Étude Label Vie : Les CDD en petite enfance, ni sources de précarité ou de mauvaise qualité de vie au travail

Pierre Moisset, sociologue poursuit son décryptage de l’étude de Label Vie soutenue par la Cnaf et la  fondation Mutuelle Familiale  , lancée via notre site, sur la qualité de vie au travail des professionnelles de la petite enfance exerçant en structures d’accueil collectif. Dans ce deuxième article il aborde le type de contrat  des pros. Est-ce que selon qu’on soit en CDD ou CDI par exemple, les conditions de travail sont plus ou moins bonnes, plus ou moins bien vécues.  Bref, le type  de contrat a-t-il impact sur la qualité de vie au travail ?  Contrairement à toute attente, il semblerait que non ! Explications.

 
Plus de CDD chez les employeurs publics
Pour cette  étude nous avons interrogé  les professionnels sur leur type de contrat de travail : CDD, CDI, contrats de la Fonction Publique ou Fonctionnaires etc…). Au sein de notre échantillon environ 9% de nos répondants étaient en CDD, 34% relevaient des fonctions publiques et 56% étaient en CDI. En cherchant à préciser si les employeurs selon leur  statut - privé lucratif, associatif et public- recouraient de la même façon  aux différents types de contrats de travail nous avions eu une relative surprise : on retrouve  plus fréquemment des CDD au sein des établissements relevant de la fonction publique (principalement territoriale) 12% contre 9% en moyenne. Ce, alors que les employeurs privés se caractérisent par un très faible taux de recours aux CDD (moins de 4% de leurs contrats de travail dans notre échantillon) et que les employeurs associatifs sont en position intermédiaire (7% de leurs contrats). Que penser de cela ? A noter déjà qu’à l’échelle de notre échantillon et de ses biais possibles nous obtenons une part de professionnels en CDD inférieure à ce qu’elle était dans l’ensemble de l’emploi salarié en 2017 selon la DARES soit 12%.
Bien sûr, cela ne nous dit rien de la durée de ces CDD et de leur succession qui sont une forme de gestion de la flexibilité de la masse de travail et de ses variations …
Néanmoins, ce premier constat est l’occasion de s’interroger sur la présence de ces CDD dans l’accueil de la petite enfance et, notamment, de l’influence qu’ils peuvent avoir sur les professionnels concernés, leur bien-être au travail, le sentiment de faire un travail de qualité auprès des enfants et des parents… En effet, dans un travail relationnel tel que l’accueil de la petite enfance, un travail relationnel auprès de jeunes êtres très sensibles aux relations de surcroît, on ne peut que craindre les effets que la précarité pourrait avoir sur les professionnels.

Les CDD : surtout les jeunes et les moins qualifiés
Un Premier constat : parmi nos répondants, ce sont plutôt les plus jeunes qui sont le plus fréquemment concernés par ces contrats : ainsi ce sont 22% des 20-30 ans qui sont en CDD contre 9% donc en moyenne dans notre échantillon, les autres catégories d’âge n’étant concernées qu’autour ou en dessous de 6%. Ce résultat correspond avec les grands constats faits au niveau de l’ensemble de l’emploi salarié : ainsi, les 15-24 ans représentent en 2017 8% des personnes en emploi salarié et 23,6% des personnes en CDD et intérim – données INSEE. De même, ces CDD concernent plus particulièrement les auxiliaires de puériculture (10,3%) et l’ensemble des assistants et agents petite enfance (12%) et moins fréquemment les EJE (8%) ou les personnels de direction (6%). Là encore, cela correspond au constat général d’une grande fréquence de CDD et contrats courts parmi les professions employées plutôt qu’intermédiaires et cadres.      Bien sûr, au sein de notre étude, les professionnels en CDD sont bien plus fréquemment récents dans leur établissement actuel (57% depuis moins de 2 ans contre 26% en moyenne dans l’échantillon).

En CDD : la même qualité de vie au travail que les autres pros
Voyons maintenant comment les professionnels concernés par ces CDD vivent leur situation. Est-ce que ces contrats courts sont associés à une moins bonne qualité de vie au travail ? A des pressions et des injonctions plus fortes ? Si l’on s’intéresse à l’absentéisme des professionnels (qui peut  être un indicateur de souffrance ou pression au travail lorsqu’il est élevé mais aussi lorsqu’il est particulièrement bas en étant le signe alors d’une pression à la présence) on ne note aucun effet du type de contrat de travail sur la durée des absences cumulées les deux mois avant la passation du questionnaire. Si l’on s’intéresse au présentéisme (le fait de venir au travail en étant souffrant ou malade, un fort indicateur de pression au travail), même constat : les personnes en CDD ne font pas état de plus de présences au travail en étant partiellement en état de travailler. Le présentéisme, dans notre échantillon, étant plus fréquent au sein des salariés du privé, nous avons fait le même croisement (type de contrat et présentéisme) pour les seuls salariés du public, plus particulièrement concernés par les CDD : et là même constat, pas de relation entre CDD et présentéisme…      Les CDD ont-ils alors un lien avec les souffrances physiques (lombalgies, douleurs articulaires, problèmes de peau etc…) et psychiques (céphalées, fatigues, état dépressif) sur lesquelles nous avons interrogé les professionnels ? Non. Les professionnels en CDD souffrent juste plus fréquemment de problème de peau, mais cela uniquement parce qu’ils sont plus jeunes et que, au sein de notre échantillon, les problèmes dermatologiques en rapport avec le travail ont été plus fréquemment déclarés par des professionnels jeunes. Soit, mais peut-on alors relier le fait d’être en CDD avec le fait de souhaiter, plus fréquemment, quitter l’établissement dans lequel on travaille ? Ce qui est le signe d’un inconfort professionnel. Non, lorsque l’on teste cette relation au sein de l’ensemble de notre échantillon. Et lorsque l’on regarde uniquement au sein des professionnels de moins de 30 ans, ceux en CDD ont bien moins fréquemment l’intention de quitter l’établissement que les autres : 53% ne l’envisage pas contre 35% ! Et ce alors que les 20-30 sont parmi les professionnels qui disent le plus fréquemment souhaiter quitter leur établissement actuel (53% ont ce souhait au total juste derrière les 30-40 ans qui sont 56% et 50% de l’ensemble des répondants en moyenne). Donc, on ne peut relier le fait d’être en CDD avec les différents indicateurs de souffrances ou inconforts au travail que nous nous étions donnés dans l’étude…

Des CDD plutôt satisfaits de leurs conditions de travail
Si l’on regarde maintenant d’autres conditions de travail on constate que, concernant les horaires de trajet, les salariés en CDD ont plus fréquemment des temps de trajet assez longs (entre 20 et 40 minutes) y compris au sein des seuls employés du public. Mais ils ne sont pas plus, voire même moins fréquemment  exposés à des changements imprévus d’horaires de travail. Et, de plus, ils trouvent plus fréquemment que les autres professionnels (29% contre 22% en moyenne) que leurs horaires de travail leur permettent de concilier leur vie professionnelle et personnelle. On peut se demander si on n’observe pas là un simple effet jeunesse : les salariés en CDD étant plus jeunes que les autres ils auraient moins de charges de familles qui les amèneraient à ressentir des difficultés de conciliation de leur vie professionnelle et familiale. Eh bien non. Même au sein des 20-30 ans, les salariés en CDD estiment plus fréquemment que les autres (39% contre 27%) que leurs horaires de travail leur permettent une bonne conciliation.
Enfin, si l’on regarde la qualité des relations d’équipe et des relations avec la direction, là aussi, les salariés en CDD ne font pas état d’une moins bonne entente et intégration entre collègues (y compris au sein des seuls 20-30 ans) ni d’une moins bonne disponibilité de la direction. Voire même, au sein des professionnels de moins de 30 ans, ceux en CDD jugent plus fréquemment la direction très disponible (36% contre 21% en moyenne).

Les pros en CDD : pas de sentiment de précarité  et plus heureux que les CDI !
Et sur la qualité vécue du travail d’accueil en direction des enfants et parents ? Les CDD n’ont-ils pas un effet ? Non, toujours pas. Si l’on regarde l’état d’esprit au travail (nous avions demandé, sans plus de précisions, aux professionnels de qualifier leur « état d’esprit » au travail entre « très positif », « plutôt positif » etc… jusque « très négatif »), les professionnels en CDD déclarent plus fréquemment être très positif. Et ce, y compris au sein des seuls 20-30 ans. On n’observe pas là un simple effet d’âge. On ne note pas non plus d’impact sur la reconnaissance dans le travail (de la part de la direction, des collègues, des enfants et des parents). Enfin, les professionnels en CDD ont, tout autant que les autres, le sentiment de faire du bon travail d’accueil avec les enfants et les parents.
Tous ces éléments nous indiquent que - à tout le moins - les professionnels de la petite enfance en CDD qui ont répondu à notre étude ne sont pas dans une situation de précarité dégradante et menaçante pour leur qualité de vie au travail et leur sentiment de réalisation au travail. Bien au contraire, on a le sentiment d’avoir à faire à des professionnels soit pris dans des périodes d’accès longues à des statuts plus stables (via la reconduction de CDD ou les contrats de la Fonction Publique généralement des CDD assez longs) qui n’endommagent pas leur sentiment d’intégration, soit dans des périodes de transition rapide et sans menaces. En tout cas, à la lumière de ces premiers éléments, on ne peut interpréter la présence de CDD dans l’accueil de la petite enfance comme étant une menace sur la qualité du travail et la qualité de vie des professionnels. On peut même, pour conclure, aller plus loin. En effet, au sein du public, ce sont les salariés en contrat de la fonction publique qui envisage le plus fréquemment de quitter (dès que possible ou éventuellement) leur établissement à hauteur de 50%, les employés en CDD ne le souhaitant qu’à hauteur de 44% et ceux en CDI à hauteur de 35%. Dans le privé ce sont près de 68% des employés en CDI qui souhaitent quitter leur établissement (là encore dès que possible ou éventuellement) ! Et au sein des employeurs associatifs environ 56% des employés en CDI ! Autrement dit, les salariés en CDD de la fonction publique ont moins l’intention de partir de leurs établissements que les salariés en CDI du privé lucratif et de l’associatif. Bien sûr, ce n’est pas un signe simple et univoque d’une plus grande intégration d’un plus grand épanouissement au travail. Néanmoins, cela nous amène à ne pas trop rapidement nous appuyer sur des indicateurs de précarité professionnelle pour en déduire une qualité d’accueil ou une qualité de vie au travail. Celles-ci varient en fonction d’indicateurs plus subtils et inattendus, nous y reviendrons.
 
Article rédigé par : Pierre Moisset
Publié le 28 octobre 2021
Mis à jour le 13 décembre 2021