Organisation de l’espace : quelle influence sur les pratiques éducatives ?

On n’accueille pas des enfants indifféremment, dans un espace neutre. Au-delà des questions de sécurité, un lieu d’accueil de la petite enfance doit être à la fois le cocon et le support ajustable qui leur permettra de grandir et de s’épanouir sous le regard bienveillant de professionnels aux aguets.
« C’est souvent à l’accueil du matin, lorsque les petits arrivent en pleine forme que l’on repère les espaces mal agencés qu’ils délaissent ou qui deviennent vite des lieux de conflits », remarque Claire Delmas, puéricultrice et directrice de la crèche Charpentier à l’Haÿ-les-Roses (94). Ainsi, dans un lieu d’accueil qui est avant tout un lieu de vie, le comportement des enfants et, surtout, l’observation que l’on va en faire révèleront le bon fonctionnement d’une structure et le bien-être de ceux qui la font vivre. Les bébés qui y sont accueillis se nourrissent du monde qui les entourent dès leurs premiers mois. Tout à leur « esprit absorbant », ils explorent et expérimentent à leur rythme, afin de satisfaire leur besoin de toucher, sentir, gouter, essayer, écouter… Les accueillir consiste alors à assurer leur sécurité et leur épanouissement dans un environnement adapté à leurs besoins, déterminant pour leur bon développement moteur, cognitif et social. Selon Didier Heintz, architecte spécialisé dans les lieux d’accueil de la petite enfance , il ne peut y avoir une organisation neutre de l’espace. « Derrière elle se cache de façon plus ou moins consciente toute la traduction d’une manière de vivre. »

Un cadre ludique, ça aide à bien grandir
Si l’aménagement façonne les comportements, c’est alors au professionnel de la petite enfance de penser, d’une façon générale, le cadre parfaitement adapté dans lequel l’enfant pourra grandir, mais aussi l’espace fonctionnel dans lequel l’adulte trouvera sa place. Odile Périno, spécialiste du jouet dans ses aspects psychologiques, a de son coté réfléchi aux bases de bonnes conditions de jeu, nécessaires à la bonne construction de l’enfant. Elle évoque un « cadre ludique » qui offre des repères dans un contexte ou enfants et adultes vivent dans une proximité permanente. Cela passe par des zones de jeux différenciées, des objets choisis mis à disposition, des accompagnateurs présents, des règles d’usage… L’aménagement d’un lieu d’accueil ne doit rien au hasard. Depuis le décret d’août 2000, il doit faire l’objet d’une réflexion de l’équipe, verbalisée dans le projet pédagogique de l’établissement, incluant un projet éducatif et un projet d’espace intimement liés.

Dans ce lieu, chacun doit trouver sa place
Au cœur de ce projet de vie, la disposition des zones, le choix du mobilier, des objets et des jeux proposés implique des pratiques éducatives qui révèlent un état d’esprit. Alors quelles limites imposer et pourquoi ? Par exemple, installer des espaces ouverts, sans barrières pour une meilleure visibilité et mobilité, c’est faire confiance à l’enfant, lui accorder une sacrée liberté. « Chez les plus grands, nous explique Claire Priet, EJE a la crèche Charpentier, les portes sont toujours ouvertes entre les unités. C’est une question d’habitude. Ils savent qu’ils ne doivent pas sortir et demander l’autorisation à un adulte pour aller dans la salle de bains. » Avec un mobilier à sa taille et du matériel à sa portée, l’enfant trouve une grande liberté de déplacement et d’action, il peut s’approprier l’espace et devenir plus autonome. Ce cadre ludique et adapté libère ainsi l’adulte de l’autorité qu’il serait amené à utiliser naturellement. Or dans la plupart des lieux d’accueil, c’est encore trop souvent « tu ne dois pas faire ci, tu ne dois pas faire ça », remarque Didier Heintz. Tantôt immergé dans l’espace de jeu, tantôt a distance, le professionnel doit trouver sa place pour permettre au tout petit de se sentir en sécurité, d’expérimenter ses capacités par lui-même, sans agir à sa place ni l’interrompre. Présent mais discret, disponible sans être « interventionniste ». Assis au milieu de la pièce ou installé a l’écart pour avoir une vision globale rassurante, l’adulte sécurise par sa simple présence bienveillante, son regard approbateur. L’enfant se sent alors en confiance pour progresser, se sait accompagné et finit même par chercher une certaine intimité de jeu dans les recoins d’un espace dinette ou repos. Enfin, on peut imaginer installer des sièges bas et confortables à l’intention du pro pour éviter une fatigue récurrente et redonner une véritable place physique a son corps trop souvent malmené par des postures inadaptées.

Le bien-être de tous passe par le rangement
Un lieu de vie clair et organisé, lisible et ordonné invite l’enfant à jouer, lui offre les repères dont il a besoin pour grandir. Aux pros de s’organiser de façon cohérente pour maintenir l’espace « prêt à jouer ». Plus facile à entretenir, un espace bien géré, c’est aussi un véritable gain de plaisir à travailler. Etagères étiquetées, paniers et boites pour trier, classement spécifique, inventaires annuels… à chaque équipe sa façon de faire, mais pour que le système reste efficace, il doit être approuvé par tous, ni trop exigeant, ni trop paresseux. A chacun d’y mettre du sien ! Lorsque chaque chose est à sa place, on montre l’exemple et bientôt ce sont les enfants eux mêmes qui indiqueront où se rangent les légumes et où coucher la poupée. « Pour libérer de l’espace et changer notre façon de proposer des jeux aux enfants, nous avons créé une réserve commune dans le local à poussettes, explique Sarah, EJE dans une crèche collective. A disposition de chaque unité multi-âges, les jeux sont rangés dans des caisses étiquetées Lorsqu’on vient en chercher un, il y a une vraie démarche de choix, on ne prend plus celui qui était juste là, à portée de main… »

L’observation, la clé de pratiques adaptées
Choisir une classification qui nous convient (par un type de jeux plutôt que par âges), une organisation que l’on juge pratique, c’est se donner les moyens d’une réflexion cohérente et plus approfondie, basée sur une observation attentive afin d’offrir à l’enfant ce dont il a besoin, en favorisant toujours son bon développement. Bien sur, cela induit de parvenir à « s’extraire des exigences des parents, de la pression des fournisseurs, des contraintes institutionnelles… » souligne Anne-Sophie Casal, psychologue et formatrice au FM2J . Cette réflexion qui apporte toute leur valeur aux métiers de la petite enfance devrait procurer à ces professionnels un véritable plaisir à exercer, au delà des conditions souvent difficiles et d’un manque de reconnaissance certain. Pour assurer à chaque enfant un accueil de qualité, il est indispensable d’ajuster ses pratiques par une observation attentive et permanente des comportements de chacun. Car au gré des changements d’équipe, de l’arrivée des petits nouveaux, les caractères évoluent et les groupes ne sont pas les mêmes. Allez on s’interroge : quels sont les jeux plébiscités ? Y-a-t-il des zones de conflit ou des espaces délaissés ? Des comportements révélateurs d’un dysfonctionnement à résoudre. Si le coin dinette n’est plus utilisé n’est ce pas parce que tous les accessoires sont entassés dans une caisse ? Avec des couverts, légumes et casseroles bien triés et rangés dans des paniers, les enfants retrouveraient surement l’envie d’y jouer… Parfois, c’est une surabondance d’objets qui nuit au jeu et aux interactions entre les tout-petits. « Le nombre de jeux doit être raisonnablement limité pour éviter un éparpillement et une surstimulation », conseille Anne-Sophie Casal. Mieux vaut alors proposer un nombre restreint de jouets et objets variés (poupées, voitures, motricité fine, constructions, etc.) toujours rangés au même endroit pour gagner en espace et en clarté, et organiser un roulement toutes les trois semaines en vue de renouveler l’intérêt des enfants.  

Préserver des coins de jeu plus calmes
« Il y a souvent trop de choses, d’objets, de jouets dans les crèches. Trop d’activités en groupe aussi. On ne laisse plus à l’enfant le temps de s’occuper par lui même ! » insiste Didier Heintz. Pour les jeux symboliques, on n’hésite pas à aménager un coin préservé qui procure au petit une véritable intimité de jeu. Pour certains accessoires, victimes de leur succès, avoir des doubles peut permettre aux enfants de jouer en parallèle, de s’imiter puis d’entrer en interaction. Facile à réunir pour des ustensiles de vie pratique à petits prix ou de récupération (pelle et balayette, flacons vides, petits cabas, boites) qui font de très bons jeux d’imitation. Enfin, on ne pense pas toujours à l’ambiance générale : un petit effort sur l’harmonie d’une pièce peut faire beaucoup sur l’atmosphère qui y règne.

Stop ! On fait le point
« Il est toujours possible de changer les façons de faire si cela correspond à un projet » rassure Didier Heintz. Pas d’immobilisme possible. Pour garder le dynamisme d’une structure, il est essentiel de se ménager un temps de réflexion régulier afin de prendre du recul sur ces questions. Des réunions d’unité ou par profession permettent d’analyser les pratiques, les peurs et les blocages de chacun, de faire des projets qui incitent à avancer. L’occasion, pour les derniers arrivés, de s’approprier davantage le projet pédagogique de la structure auquel on devrait en permanence se référer. Le meilleur moyen de prendre du recul c’est également de solliciter un avis extérieur d’un psychologue, d’un architecte, d’un professionnel de la petite enfance de passage, d’un psychomotricien etc. que l’on associe à la démarche. Certains pourront vous aider à mettre des mots sur un ressenti, à décrypter un problème, à trouver des solutions adaptées. Une aide précieuse dont on ne saurait se passer pour se sentir bien dans son lieu d’accueil !

1.Didier Heintz est architecte et designer, cofondateur de Navir, enfants-adultes-environnement. Il est l’auteur de « De l’unique au multiple, l’espace partagé de la petite enfance » aux Editions Navir.
2.Odile Périno est auteur de « Des espaces pour jouer. Pourquoi les concevoir ? Comment les aménager ? » aux Editions Eres.
3.Le FM2J est le Centre national de formation aux métiers du Jeu et du Jouet.

 

Se former pour mieux s’organiser

Pour aller plus loin dans la réflexion, le Centre national de formation aux métiers du Jeu et du Jouet (FM2J) propose des formations pour répondre aux problématiques des EAJE sur l’aménagement des espaces de jeu. La prochaine aura lieu du 4 au 6 avril prochain, autour du « cadre ludique », au FM2J à Lyon. Plus d’infos sur www.fm2j.com Vous connaissiez les ouvrages de référence de Navir ; vous pourrez désormais vous former auprès d’eux. L’association Navir, qui mène depuis plus de trente ans la réflexion et de nombreux projets autour de la relation de l’enfant à l’espace, à travers des pratiques d’aménagement de lieux d’accueil propose désormais des formations en intra d’une ou deux journées pour un autre regard sur l'aménagement de l'espace adapté à chaque lieu : permettre l'observation du comportement des enfants dans le lieu ( jeu, activités libres ou dirigées, accueil, rôle des adultes), revoir l'aménagement pour en faire un lieu sensible adapté au projet pédagogique… Contact : Didier Heintz - 06 87 69 68 00 – http://navir.asso.free.fr

Article rédigé par : Laurence Yème
Publié le 19 février 2016
Mis à jour le 01 décembre 2021