Crèches : des professionnels sous pression

Le bien-être des enfants et de leurs parents est au cœur des projets pédagogiques de la plupart des crèches et autres lieux d’accueil. Celui des professionnels qui y travaillent semble souvent délaissé. Pourtant, jamais leur souffrance n’aura été aussi vive. Certains même frisent le burn out.
Jour après jour, les professionnels de la petite enfance cultivent un objectif commun, celui de veiller au bien-être des jeunes enfants accueillis et de leurs parents. Moult outils, stratégies et projets pédagogiques sont déployés pour permettre de pallier quotidiennement les aléas de cette séparation précoce entre un bébé, sa maman et son papa. Mais qu’en est-il du bien-être des professionnels qui les accueillent ? Celui-ci s’avère bien souvent mis au second plan des priorités des établissements, alors que leur épanouissement se révèle central dans le bien-être et la bonne adaptation des enfants accueillis. On le sait, les petits absorbent toutes les émotions, les tensions et les émois qui animent les adultes, et le stress lui-même est aussi contagieux que le serait une bonne grippe ! L’expérience du terrain le confirme : lorsqu’une équipe est sereine, les enfants paraissent plus paisibles, plus tolérants à la frustration, moins agités. Ce que confirme Nadine, une psychologue de crèche collective: « Il me suffit de mettre le pied dans une section pour ressentir le climat humain qui y règne. En fonction du comportement des enfants, de leur agitation, de leurs pleurs, il m’est possible de ressentir si l’équipe est en conflit, si les professionnels sont en souffrance ou si, au contraire, les adultes se portent bien ! ». Voilà pourquoi, prendre soin des enfants nécessite, dans un premier temps, de prendre soin des adultes qui les accueillent…   

De nombreuses idées reçues
Dans l’inconscient collectif, celui qui œuvre auprès des jeunes enfants en lieu d’accueil baigne dans un univers féérique, teinté de couleurs pastel, de petits animaux qui chantent et de jouets par milliers. Pour mener à bien cette fonction de « gardienne d’enfants », pas besoin d’une formation très approfondie, être femme est un bon début. Ces idées reçues continuent de sévir au niveau du grand public, voire également des décisionnaires administratifs de ces lieux d’accueils. Pour nombre d’adultes, l’enfant demeure ce tube digestif qui alterne ses journées entre les repas et les épisodes de sommeil. La portée des projets pédagogiques et la complexité de l’organisation n’est pas toujours bien cernée. « Le matin, certains parents nous lâchent un agaçant « Amusez-vous bien ! », ou encore « Quelle chance avez-vous de jouer avec les enfants toute la journée, qu’est-ce que je ne donnerais pas pour quitter mon bureau pour me joindre à vous ! ». Nous (sou)rions jaune. Heureusement, d’autres parents nous lancent un « Bon courage ! » ou encore « Moi qui ai déjà du mal à m’occuper d’un seul enfant, je ne sais pas comment vous faites pour vous en sortir avec huit ! » témoigne Sandra, auxiliaire de Puériculture. La reconnaissance des enjeux de leur métier serait sans  doute la première étape pour aider ces professionnels à être moins stressés ou déprimés.
 
De la plainte à l’épuisement
Car une chose est certaine : la réalité du terrain se révèle bien moins idyllique que prévue. La volonté de ces professionnels d’accompagner le petit humain dans ses premières acquisitions se heurte à de multiples contraintes humaines et matérielles. Les règles du jeu ont changé : les pouvoirs publics visent à élargir l’offre d’accueil à moindre coût. Le secteur de la petite enfance n’échappe malheureusement pas à une tendance économique d’ordre national. Si les projets pédagogiques sont aussi riches et élaborés les uns que les autres, il n’est pas toujours possible de les appliquer. « Nous avons l’impression d’accueillir toujours plus d’enfants avec toujours moins de professionnelles et de matériel ! Lorsque notre crèche a ouvert ses portes en septembre, nous n’avions pas suffisamment de jouets et de tapis. Les sections étaient presque vides... Si nos patrons ne s’investissent pas sur le terrain pour nous offrir de bonnes conditions de travail, comment voulez-vous que nous nous investissions à notre tour ? » s’interroge Chloé, éducatrice de Jeunes Enfants. Certains établissements sont marqués par des absences à répétition, « pas toujours justifiées » selon certaines directrices. Or, plus les professionnels s’absentent, plus leurs collègues qui restent doivent absorber leur charge de travail et tendent à s’épuiser, et plus ils auront eux-mêmes tendance à s’absenter. Un véritable cercle vicieux.  
De ce fait, la plainte reste omniprésente tandis que les douleurs corporelles sont monnaie courante. « Ces professionnels en ont tout simplement plein le dos ! » s’exclame Sophie, directrice d’une crèche collective. Beaucoup de professionnels dépensent leur énergie à revendiquer de meilleures conditions de travail, mais parfois, au détriment de la mise en place de projets innovants. « Si certaines de ces pros passaient autant de temps et consacraient autant de leur énergie à proposer de nouveaux ateliers aux enfants qu’à se plaindre, nous n’en serions pas là ! Ok, les conditions d’accueil ne sont plus ce qu’elles étaient, et sont loin d’être idéales. Ceci dit, à un moment, il serait pas mal de rebondir et d’aller de l’avant ! » s’impatiente Corinne, elle aussi, directrice d’une crèche collective.

Un métier extra-ordinaire
Au-delà de ces conditions de travail discutables et discutées, la complexité du métier repose avant tout sur la nature du public accueilli : les jeunes enfants. En effet, œuvrer auprès des humains en début de vie, c’est se confronter 8 heures par jour à des émotions vives que ces individus hauts comme trois pommes ne sont pas encore en capacité de réguler. En tête de peloton, nous retrouvons les pleurs et les cris, des signaux aversifs fréquents qui génèrent une importante source de stress chez les professionnels. « La dimension affective de leur fonction est pleine de paradoxes. D’un côté on les invite à répondre aux besoins d’attachement des enfants et de l’autre, on leur demande de ne pas trop s’attacher, de conserver une bonne distance… Personnellement, en 17 ans de crèche, je n’ai jamais vraiment compris ce que signifiait concrètement cette « bonne distance » ! » témoigne Claude, directrice d’une mini-crèche. De plus, si cette énergie débordante des premières années est source de vie, elle peut également, à forte dose, être source d’épuisement pour les professionnels déjà affaiblis par ailleurs. N’oublions pas que la crèche est un environnement de vie particulièrement stimulant, pour les petits comme pour les grands. « Dans notre structure, on nous rappelle sans arrêt que l’on est payés pour consoler les enfants inconsolables, subir les réprimandes des parents insatisfaits, retrouver de l’énergie même lorsque l’on est épuisées. Reconnaissons une fois pour toutes qu’il y a des métiers plus difficiles que d’autres ! Un peu de reconnaissance et de valorisation suffiraient parfois à nous redonner du courage » estime Vanessa, auxiliaire de puériculture.

Des psychologues de crèche à l’écoute
Stéphanie, psychologue dans les crèches collectives l’avoue sans ambages : «  Comme je le dis tout le temps aux équipes que j’accompagne, je peux les conseiller, les guider, les épauler, mais sûrement pas les remplacer. Je n’aurais pas l’endurance psychologique nécessaire pour mener à bien leur fonction. Et d’ailleurs, je sais qu’il en est de même pour la grande majorité de mes collègues psychologues, médecins et puériculteurs ! ».
Les psychologues exerçant dans les crèches pensent qu’il est nécessaire de laisser parler et d’écouter les équipes, pour les soulager à minima. La souffrance des professionnels de la petite enfance résulte de l’intrication de plusieurs facteurs : la pénibilité de leur travail, l’impulsivité des enfants qu’ils accueillent, les contraintes humaines et matérielles auxquelles ils sont confrontés, l’aspect répétitif de leurs tâches, le manque de valorisation, la relation pas toujours sereine qu’ils peuvent tisser avec les parents, leurs collègues ou encore leur hiérarchie. D’ailleurs, rappelons que beaucoup de directeurs de crèches eux-mêmes souffrent de leurs conditions de travail. La pression de leur propre hiérarchie, la charge du travail administratif, l’aspect commercial de leur fonction, l’accompagnement d’une équipe résistante ou en souffrance sont autant de difficultés auxquelles ils peuvent être confrontés. Dès lors, les réunions d’équipe, les journées pédagogiques, mais aussi les formations continues et l’impulsion de projets collectifs peuvent permettre de recréer du lien entre les différents professionnels et de réinjecter une certaine motivation apaisante dans une structure.

Lire aussi le témoignage de Corinne G, auxilaire de puériculture victime d'un burn out.
Lire aussi notre enquête :  crèches : les pros ont des états d'âme.

D’autres solutions

De modestes solutions existent pour soulager les tensions. Des ateliers de sophrologie, de réflexologie palmaire, tels que des automassages des mains à pratiquer en section, et des formations de gestion du stress en lieu d’accueil peuvent être proposés aux professionnels. Invitons-les avec bienveillance à prendre soin d’eux afin qu’ils soient davantage en capacité, à leur tour, de prendre soin des enfants. Les VAE (validation des acquis de l’expérience) sont également des sources précieuses de motivation individuelle. Enfin, lorsqu’un professionnel ne semble plus éprouver de plaisir à exercer son métier, osons lever les tabous et évoquer la perspective d’une réorientation. Rappelons à tous les professionnels qu’à travers leur expérience auprès des enfants, ils ont pu développer un ensemble de compétences transférables à d’autres métiers, à l’aide d’une formation complémentaire ou non.

Article rédigé par : Héloïse Junier
Publié le 17 février 2016
Mis à jour le 05 juin 2021

4 commentaires sur cet article

Superbe article qui parle bien de nos besoins de professionnels pour pouvoir répondre aux besoins des touts petits. Merci
Portrait de domie
le 16/07/2016 à 17h14

je revendiquerais en premier lieu la reconnaissance(salariale) de notre travail auprès des enfants. le respect viendrait en second,combien de parents nous disent""amusez vous bien...""vous vous faites bronzer(dans le jardin..."""
c'est un article très juste sur les ressenties des professionnels de la petite enfance, la reconnaissance salariale demandée doit aussi être faite aux Assistants Maternels qui touchent beaucoup moins et ont une amplitude de travail plus large ....
A quand la pénibilité on ne peut travailler dans ses conditions,âges ,locaux adaptés, Enfants actuels