Les risques professionnels et les outils pour les maîtriser

Dans l’exercice quotidien de leurs métiers, les professionnels de la petite enfance sont exposés à de nombreux risques pas toujours suffisamment reconnus, source d’accidents, de souffrances ou de maladies professionnelles. C’est pourtant une réalité qui impacte directement la santé, le recrutement des équipes et la qualité de l’accueil dans les EAJE. Nous avons  identifié les principaux outils à mettre en œuvre, en amont, pour les préserver. 
Des risques parfois difficiles à identifier
Il y a ces petits gestes du quotidien que l’on fait sans réfléchir, souvent dans l’urgence d’une situation. Porter un enfant dans ses bras, peiner à le déposer dans son lit trop haut, être souvent courbé, ou bien assis à même le sol et puis la chute, en trébuchant sur un jouet qui n’a pas été rangé… Il y aussi la fatigue d’avoir passé la journée dans le bruit et les cris d’une crèche trop sonore, une situation compliquée à gérer avec une famille en difficulté, et l’absence d’une collègue qu’il a fallu compenser. Par nature, les métiers de la petite enfance sont physiques, fatigants, exigent une totale disponibilité et imposent une charge mentale dont les professionnels ne sont pas toujours conscients lorsqu’ils s’y engagent. « L’employeur aura beau faire le nécessaire pour investir dans du matériel ergonomique et veiller aux bonnes conditions de travail des équipes, on ne peut nier que ce sont des métiers fatigants, dont la pénibilité n’est pas suffisamment reconnue, explique Véronique Escames, auxiliaire de puériculture (SNPPE). C’est une réalité à admettre, tout en restant conscient qu’il existe des solutions, en matière de prévention pour maitriser les risques et limiter l’usure professionnelle. Il en va de la responsabilité de l’employeur, du dirigeant, des ressources humaines de mettre en place une  véritable dynamique de prévention des risques pour les appliquer, et ainsi limiter les accidents et maladies. Mais pour certains cela semble loin d’être une priorité ! Le travail de sensibilisation devrait commencer là, auprès des dirigeants, mais « on a  aussi une part de responsabilité, note Véronique Escames. Quand les mauvaises habitudes sont prises, il est difficile de s’en défaire ! » Elsa Hervy, de la Fédération Française des Entreprises de Crèches, remarque cependant que « la frontière est parfois floue entre ce qui dépend de la prévention des risques professionnels et ce qui relève de la recommandation ergothérapeutique en vue du bien-être au travail ». Il faut dire que les professionnels de la petit enfance eux-mêmes, peuvent méconnaitre, sous-estimer, parfois nier l’existence d’une forme de pénibilité. « C’est une manière de se protéger, de continuer à faire le travail, explique Magali Manzano, psychologue du travail et formatrice. Pour certains, dès lors qu’on fait le lien entre le niveau de bruit, la potentialité de perdre de l’audition et les cris des enfants, il devient difficile de continuer à faire son travail. On appelle ça les stratégies défensives ». Et quand les principaux intéressés sont dans le déni, il est difficile d’avancer vers une politique de prévention et de reconnaissance des risques professionnels, si les employeurs ne prennent pas les problèmes à bras le corps en étant tout particulièrement attentifs à leurs équipes. 

Accidents du travail et maladies professionnelles : en nette augmentation  
Chaque jour, les professionnels de la petite enfance sont exposés à une multitude de risques, dans le simple exercice de leur activité : prendre soin des enfants qui leur sont confiés. Il y a des risques d’atteinte à la santé physique, avec les chutes, les troubles musculo-squelettiques (TMS), les lombalgies engendrée par de mauvaises postures, les contraintes d’effort et de répétitivité, amplifiées par un environnement de travail pas toujours adapté (bruit, chaleur, espace insuffisant, conception des locaux), sans oublier le risque infectieux. Mais également des risques psychosociaux, liés à l’organisation du travail (horaires fractionnés, effectifs insuffisants, répartition des tâches, stress, épuisement, burn-out), à la qualité des relations (dans l’équipe, avec la hiérarchie, les parents, les enfants), et aux contacts avec le public (tensions avec les parents, agressions). Tous ces facteurs sont générateurs d’accidents, de maladies professionnelles ou bien de souffrances plus insidieuses pas toujours prises au sérieux. Pourtant les statistiques alarmantes dénoncent une réalité criante : dans l’accueil de jeunes enfants, les accidents du travail et maladies professionnelles sont en hausse constante depuis plus de cinq ans. De 2018 à 2019, les accidents du travail ont augmenté d’1,8% soit 2611 accidents et près de 200 000 journées de travail perdues. Dans 50% des cas, une manutention manuelle est à l’origine de l’accident, puis une chute dans 41% des cas. Sur la même période, les maladies professionnelles ont augmenté de 12,1%, soit 111 cas et 28407 journées perdues, dont 93% pour des affections péri-articulaires (Sinistralité 2019, Assurance Maladie - Risques Professionnels). Il apparaît donc essentiel d’agir en matière de prévention pour améliorer les conditions de travail et maitriser les risques professionnels qui entachent la qualité de l’accueil et le bien-être des professionnels de la petite enfance. 

Un impact fort sur la qualité de l’accueil et le recrutement 
Un EAJE est un écosystème fragile et la qualité de vie au travail, le bien-être des équipes, la maitrise des risques professionnels ont un impact important sur les pratiques. Lorsque l’équipe ne va pas bien, difficile de garantir un accueil de qualité ! Trop souvent, la prise en charge des risques professionnels intervient trop tard, avec pour seule réponse aux difficultés, la médecine du travail qui va traiter les conséquences de mauvaises pratiques qu’il aurait fallu accompagner en amont, des accidents, des maladies professionnelles, l’absentéisme, l’inaptitude. « Dans la fonction publique territoriale, témoigne Véronique Escames, la réponse des  employeurs, c ‘est souvent la médecine du travail qui impose des restrictions qui pénalisent les équipes.  Par exemple,  l’année dernière je n’avais plus le droit de porter plus de 5kg. Mais lorsqu’on manque de personnel, on laisse les restrictions de côté car c’est un surcharge de travail supplémentaire qui retombe sur nos collègues et déséquilibre l’organisation des sections. » Quand ils surviennent, les accidents, les maladies professionnelles pèsent sur le fonctionnement de l’EAJE, l’organisation du travail et entrainent des coûts : l’indemnisation des jours d’arrêt de travail, l’absentéisme, la désorganisation, le temps de traitement administratif du sinistre, et dans le meilleur des cas le recrutement et la formation du remplaçant. Ils viennent accroitre la pénurie de professionnels, significative de la crise du recrutement que rencontrent les métiers de la petite enfance. 

La meilleure prévention : la conception de lieux pensés pour les enfants et pour les pros
A l’écoute des professionnels de la petite enfance, un constat revient souvent : les crèches sont trop souvent conçues ou agencées dans une vision centrée sur l’enfant, pensées par des architectes trop éloignés des réalités des métiers de la petite enfance. « On peut avoir des locaux magnifiques et neufs mais peu fonctionnels, et pas du tout pensés du pour l’activité des professionnels », déplore Magali Manzano. Pour la psychologue, c’est le problème de base, à l’origine de la plupart des maux et des risques encourus par les équipes au quotidien. Une crèche trop sonore, une mauvaise distribution des espaces… « Il est essentiel de faire appel à des spécialistes pour éviter certaines erreurs qui impacteront fortement notre activité au quotidien », alerte Véronique Escames. S’il existe de nombreux architectes spécialistes des espaces de la petite enfance, l’idéal serait tout simplement d’intégrer les équipes au projet de conception ou de rénovation de la structure pour anticiper les risques et d’investir dans un mobilier ergonomique adapté aux besoins des équipes, trop souvent réduites à utiliser un mobiliser à taille enfant. Un projet de réaménagement, de déménagement ou de reconstruction d’une structure sont autant d’opportunités d’amélioration de conditions de travail des équipes, à condition de réfléchir la conception comme telle, en prenant en compte les conditions de travail des différents métiers de la petite enfance.

Le DUERP, un levier peu utilisé, pourtant obligatoire 
Depuis 2001, selon le code du travail (Article L4121-1), toute entreprise a l’obligation légale de concevoir un Document Unique d’Evaluation des Risques Professionnels (DUERP) qui répertorie et analyse les risques et dangers inhérents à la structure. (voir article les pros)  Pour Magali Manzano, « ce document administratif permet de mettre en évidence les facteurs de risques présents dans les situations de travail et la manière dont on peut les éliminer ou les maitriser, pour qu’ils soient moins nocifs. Bien qu’obligatoire, c’est un prétexte à une réflexion commune de l’équipe pour construire des solutions sur la base d’une analyse issue du travail réel », souligne-t-elle. Dans les faits, rares sont les entreprises qui se plient à cette obligation. En 2016, la DARES indiquait que seules 45 % des entreprises françaises ou 38 % des entreprises de moins de 10 salariés disposaient d’un DUERP. Mal informées ou peu concernées, 85 % des entreprises qui disposent d’un DUERP ne sauraient même pas à quoi il sert ! (Etude FAP) Dans le secteur de la petite enfance, les crèches ne semblent pas plus mobilisées sur la question. Selon une étude menée sur 55 crèches de l’Hérault, 77% n’avaient pas mis en place le DUERP, « faute d’information sur cette obligation réglementaire, de sensibilisation sur l’opportunité que peut apporter ce type de démarche et de temps pour réfléchir collectivement à ces questions » reconnaissent avec honnêteté le Collectif 34, le conseil général de l’Hérault et l’ARACT, dans un guide édité pour prendre le problème à bras le corps.  Dans ces manquements, Magali Manzano voit un déficit de formation sur la manière de s’y prendre. « Le DUERP est apparenté à une démarche administrative. De plus c’est un document qui va être à disposition de l’Inspection du travail, de la Carsat et des parties prenantes qui ont un mandat sur le volet du contrôle. Il apparaît donc comme rédhibitoire et rébarbatif. Il y a en premier lieu ce stéréotype à déconstruire pour voir dans le DUERP un véritable levier permettant d’accompagner une démarche de prévention.»  Cette formalité, aussi rébarbative soit-elle, peut donc devenir le point de départ d’une prise de conscience des risques professionnels dans une démarche collective pour mettre en place une politique de prévention ajustée, si tant est qu’elle soit  accompagnée par les bonnes personnes. « Attention, alerte Magali Manzano, ce n’est pas le job d’un expert-comptable de faire un DUERP. Déléguer l’achat d’un DUERP tout fait en ligne, ce n’est pas non plus la philosophie de l’action. L’enjeu n’a pas été compris, ça n’a aucun intérêt, si ce n’est d’être en règle avec la loi. Ce n’est pas être une entreprise responsable.» Pour rappel, le code du travail prévoit une amende de 1 500 euros en cas d’incapacité à présenter le DUERP, et jusqu’à 3 000 euros en cas de récidive.

L’analyse des risques dans les pratiques professionnelles, un travail d’équipe
La prévention des risques professionnels dans les EAJE, c’est donc l’affaire de tous. Et en premier lieu, celle du dirigeant qui a la responsabilité de la sécurité, de la bonne santé physique et mentale de ses employés, et doit donner l’impulsion, motiver les équipes pour s’investir dans cette démarche. Les représentants du personnel ont également le devoir d’exiger en interne que la structure aille vers des pratiques plus responsables. Pour Elsa Hervy, le DUERP a le mérite d’inciter les équipes à s’interroger sur la présence de risques dans ses pratiques professionnelles, en posant elles-mêmes un diagnostic par des temps d’échange et de discussion. Une démarche essentielle d’analyse des pratiques, qui sera prochainement rendue obligatoire par NORMA : « dans le décret du 30 août, il est mentionné qu’à partir du 1er septembre 2022,  chaque professionnel de crèche doit bénéficier d’au moins 6 heures annuelles d’analyse des pratiques (2h par quadrimestre). La liste des qualifications permettant de réaliser l’analyse des pratiques sera prise par arrêté (qui sera prochainement publié) ». Le psychologue de crèche, dans son rôle de soutien aux équipes, peut donner l’impulsion de cette réflexion, de manière très pédagogique. Mais « l’analyse des risques liés aux pratiques professionnelles va aider à prévenir les accidents mais ce n’est qu’une infime partie de l’analyse des pratiques, souligne Elsa Hervy. Ce n’est donc pas la même manière d’appréhender les choses. Ce ne sont donc pas les mêmes personnes qui le font. La prévention des risques incombe normalement aux Ressources Humaines pour les plus grosses structures, au directeur pour les plus petites. » 

De nouveaux outils digitaux pour faciliter les démarches  
Pour sensibiliser et accompagner les EAJE dans l’évaluation des risques liés à leurs pratiques professionnelles en vue de l’élaboration du DUERP, la CARSAT et l’INRS ont élaboré un nouvel outil digital, conçu grâce à l’investissement du SNPPE et de la FFEC. « Nous étions souvent unanimes pour remonter les difficultés rencontrées, il n’ a pas eu de débat entre employeur et salarié, il y avait une posture commune de professionnels de la petite enfance qui expliquent à l’administration en quoi les recommandations étaient , ou pas, pertinentes » se félicite Elsa Hervy. Anonyme et gratuit, pratique et ergonomique, cet outil en ligne accompagne les structures pour réaliser leur évaluation des risques et éditer un plan d'action, construit à partir de leurs réponses à un questionnaire relatif au cadre de travail. Pour chaque risque identifié, une liste de mesures de prévention est proposée. Il est également possible d'ajouter des risques ou des mesures en fonction de la situation de chaque entreprise, de personnaliser le document pour sa structure. Il est disponible sur le site de l’INRS. Les structures de moins de 50 salariés ont également accès à l'outil Faire le point RPS , mis à disposition du secteur sanitaire et social sur le site de l’INRS. Un outil plus spécifique qui permet d'identifier les facteurs de risques psychosociaux dans sa structure, afin de les intégrer au DUERP. Il fournit également des indications pour faciliter l'élaboration d'un plan d'action de prévention. 

Des aides financières pour soutenir les projets de prévention 
Pour accompagner les projets destinés à améliorer les conditions de santé et de sécurité dans les structures d’accueil de la petite enfance, afin de prévenir les risques (de chute, de TMS, les risques psychosociaux..), l'Assurance-Maladie - Risques professionnels et ses caisses régionales (Carsat, Cramif ou CGSS) proposent des subventions aux petites entreprises (moins de 50 salariés) et des contrats de prévention pour les moins de 200 salariés. TMS Pros Diagnostic et TMS Pros Action ciblent plus particulièrement les troubles musculosquelettiques (TMS), à travers le financement de matériel, ou de prestations d’accompagnement à la mise en place d’un plan de prévention ou de formation ; Propreté +  soutient l’achat d’équipements adaptés pour limiter les répercussions des manutentions manuelles, des gestes répétitifs, des postures contraignantes, l’exposition aux produits chimiques ou pour prévenir les chutes. Plus d'informations sur l'ensemble des aides financieres de l'ASsurance maladie - Risques professionnels sur son site internet. 
Article rédigé par : Laurence Yème
Publié le 06 décembre 2021
Mis à jour le 21 avril 2022