La Passerelle, un lieu d’accueil expérimental dédié aux enfants de 2 à 3 ans

Il existe sur la presqu’île de Quiberon, un lieu d’accueil expérimental et innovant qui pourrait faire des émules ; une proposition atypique conçue sur mesure pour les 2-3 ans, au plus près de leur rythme et de leurs besoins avant leur entrée à l’école. 
Ne cherchez pas à le faire rentrer dans une case. Le dispositif la Passerelle, mis en place à Quiberon depuis quelques années est un lieu d’accueil expérimental et innovant, un dispositif spécifique qui accueille les enfants de 2 à 3 ans, avant leur entrée à l’école. Ce n’est ni un jardin d’enfants, ou jardin d’éveil, ni une classe passerelle, puisque cet EAJE est une extension du multi-accueil voisin avec lequel il travaille main dans la main. 

Un projet expérimental sur mesure 
Tout a commencé en 2015, lorsque le Pôle Petit enfance (à gestion communale) a dû faire face à des effectifs d’enfants de 2 à 3 ans un peu plus importants que la moyenne et que l’enquête auprès des familles révélait des besoins atypiques. Plutôt que de créer une classe passerelle, qui réveillerait des tensions entre écoles publiques et privées, la commune a choisi de mettre en place un projet expérimental et innovant en vertu desquelles il pourrait bénéficier de subventions particulières de la CAF. « Au lieu d’une classe passerelle intégrée dans l’école, avec un professionnel de la petite enfance qui agit à l’intérieur, c’est le contraire, explique Isabelle Martin, responsable du Pôle Petite enfance. La Passerelle est une extension du multi-accueil, un lieu d’accueil spécifique pour les 2 à 3 ans, qui bénéficie d’un professeur des écoles mis à disposition par l’Education nationale. » Si sa gestion reste communale, son fonctionnement est géré par le Pôle petite enfance, qui doit conjuguer avec le rythme de l’enseignante qui travaille à 80% et pendant les périodes scolaires. 

Un fonctionnement en vases communicants 
Le dispositif La Passerelle accueille jusqu’à 12 enfants, en accueil régulier, entre 7h30 et 18h30. Il fonctionne en « vases communicants » avec le multi-accueil, dont l’agrément a été revu à la baisse, avec 30 berceaux. Pour la Passerelle, le multi-accueil joue un peu le rôle d’un périscolaire :  l’accueil du matin et les départs sont regroupés au sein du multi-accueil, de 7h30 à 8h30 le matin, puis de 17h à 18h30 le soir. « Les Passerellois ne s’ajoutent pas au multi-accueil, précise Isabelle Martin. Ils sont pris en charge par une professionnelle qui les y accompagne. » Les enfants connaissent donc les deux structures, même si tous n’ont pas forcément fréquenté le multi-accueil avant d’arriver à La Passerelle. La cuisinière du multi-accueil a pu bénéficier d’une dérogation pour préparer également les repas des enfants de La Passerelle. 

Dans l’équipe, chaque professionnel a sa place 
Dans ce dispositif atypique, où se côtoient métiers de la petite enfance et professeur des écoles, l’équilibre n’a pas été si facile à trouver. Isabelle Martin se souvient : «Nous avons fait en sorte que chacune puisse conserver son statut de base, les spécificités de son métier, et participe à l’éveil de l’enfant. Il était hors de question que certains postes soient dévalorisés au profit de certains autres. » L'enseignante a su s’adapter et trouver sa place dans cette structure hors du commun. Après de nombreuses réunions, ses horaires ont été revus pour qu’elle trouve mieux sa place. « L’enseignante a dû admettre qu’on n’était pas en Toute Petite Section (TPS), qu’on n’était pas à l’école maternelle. En faisant une pause et en revenant de 14h30 à à 16h30, elle avait l’impression de ne rien faire avec les levers de sieste en décalé, le goûter… On a donc décidé ensemble de considérer que le temps de repas et la préparation au coucher étaient des temps pédagogiques pour qu’elle puisse faire une journée continue plus riche», raconte Isabelle Martin. 

Un programme encore très ritualisé 
Le programme de la journée s’égrène au plus près des besoins des enfants, de manière encore très ritualisée. L’enseignante fait donc une journée continue : elle ouvre le dispositif Passerelle à 8h30, chaque enfant est accueilli et reçoit un petit métier pour la journée dont il est très fier (mettre les cuillères, emmener le caddie au jardin etc.). L’enseignante propose (sans les imposer) des activités pédagogiques inspirées de la TPS. Une vraie valeur ajoutée pour l’équipe de la Passerelle. Suit un temps de regroupement qui permet d’observer la météo, de faire l’appel, de se repérer dans l’espace-temps… puis la récréation dans un jardin partagé avec le multi-accueil. Ensuite le temps du repas. L’enseignante amène au temps de sieste avec des histoires et quelques notes de guitare. L’après-midi, chaque enfant se lève à son rythme, profite de jeux libres avant le goûter. Les départs sont possibles dès 16h30. A 17h, la Passerelle ferme, pour un retour au jardin du côté multi-accueil où les enfants sont pris en charge jusqu’à 18h30. 

Davantage de pression 
Par son aspect expérimental, le dispositif la Passerelle fait l’objet d’une convention de partenariat entre la commune, la CAF et l’Education nationale, revue tous les trois ans. Car l’enseignante est mise à disposition de la Passerelle par l’Education nationale qui la rémunère, elle dépend de l’Inspection Académique, tandis que les professionnels de la petite enfance (EJE, auxiliaire, CAP, agent d’entretien,  infirmière, cuisinière) sont agents de la fonction publique territoriale, comme dans tous les EAJE.  « Nous sommes contrôlés d’un point de vue pédagogique, note Isabelle Martin. Nous avons un comité de pilotage chaque année qui ré-interroge le poste de l’enseignant. L’Education nationale souhaiterait même que nous évaluions l’impact de ce dispositif sur les enfants eux même, une fois entrés à l’école, mais cela nous questionne encore. » 

Le chamboulement de la loi Blanquer 
A l’origine, le dispositif de La Passerelle accueillait les enfants de 2 à 4 ans. Mais en 2019, la Loi Blanquer « pour une école de la confiance » a abaissé l’obligation d’instruction dès l’âge de 3 ans. Un sacré chamboulement pour le dispositif et les parents concernés ! « On était embêtés pour deux enfants qui n’étaient pas prêts à aller à l’école à cause troubles du développement et retards psychomoteurs, se souvient Isabelle Martin. Nous aurions aimé que ces enfants puissent encore profiter de la Passerelle pour le premier trimestre, pour mieux les accompagner mais ça n’a pas été accepté… Pourqoi notre dispositif passerelle n'est-il pas considéré comme un lieu d'enseignement ? Le système manque de souplesse : certains enfants nés en début d’année seraient prêts à aller à l’école mais n’y sont pas acceptés et s’ennuient à la Passerelle à 3 ans et demi, quand des enfants de deux ans ne peuvent rentrer à la Passerelle car il n’y a plus de place… c’est dommage ! »

Une expérience enrichissante 
Avec le recul de ces dernières années, l’équipe de la Passerelle est enthousiaste et porte un regard plutôt positif sur la qualité de l’accueil offerte aux enfants dans ce lieu conçu spécialement pour eux. « Ca nous a beaucoup enrichi de travailler avec une enseignante, et vice versa, reconnait Isabelle Martin. On est rentrés dans un vrai partenariat qui est très intéressant des deux côtés. » Quant aux parents, qui apprécient que leurs enfants soient encore considérés « comme des petits »,  ils n’appréhendent plus l’entrée à l’école mais plutôt les temps périscolaires qui suivront. Pour Isabelle Martin, le périscolaire n’est pas du tout adapté aux tout petits de 2 ans et demi et 3 ans : « Dès qu’ils sortent de la classe, les enfants sont perdus ! Il faudrait faire un vrai projet là dessus. On passe de la petite enfance très strictement encadré et accompagné à un accueil de loisirs avec des animateurs BAFA qui ne sont pas formés pour les tout-petits. On manque de lieux spécifiques aux 2-4 ans dans les écoles… » Et si on imaginait de nouveaux projets expérimentaux pour combler ce manque ?
Article rédigé par : Laurence Yème
Publié le 30 mai 2022
Mis à jour le 30 novembre 2022