A propos des effets du masque sur les enfants : ce que ne dit pas la science. Par Christian Rousseau , professeur des écoles en maternelle

Christian Rousseau, professeur des écoles à l'école maternelle Jean Moulin, La Chapelle Saint Luc (10130), a lu l’article de de Nawal Abboub intitulé « Petite enfance : le mythe du grand méchant masque ». Et nous a écrit une réponse sous forme de tribune libre où il reprend point par point les affirmations de l’auteur que nous publions car elle reflète, semble-t-il, l’opinion de nombreux professionnels qui n’ont pas été tous convaincus par les démonstrations de la scientifique. Alors que d’autres se sont sentis rassurés.

 
Nous connaissons la confusion générale que l’actualité du COVID génère par la profusion d’informations, d’opinions, d’analyses et de prospectives auxquels s’ajoute le conditionnel aux nombreuses prises de paroles qui, plutôt que de nous rassurer, renforce l’anxiété ambiante.
S’il est important dans la réalité actuelle d’apporter des éléments utiles à la fois à la réflexion et à l’adaptation des adultes auprès des jeunes enfants en raison des contraintes sanitaires, il s’agit toutefois de les rassurer en leur affirmant la force de leurs témoignages et non le relativisme dont ceux-ci seraient parés par nature pour laisser place à la SCIENCE !

Une vraie supercherie au nom de la science !
En ce sens je trouve l’article « Petite enfance : le mythe du grand méchant masque », comme étant une vraie supercherie du côté de la science dont il se réclame, teinté d’une grande condescendance.

Exemples :
Reconnaissent-ils encore les visages ? Des études montrent que des bébés âgés de moins de 5 semaines peuvent distinguer et identifier les visages de leurs parents comparés à des visages étrangers même si les yeux ou la bouche sont partiellement cachés (Gava et al., 2008,) Donc cette capacité qu’ont les bébés à reconnaitre et distinguer les visages est très puissante. Car même avec un signal dégradé ils arrivent encore à les reconnaitre !
De telles expériences ne prouvent rien. Elles font état d’une mesure à un moment donné mais ne disent rien de ce qui se passe quand des jeunes enfants sont en présence de personnes masquées TOUT le temps ! Or, depuis plus d’un an, les enfants n’ont connu le personnel de la crèche que dans ce contexte de relation et de communication.

Mais entre 6 et 8 mois cette stratégie change ! Quand les enfants commencent à produire des sons spontanément (aussi appelé période de babillage), on observe un changement dans la manière dont ils regardent les visages qui leurs parlent. Au lieu de se focaliser sur les yeux, ils commencent à passer beaucoup de temps sur la bouche, car ils récupèrent des informations visuelles. D’ailleurs, c’est aussi présent chez l’adulte ! Mais à partir de 12 mois, on observe qu’ils retournent sur les yeux ! Donc, le langage ne repose pas uniquement sur la lecture labiale. C’est plus complexe que cela.. Et cela peut faire la différence dans la communication masquée.
La complexité des stratégies des bébés devrait conduire à ne pas conclure comme le fait Nawal Abboub. « Les bébés ont besoin évidemment de la bouche mais aussi des yeux. » Les deux sont donc nécessaires.

Perçoivent-ils les émotions ? Des recherches ont observé qu’ils sont aussi bons pour lire des émotions du visages quand les personnes qui leurs parlent portent un masque ou non (Roberson et al. 2012 ) ! D’autres données suggèrent que quand les enfants sont confrontés à de nombreux contextes d’ambiguïté (comme le masque), ils vont chercher et compenser avec d’autres indices présents dans leur environnement (Ruba et al. 2020 ). Donc les bébés reconnaissent et distinguent les émotions même sur les visages masqués !
Lisez ce paragraphe pour comprendre la consternante inanité de la démonstration. Deux  affirmations et une conclusion qui assène « croyez-moi c’est la vérité ! ». Autrement dit, des études disent que les enfants reconnaissent le visage même masqué donc les enfants reconnaissent les visages même masqués !!

D’ailleurs les enfants de parents non-voyants ont non seulement un développement social et langagier typique, mais semblent s’adapter parfaitement à leur environnement. Même si ces bébés portent moins d'attention aux yeux des adultes et à la direction du regard que les bébés de parents voyants, ils développent sans retard leur langage (Senju et al., 2015) !  Ces résultats suggèrent que les bébés ajustent leur utilisation du regard des adultes en fonction de l'expérience de communication qu’ils ont dans leur environnement !
Drôle de démonstration : des enfants non-voyants face à des parents voyants auraient eu plus d’impact dans la démonstration puisque ce sont les adultes qui « se cachent » et les enfants qui doivent « deviner ». Cacher son visage c’est rendre son interlocuteur « non voyant » de la partie cachée.

Il ne faut pas hésiter à amplifier et à moduler notre voix pour justement aider les bébés à mieux décoder la parole. Jouez sur les tonalités, ralentissez le rythme pour les plus jeunes et amplifiez les émotions. Vous verrez que vos bébés réagiront sensiblement de la même manière avec ou sans masque !
Exemple de condescendance… comme si les professionnels n’avaient pas adopté dès le début ces stratégies… On théâtralise, on surjoue pour accentuer, pour compenser ce qui manque dans la communication.

Des affirmations qui ne démontrent rien
Toutes ces affirmations qui ne démontrent rien sur la réalité que nous vivons actuellement, présentent des expériences avec des enfants qui sont constamment en présence de personnes non masquées et à qui ont fait subir des situations exceptionnelles pour mesurer des différences … qui n’en sont pas.
Et puis la stratégie d’affirmation d’autorité en parlant de sciences et en renvoyant à des études en anglais que personne ne lira est un biais majeur dans la volonté d’affirmation contradictoire avec ce qu’elle prétend être des lieux communs. Vouloir nous éclairer par de telles stratégies relève de la malhonnêteté intellectuelle et d’une condescendance coupable envers les pros de la petite enfance.

L’enquête publiée dans sur votre site « les effets du port du masque sur la communication et le langage » dit tout à fait autre chose que ce qu’affirme Nawal Abboubqui, car elle s’appuie clairement sur des expériences concrètes, observables et répétées. Donc ce que disent ces personnes, très majoritairement, est vrai puisqu’elles l’ont observé dans des contextes différents avec des enfants différents !
Aujourd’hui ce sont des enfants qui seront pris en charge par des institutions dont l’ensemble des personnes est masqué et qui n’auront connu que ça.
J’ai une fille qui vient d’entrer en 6ème dans un collège où elle ne connaissait aucuns élèves, où elle ne connaissait aucun professeur. A ce jour, elle n’a fréquenté que des personnes masquées. Confrontez ce que semble « dire » la science avec sa réalité quotidienne scolaire et sociale pour comprendre que la science ne dit pas grand-chose de cet ordinaire.

•  C’est vrai, les masques nous malmènent, mais ils nous font aussi nous poser des bonnes questions. De nombreuses connaissances issues de nos laboratoires peuvent nous aider à mieux comprendre les enfants afin de mieux nous adapter, utilisons-les !
Si la photo d’illustration a pu choquer pour des raisons qui n’ont rien à voir avec l’article, il ne manquait en fait que la photo de l’autrice de l’article en blouse blanche pour emporter définitivement la raison des lecteurs.trices vers une soumission à la raison scientifique.
Revenons à la réalité, celle que dit l’enquête parue dans ces mêmes colonnes et qui témoigne du quotidien des pros de la petite enfance et des enfants et que cet article ne vient en rien contredire sinon pour son autrice jouer de son « importance » en tant que scientifique.

Rappel de ce que dit l’enquête et qui confirme ce que j’ai observé également empiriquement.
• Plus d’interactivité sans le masque
• Moins d’écoute et d’échanges avec le masque
• Moins bonne compréhension des messages et des consignes
• Avec le masque, les expressions du visage font défaut
• Les enfants ne savent pas qui parle
• Moins de babils et de répétition de mots
• Un grand besoin de voir la bouche et le mouvement des lèvres

Quant aux masques « inclusifs » ils n’ont pas la qualité de ce qui les qualifie. Ils déforment le visage, le rendent monstrueux et ajoutent à la complexité des signes à déchiffrer pour les interlocuteurs sensibles que sont les enfants.    



 
Article rédigé par : Christian Rousseau
Publié le 22 avril 2021
Mis à jour le 13 mai 2021
Merci pour cette belle décontraction! je rajouterai que, si l'on lit les études citées en anglais, facilement accessibles grâce aux liens, on peut constater que les études portent sur des enfants relativement grands, au minimum 3-4 ans pour l'étude de Roberson, et 7 ans pour celle de Ruba... peut-on transposer les résultats aux bébés de moins de 3 ans? En tant qu'auteure de l'article sur le langage et la communication, je n'ai pas voulu polémiquer, mais je suis contente qu'un lecteur réagisse à ce qui apparaît parfois limite sur le plan de l'utilisation de la science. Marie Paule Thollon Behar