Valérie Roy, EJE : « Je n’exerce pas cette profession pour faire souffrir les enfants des autres »

Valérie Roy, éducatrice de jeune enfant, est responsable d’une halte-garderie semi plein air à Paris. Fin septembre, elle apprend que le port du masque serait dorénavant obligatoire pour les professionnels de crèche. Une annonce qui la plonge dans l’appréhension. Quel impact sur les enfants ? Comment vont-ils se comporter face à des adultes masqués ? Son témoignage.
Directrice de structure petite enfance en établissement semi plein air, doctorante en Sciences de l’Education à l’Université, je viens de recevoir les toutes dernières recommandations concernant la situation épidémiologique actuelle, le 22 septembre 2020. Le couperet tombe. Le port du masque est de nouveau obligatoire en EAJE. Mon inquiétude monte et je me demande bien comment les jeunes enfants vont réagir ? 

Santé, sécurité, bien-être des enfants : le juste équilibre à trouver
Comment trouver des solutions pour le bien-être des enfants ? Je n’exerce pas cette profession pour faire souffrir les enfants des autres ! Je ne suis pas payée pour m’en prendre aux enfants des autres ! C’est contraire à mes valeurs morales, éducatives et professionnelles. Le code de la santé publique spécifie :

«  Article R2324-17 : Les établissements et les services d'accueil non permanent d'enfants veillent à la santé, à la sécurité, au bien-être et au développement des enfants qui leur sont confiés. Dans le respect de l'autorité parentale, ils contribuent à leur éducation. Ils concourent à l'intégration des enfants présentant un handicap ou atteints d'une maladie chronique qu'ils accueillent. Ils apportent leur aide aux parents pour favoriser la conciliation de leur vie professionnelle et de leur vie familiale. » *

Je me sens totalement tiraillée entre des recommandations ministérielles et cet article de loi régissant mon travail.  Nous sommes en pleine période de familiarisation et des enfants expriment leur détresse en quittant leur mère. Que faire quand l’enfant se roule par terre devant la porte, se débat, pleure, réclame sa mère et me regarde les yeux remplit de larmes avec mon masque ? Dois-je exercer ma profession en terrorisant l’enfant, en le plongeant dans un désarroi plus important ? 

La dérogation au port du masque autorisée dans certaines conditions
Non, en regardant de plus près le protocole sanitaire ministériel du 22 septembre, je tombe sur des nuances, par exemple, le retrait du masque si l’enfant est stressé ou angoissé page 6 : « Une dérogation au port du masque systématique peut cependant être proposée lors de contacts avec des enfants stressés et angoissés par le port de masque par les adultes ou présentant des troubles du comportement, des difficultés relationnelles ou un handicap ».

Et page 5, il est précisé : « Le décret n°2020860 du 10 juillet 2020 est modifié en cohérence avec ces recommandations. » 
Donc les nouvelles mesures sont des recommandations émanant du Ministère non des obligations. Il est intéressant de noter que l’on peut adapter les situations, réfléchir en équipe pédagogique pour le bien des tous petits. Il ne s’agit pas d’appliquer une mesure sans réfléchir à l’accueil qualitatif du jeune enfant. 

Adapter les mesures du protocole sanitaire ministériel
En période de familiarisation, les jeunes enfants s’angoissent et ont besoin de réconfort pour s’adapter à la vie en collectivité. Arriver dans un nouveau mode de garde n’est pas chose facile pour le tout-petit ; il doit trouver sa place. Comment aider cet enfant qui va pleurer parfois presque toute la matinée sur ses premiers jours de présence ? Tout devient plus complexe si un jeune bébé à peine arrivé, ne peut plus communiquer normalement avec une référente masquée en crèche ?  

Il me semble important d’adapter les mesures du protocole aux structures et de ne pas adopter une attitude trop dure envers des jeunes enfants en plein développement par peur. Soyons sérieuses et vigilantes tout en adoptant une attitude bienveillante envers le jeune enfant. 

De plus, certains enfants commencent à réagir au port du masque. Une petite fille de 22 mois (entrée en halte-garderie le 2 septembre 2020), arrive vers une professionnelle et lui arrache le masque en la griffant fin septembre 2020. Une autre regarde de façon anxieuse une professionnelle et insiste au niveau du regard, cherche quelque chose au niveau du visage. Elle semble ne pas comprendre pourquoi le masque cache une partie de son visage. Comment ne pas réfléchir à ce type de situation ? Devons-nous sidérer les jeunes enfants ?

Ne soyons donc pas trop dures envers ces tous petits et protégeons les professionnelles fragiles en leur proposant des masques chirurgicaux (ou plus adaptés comme les FFP2) durant l’exercice de leur profession. 

De plus, la pédopsychiatre Nadia Bruschweiler-Stern directrice du Centre Brazelton, spécialisé sur les nouveau-nés, à Genève, ayant “beaucoup écrit sur les interactions précoces avec les tout-petits” précise que le port du masque perturberait “l’apprentissage du langage, la capacité sociale, l’empathie, la lecture des intentions de l’autre et la régulation des émotions”. « Oui, rien que ça ».² 

Comment en tant que professionnelle de la petite enfance, en tant que responsable de structure petite enfance ne pas être sensible à ce message ? 

Profiter au maximum des espaces extérieurs
Une autre solution s’offre à moi, accompagner les jeunes enfants dans mon espace extérieur, permettre aux professionnelles sous le soleil, une vraie bouffée d’air tout en douceur en présence des jeunes enfants. Pour améliorer la situation actuelle, profitons de nos espaces extérieurs au maximum pour diminuer le risque de transmission entre professionnelles. 

En 1927, Alice Jouenne, institutrice et directrice proposait l’accueil en plein air des enfants dans son école rue Boissière à Paris pour la prévention face à l’épidémie de la tuberculose qui est une maladie pulmonaire. L’école de Plein air d’Alice Jouenne, fut créée par Frédéric Bunet, « Conseiller municipal du quartier des Epinettes à Paris »³. Cette école eu un franc succès durant l’entre-deux guerres. Ne sommes-nous pas de nouveau plongés dans un contexte similaire au niveau santé ? Il me semble que l’espace extérieur présente des vertus pour accompagner les jeunes enfants durant cette crise épidémiologique. 

Je finirai sur ces mots :  Ne pourrions-nous pas toutefois permettre aux gestionnaires d’EAJE de bénéficier d’une certaine souplesse concernant le port du masque afin de réfléchir aux situations en concertation avec les professionnelles de terrain ? 

*Légifrance, p1.
² La tribune de Genève, publication du 18/09/2020
³Jouenne A. (1934), En plein air à Paris, in L’hygiène par l’exemple, revue de sept à oct, p 213
Article rédigé par : Valérie Roy
Publié le 19 octobre 2020
Mis à jour le 19 octobre 2020