Crèche réquisitionnée : une deuxième semaine centrée sur le lien

La crèche associative Saint Bernard de Lyon est une des crèches réquisitionnées pour accueillir les enfants de personnels prioritaires (notamment de soignants) depuis qu’a été annoncée la fermeture des crèches pour trois semaines, le 31 mars dernier. Lors d’un premier article publié à l’issue de la première semaine d’accueil, la psychologue de l’établissement, Sophie Ignacchiti, racontait comment l’adaptation de tous - enfants, familles, professionnelles - avait été remarquable. Dans le récit de la deuxième semaine d’accueil, elle explique son rôle de psychologue pour aider les équipes à garder le lien avec les familles absentes tout en continuant un créer un lien secure avec les nouvelles familles accueillies. Son récit.


 
Une semaine entre-deux : adaptation et réadaptation
La deuxième semaine commence. Nous retrouvons des enfants accueillis la semaine précédente. Certains d’entre eux semblent sécurisés rapidement et reprendre leurs marques, tandis que pour d’autres il est nécessaire de redéployer les étapes de la rencontre, s’apprivoiser à nouveau. Nous accueillons également de nouveaux enfants et familles. Cette semaine est comme un entre-deux, celle de la continuité et du maillage pour les enfants déjà connus et celle de la remise en scène de la semaine précédente avec la connaissance de nouvelles familles. Il faut pour chacun s’adapter ou se réadapter à l’autre. Cette adaptation, nécessaire dans le travail quotidien avec les tout-petits, est d’autant plus mise à l’épreuve dans cette situation particulière. Si les professionnelles déploient de nouvelles stratégies d’accueil, il est également difficile pour certaines de mettre en place des pratiques quotidiennes dépourvues des automatismes usuels et le rôle des personnes périphériques, psychomotricienne et psychologue est une ressource importante.  

Le rôle du psychologue : soutenir les familles, les équipes et être présent pour les enfants
Le rôle du psychologue en crèche est à l’entrecroisement des enfants, familles et équipes. Il nécessite déjà de base une analyse des besoins et un ajustement perpétuel des pratiques de terrain. Ce confinement, le besoin d’accueil d’enfants de familles prioritaires et la réquisition qui en découle ont amené un questionnement sur mon rôle de psychologue en période de crise. Comment accompagner les équipes dans la prise en charge des enfants et familles ? Comment soutenir les familles tant présentes qu’absentes ?  Ces trois semaines amènent un ajustement de ma posture et m’invitent à me décaler un peu de ma pratique « classique ». Être encore davantage ce regard soutenant, bienveillant envers les professionnels. Être une ressource physique supplémentaire, présente au sol et disponible à l’accueil le matin, notamment le premier jour de la semaine, celui du « retricotage » des liens. Offrir un espace d’accueil aux enfants, parfois même physiquement par la possibilité de se lover sur mes genoux afin d’accueillir l’enfant par la mise en mots de ce qu’il vit. Faire vivre verbalement l’histoire du vécu de ce tout-petit et de sa famille, leur parler de ce qu’il se passe, de qui est là dans la salle, expliquer. Redire les prénoms, les odeurs, les lieux. Ne pas penser l’arrivée de l’enfant comme venant de soi mais l’aider à décrypter jours après jours ses ressentis. Guider chacun dans la découverte l’autre. Pour les professionnelles : valoriser, rassurer, encourager, féliciter. Être là, présente !

Penser la continuité des liens  pour panser la relation
Les semaines de fermeture des crèches ont brutalement mis un coup d’arrêt à l’accueil régulier des enfants et des familles. Tandis que pour certains structures la fermeture administrative s’est soldé par un arrêt du lien avec les familles, d’autres structures innovent et tentent de maintenir le lien via différentes stratégies (blog, mailing, veille téléphonique, idées d’activités…). Penser la continuité des liens fait d’autant plus sens dans une crèche « associative » dans tout ce que ce mot comporte de sens, non pas organisationnel mais comme regroupement de personnes « associées » dans un projet d’accueil.

Le jardin de la crèche : un espace ouvert aux familles…
S’adapter, créer, maintenir le lien, faire des projets, avancer…Tandis que cette période de confinement ouvre un espace de répit, d’entre-deux, d’arrêt. Être réquisitionnée comme crèche accueillante modifie les schémas de pensée et pousse à la création et/ou l’adaptation des pratiques professionnelles. Un des projets de la crèche Saint Bernard pendant cette période a été d’ouvrir un espace extérieur aux familles citadines, espace sécurisé pour leur tout-petit. Un planning est fait pour organiser les présences des familles qui peuvent se retrouver à maximum trois parents afin de sécuriser sanitairement le protocole tout en permettant de se retrouver, se reconnaitre comme parents de tout- petits, échanger, discuter, rire, dire ses difficultés ou ses inquiétudes. Une professionnelle de la crèche, directrice, psychomotricienne ou psychologue est présente afin de symboliser le lien à la crèche de l’enfant et créer un espace privilégié d’échange si le parent en ressent le besoin.

Pourquoi est-ce important de garder le lien ?
Après tout nous sommes confinés et chaque citoyen pourrait penser que c’est au parent de s’adapter et d’offrir un espace à son enfant propice à son développement ; à ce parent d’être inventif et de maintenir le lien à la crèche par les mots. Mais tous les parents et enfants n’ont pas les mêmes besoins sociaux et ressources face à cette situation nouvelle. Il est intéressant de percevoir ce confinement comme une parenthèse dans l’accueil classique des tout-petits en collectivité afin de l’intégrer aux réflexions sur la notion d’accueil. Penser la continuité revient à penser déjà le défi qui s’annonce, celui du retour « à la normal » comme si cette période n’avait aucun impact sur l’accueil des tout-petits en collectivité. Comment accueillir après une période de rupture de trois semaines ? Comment recréer ou retisser le lien plus ou moins distendu en fonction des familles et enfants ? Comment se reconnaitre et s’apprivoiser à nouveau après l’absence ?  
Comment les professionnelles vont vivre ce retour, dire au revoir aux enfants accueillis pendant ces trois semaines pour petit à petit rendre l’espace de la crèche, et s’adapter une nouvelle fois dans le tourbillon de la reprise, prévue lundi 26 avril 2021.


 
Article rédigé par : Sophie Ignacchiti
Publié le 18 avril 2021
Mis à jour le 17 août 2021