La lettre de Chrystelle à la Ministre Laurence Rossignol

Chrystelle Nicolas-Loire, ditectrice de crèche a fait un burn out. Elle a voulu comprendre ce qui lui arrivait et a lancé un questionnaire en ligne intitulé " Comment se porte votre crèche en 2016". Elle obtenu à ce jour plus de 1100 réponses. Que faire de ces réponses ? Comment les faire connaître ? Dés le moi de mai, Chrystelle a écrit une lettre à Laurence Rossignol, Ministre des Familles, de l'Enfance et des Droits des Femmes, restée sans réponse à ce jour. C'est pourquoi, nous qui nous étions fait l'écho de l' histoire de Chrystelle et analysé les réponses à son questionnaire,  nous publions aujourd'hui cette lettre.


Madame la ministre,

Responsable d’un établissement d’accueil du jeune enfant dans un groupe privé et éducatrice de jeunes enfants de formation, je suis depuis 26 ans une professionnelle de la petite enfance passionnée et investie par mon métier. Je suis actuellement victime d’un burn-out que je n’ai pas vu venir et en arrêt depuis 8 mois. Qui aurait pu croire que je ne puisse pas reprendre mon travail encore à ce jour. Je me sens « handicapée », freinée, incapable de reprendre ma fonction, je suis comme anéantie. Que m’est-il arrivé ?

Je me soigne avec l’aide de mon médecin traitant, celui de la médecine du travail et l’aide d’une psychanalyste, sans oublier un traitement au Prozac. Grâce à ces professionnels, je me sens de moins en moins coupable et responsable de ma situation. Avec leur accompagnement, je réalise que j’ai subi un management inadapté, avec des attentes toujours plus lourdes et plus fortes. Afin de répondre à la demande du siège et surtout de la CAF, on nous en demande toujours plus. Nous devons remplir la crèche au maximum, nous obligeant à faire notre propre publicité dans nos communes en devenant commerciale. Une pression sur les propositions d’accueil devant être toujours plus imaginatives, divertissantes, originales pour plaire aux familles qui répondent deux fois par an à des questionnaires de satisfaction. Egalement sur les projets pédagogique et d’établissement qui doivent eux aussi être originaux, inventifs pour montrer aux familles toutes les belles choses que peuvent réaliser leurs enfants et surtout faciliter la vente des berceaux aux entreprises. Sans oublier le rapport d’activité à rendre deux fois par an à la CAF et chaque mois aux mairies pour les EAJE en délégation de service public. Beaucoup d’administratif, d’attentes et d’exigences pouvant être récompensées par des primes d’objectifs.
Le rêve pour des équipes qui souhaitent travailler avec passion sur des projets qui favorisent le bien-être des enfants et l’accueil des familles. Mais hélas, l’envers du décor (dû à la pression financière…) est tout autre car un élément important nous épuise, le manque crucial de moyens humains qui est calculé au minimum, un professionnel pour cinq enfants qui ne marchent pas et un professionnel pour 8 enfants qui marchent. Ce calcul en théorie est réglementaire, mais sur le terrain il est insuffisant, un professionnel absent ou en vacances et le quota est hors norme. Imaginez deux professionnels avec 16 enfants qui marchent, avec tous les besoins que chacun d’entre eux nécessite.
Prenons un exemple simple de notre quotidien : seize enfants âgés de 1 an  à 15 mois et deux professionnels  dans une section (Fabienne auxiliaire de puériculture et Oriane Cap petite enfance), Paul 13 mois pleure au départ de sa mère, il a besoin de Fabienne pour être rassuré et entendu, les douze autres enfants jouent, certains écoutent des histoires qu’Oriane lit. Arthur 15 mois mord Alice 14 mois, Oriane interrompt son histoire pour soigner et rassurer Alice et Fabienne vient avec Paul qui pleure toujours prêt d’Arthur pour le rassurer aussi ….Le groupe qui se retrouve sans soutenance des adultes provoque chez eux des pleurs, des incompréhensions…. Quelques-uns ont besoin d’être mouchés, changés, ou tout autre besoin…. Comment ne pas se sentir impuissant en tant que professionnel, comment ne pas se sentir frustré de ne pas pouvoir continuer son histoire, frustré de ne pas donner toute son attention à Paul car elle doit rassurer Arthur et reprendre le « portage » du groupe pendant que ma collègue soigne Alice.

Cet exemple représente dix minutes d’une journée classique de plusieurs professionnels.  Cela fatigue considérablement les équipes qui veulent donner le maximum et faire toujours au mieux pour accompagner l’enfant, mais ces professionnels s’épuisent et cela créer des arrêts de travail, des départs dus à des déceptions et des désillusions. Tout cela fait baisser le soufflet qui était à l’origine gonflé d’optimisme. Les conséquences sont un absentéisme récurent, un turn over fréquent, alors il faut remplacer, recruter vite, très vite pour rester dans les normes d’encadrement. Les recrutements se font dans la précipitation pour répondre aux besoins immédiats, mais ils ne répondent pas toujours aux besoins pédagogiques que l’on attend sur le terrain. Alors, il faut reformer ces professionnels et puiser dans une énergie que l’on perd au fil des ans, à force de former des remplaçants (quelques fois tous les mois), pour maintenir une qualité d’accueil au quotidien avec des connaissances pédagogiques pour le bien-être de l’enfant et de sa famille, car nous sommes des professionnels de la petite enfance et notre métier est une affaire de connaissances. Des personnes sans formations et sans expériences ne peuvent pas prendre le « train en marche » sans connaissances sur l’accompagnement des jeunes enfants âgés de 2 mois et demi à 3 ans, toujours pour une raison qualitative d’accueil. En effet, nous ne gardons pas les enfants, nous assurons leur sécurité physique et affective en les éveillant au monde extérieur entre autres.  Notre travail est rempli de connaissances théoriques que nous adaptons et appliquons au mieux pour chaque enfant, telle est notre mission quand une famille choisi notre mode de garde.   Alors, pour résumer simplement, tout est beau en théorie, on vend quelques fois du rêve aux familles, la publicité est jolie et donne envie, le parents et les professionnels y croient, j’y ai cru aussi. Mais pour offrir un accueil de qualité il faut des professionnels formés en nombre suffisant et du temps pour accompagner chaque enfant.

Aux six mois de mon arrêt de travail, j’ai repris petit à petit le goût de parler de mon métier, j’ai eu besoin de comprendre pourquoi sur le terrain on a tant de mal à allier nos projets, la qualité d’accueil au quotidien et l’accompagnement de tous les instants entre autres… En interrogeant des collègues travaillant en crèches municipales, associatives ou privées, de toutes formations et fonctions comprises, j’ai entendu un son commun : « On n’en peut plus de travailler comme cela ! »  «  On ne pense qu’à remplir les crèches, pour faire de l’argent » «  On travaille à la chaine ! »…  Alors, j’ai eu la curiosité de dépasser mon petit panel de connaissances et j’ai eu envie d’aller « sonder » le cœur de ma corporation professionnelle, en EAJE pour savoir si ce sentiment était général.

Je crée donc un questionnaire en ligne, où j’élabore mes questions et je le diffuse via mes contacts sur les réseaux sociaux et auprès des professionnels de la petite enfance en leur demandant de relayer. Mon objectif ici est d’obtenir une centaine de réponses pour avoir de quoi en faire une lecture représentative et réaliste. A ce jour et en 3 semaines j’ai obtenu 800 réponses. Le constat est interpellant. Dans tous les corps de métiers, du poste de responsable à celui de l’agent de ménage, je retrouve le même ressenti. Ils sont passionnés, aiment leur métier, ils ont le souhait de le réaliser à bien, mais cela devient de plus en plus difficile et décourageant. En effet, ce qui ressort essentiellement du questionnaire c’est le remplissage des crèches, les restrictions budgétaires, la pression de la CAF, un manque de moyen humain, l’absentéisme des professionnels non remplacés. Par conséquent les professionnels soulèvent, une baisse de la qualité d’accueil de l’enfant et de sa famille, un travail toujours effectué dans l’urgence, peu de reconnaissances et de valorisations professionnelles, pas assez de dialogues. La fatigue et l’épuisement se font ressentir.
Ce questionnaire n’avait pas pour objectif de dépasser ma curiosité, mais 800 personnes qui y répondent en me confiant leur quotidien, je ne peux pas laisser cela dans le silence et dans la mémoire de mon ordinateur. Les ressentis sont trop forts, le malaise ambiant et le découragement est alarmant pour la plupart de ces professionnels. Ces professionnels ne peuvent pas rester sans écoute. Ils nous montrent que nos professions en EAJE vivent une nouvelle ère. Les nouveaux objectifs qui consistent en plus de créations de places pour répondre aux besoins des familles françaises, des budgets revus à la baisse etc… Nous forcent à trouver un nouvel équilibre sans que l’un prenne le dessus sur l’autre. Mais aujourd’hui le financier prend toute la place, en diminuant les effectifs des professionnels et leurs qualifications. C’est ainsi que nous perdons notre savoir-être et notre savoir-faire que plusieurs pays nous enviaient.
La petite enfance est l’oubliée de la société, beaucoup d’études, de chercheurs et d’auteurs nous démontrent l’importance de la prise en charge des jeunes enfants,  la nécessité d’être vigilant en accompagnant les trois premières années de la vie, et ces exigences demandent du professionnalisme.
Si ces jeunes enfants pouvaient parler que nous diraient-ils ? Ils sont l’avenir de la France et nous les négligeons.
Je suis à votre disposition, pour partager et travailler à des solutions.

Veuillez Madame la ministre recevoir, mes salutations distinguées.
Chrystelle Nicolas Loire.

 
Article rédigé par : Chrystelle Nicolas Loire
Publié le 20 juillet 2016
Mis à jour le 12 novembre 2016
Portrait de domie
le 12/11/2016 à 11h30

chapeau Madame!!! enfin une responsable qui reconnait son personnel ,donc le respect...