. Une éducation bienveillante, respectueuse de l'enfant ne fabrique pas des terroristes. Se « faire sauter » est vraiment un signe de non-respect de soi et des autres. S'aimer et respecter l'autre s’apprend dès les premières années et non dans la soumission, l'obéissance, l'autoritarisme, mais dans le respect et l'amour.

Nier ces connaissances, ne pas mener une politique petite enfance sérieuse et efficace conduisent non seulement à des résultats douloureux générant de grandes détresses sur de longues périodes pour les enfants comme les familles, mais aussi à l'élaboration de politiques coûteuses, erronées, pensées seulement en termes quantitatifs et curatifs.
Donc il est du devoir des adultes de susciter l'épanouissement de l'enfant dans un contexte familial et sociétal propice à son développement et ce, dès les premiers pas dans notre monde. C'est loin d'être le cas, et il semblerait que vous ayiez des projets qui ne vont pas dans le bon sens. Si tel est le cas, j'aurai perdu toute confiance en ces gouvernements qui se suivent.
Aimons et respectons réellement nos tout-petits.

 Je vous demande, Monsieur le président, et je pense que de nombreux professionnels de l'enfance me suivent dans ces demandes :

- De remettre le taux de qualification dans les structures à 50%. Le gouvernement sous Mr Sarkozy a baissé la qualification dans l'accueil des enfants en crèche, je pense que cela ne se voit dans aucun corps de métier...

- De revoir le taux d'encadrement à 1/5 pour les marchants comme pour les non-marchants. Une auxiliaire doit actuellement s'occuper de 5 bébés, imaginez-vous ce que cela représente, nous jouons avec la sécurité de base de nos enfants (bombe à retardement).

- D’instaurer l'obligation de trois journées de formation en intra par an pour toutes les structures d'accueil.

- D'organiser, au rythme d'une fois tous les deux mois sur 2 heures, des temps d'analyse de pratique - si indispensable pour un accueil de qualité.

- De revoir le financement des structures : la fameuse PSU alourdit le travail, fait oublier les fondamentaux de l'accueil et fragilise la sécurité psychique des enfants.

- De poser pour les MAM et micro-crèches les mêmes règles de fonctionnement que pour l'accueil collectif.

- De réfléchir à la retraite des professionnels de l'enfance : la difficulté de leurs fonctions n'a pas été prise en compte dans la réforme des retraites, ce qui me paraît aberrant devant la fatigue psychique et physique de ces professionnels (ces professionnels peuvent faire 35 heures en présence des enfants alors que d'autres professionnels, comme les enseignants n'ont pas le même temps en présence des enfants, la fatigue est autant importante).

- De revoir la grille salariale de ces salariés. Il y a quelque chose d'indécent, d'irrespectueux, à proposer aux adultes qui s'occupent de nos enfants des salaires si peu valorisants, un professionnel de la petite enfance a autant de valeur si ce n'est plus qu'un trader ou un commercial.

- D’imaginer le passage des structures petite enfance sous le ministère de l'Education nationale et de donner la gestion des classes maternelles aux éducateurs de jeunes enfants, beaucoup mieux formés que les enseignants à cette tranche d'âge.

- Et je ne vous parlerai pas des locaux, qui, dans certains lieux, relèvent d'une non-considération pour les enfants.

    J'ai rêvé à un Ministère petite enfance, j'en ai rêvé … mais rien.

    Je serais honoré de vous parler de tout cela lors d'un entretien et je serai ce 28 mars face au ministère des Solidarités et de la Santé pour soutenir ces professionnels.

    Recevez monsieur le président, mes respectueuses salutations, et s'il vous plaît soyez enfin un gouvernement qui écoute la voix des professionnels petite enfance.

    Les jeunes enfants ne nous doivent rien, nous sommes leurs obligés.


Mr Deroo Arnaud
Expert petite enfance
Thérapeute
Formateur et auteur
Article rédigé par : Arnaud Deroo
Publié le 25 mars 2019
Mis à jour le 03 juin 2019

3 commentaires sur cet article

Bravo Monsieur, vous avez écrit ce que beaucoup de professionnelles de la petite enfance pensent et espèrent. Merci
Vous avez raison Monsieur mais beaucoup des choses que vous dites sont aussi valable pour nous les assistantes maternelles : salaire (2.82€brut de l'heure= minimum légal) , retraite (il y aurait trop a dire...), formation (les samedi et pas le choix seulement les formation du "catalogue" et 8h/jrs) les 35h connait pas plutôt les 50h! , pas de médecine du travail et la menace du gouvernement de baisser notre droit au chômage ! car nous devons surement coûter trop chère! C'est pourquoi nous sommes dans la rue depuis plusieurs mois mais ça on n'en parle pas beaucoup!! désolée pour ce coup de gueule mais nous on ne nous écoute pas beaucoup les pauvres gilets roses!
Vous écrivez : ces professionnels peuvent faire 35H en présence des enfants alors que d'autres professionnels, comme les enseignants n'ont pas le même temps en présence des enfants, la fatigue est autant importante. Je vous invite à venir dans une classe, la mienne si vous le souhaitez. J'accueille 30 élèves de la petite section à la grande section dont deux élèves en situation de handicap. Mon travail me demande beaucoup de préparation afin de répondre aux attentes des programmes, mais aussi pour recevoir les parents. Je fais donc plus de 35h par semaine. Pourquoi toujours vouloir rabaisser le métier d'enseignant ? Je ne me permets pas d'aller dire que tel emploi est moins difficile que le mien. Quand je vois la crèche que nous accueillons au sein de l'école une fois par semaine avec deux adultes pour 8 enfants, je me dis que c'est tant mieux à la fois pour les enfants et pour le personnel. Je ne suis pas envieuse, je vois le positif.