La dictature de la babycratie

Jusqu’où peut nous mener la pédagogie positive

Bruno Humbeeck
couverture de la dictature de la babycratie
Voici un auteur qui ose exprimer ce que d’autres pensent tout bas : arrêtons de nous laisser déborder par les enfants sous prétexte qu’on leur souhaite le meilleur et qu’on est prêt, en tant que parent ou professionnel, à être à leur écoute et les aider à s’épanouir.
Même si le titre “Babycratie” renvoie à “bébé”, il ne faut pas s’attendre dans ce livre à une analyse de la période de la toute petite enfance car les comportements donnés en exemple sont ceux d’enfants plus âgés.

D’ailleurs le sujet du livre est plus l’évolution de la parentalité et le coaching destiné aux familles que le développement de l’enfant. Quand l’auteur, Bruno Humbeeck, psychopédagogue spécialisé en pédagogie familiale et scolaire, parle de babycratie, il se réfère à un autre néologisme, celui d’happycratie proposé par deux sociologues dans un livre du même nom.1De même que l’happycratie décrit l’injonction au bonheur véhiculée dans notre société par les manuels et autres supports de la psychologie positive, la babycratie se manifeste de la part des parents par « leur tendance à focaliser l’attention sur la sécurité absolue, le développement optimal et l’épanouissement idéal de l’enfant ». Il en voit un des effets dans la distinction de bébés aux besoins intenses (BABI) à laquelle il ne croit pas (cela n’engage que lui !).

La question posée dans le sous-titre Jusqu’où peut nous mener la pédagogie positive ?  résume la méfiance de l’auteur envers toutes les méthodes centrées sur les émotions de l’enfant et repoussant tant que possible celles qui sont désagréables. Tout au long des pages, on découvre que Bruno Humbeeck n’est pas spécialement contre l’éducation bienveillante, contre la prise en compte de ce que ressent l’enfant, contre les méthodes pédagogiques valorisant l’expression individuelle. Il est contre le fait de placer très largement et systématiquement la satisfaction des enfants au-dessus des besoins des adultes. D’ailleurs il n’appelle jamais au retour à une éducation autoritaire à l’ancienne et il souscrit aux idées de Françoise Dolto mais considère que «  c’est l’avoir bien mal lue que d’affirmer que l’enfant est considérée par elle comme une grande personne. »
Le livre fait contrepoint à des dizaines et dizaines de livres de psychologie et de pédagogie positives qui donnent des outils clés en mains pour éduquer des enfants nageant dans le bonheur et apprenant dans la joie. Il vise une seule catégorie de parents, pas si nombreuse que ça (ce n’est pas son auteur qui le dit !), ceux qui sont « épuisés par leur souci de perfection, déboussolés par l’injonction qu’ils se donnent à eux-mêmes de ne jamais punir, laminés par leur souci d’être toujours à l’écoute, usés par leur volonté de délivrer une éducation optimale, éreintés à force de se courber devant les exigences de leurs enfants.» Un chapître porte sur la manière dont la méthode Montessori du début du XXe siècle est interprétée et appliquée aujourd’hui de la part de parents qui ont un profil “hélicoptère”, “drône” ou “curling” selon leur manière de suivre  tous les faits et gestes de leur enfant et de vouloir lui assurer un parcours sans fautes.
Les pages de conclusion sont sévères envers la pédagogie positive :  « il faut toujours se méfier des utopies en pédagogie […] C’est par là que se sont construits les pires régimes totalitaires, en prenant toujours appui sur des intentions éducatives présentées comme idéales ». Mais tout au long du livre, le discours est plus nuancé et argumenté. Un livre qui critique sans proposer un autre dogme. Son but est de donner à réfléchir et non des recettes à appliquer.
À mettre entre les mains des professionnels qui s’interrogent sur leur accompagnement de la parentalité.

1 Edgar Cabanas et Iva Illouz, Happycratie. Comment l’industrie du bonheur a pris le contrôle de nos vies, Premier Parallèle, 2018

 
21,90
Article rédigé par : Fabienne Agnès Levine
Publié le 15 avril 2020
Mis à jour le 16 avril 2020