Quelle attitude adopter quand les parents d’un enfant accueilli se séparent ?

Les établissements d’accueil du jeune enfant (EAJE) vivent au rythme des joies et des drames des familles. Aujourd’hui, les couples se séparent dès les trois premières années de vie de leur enfant et les EAJE sont confrontés à ces ruptures. Cela engendre de nouvelles questions. Les équipes sont souvent démunies. Les professionnels seront les garants du respect des lois dans l’intérêt du jeune enfant pour l'aider à continuer son développement mais devront aussi soutenir la famille. Et leurs valeurs personnelles ne doivent pas interagir dans leur travail. Cela peut être difficile. Frédéric Groux, ancien Eje, psychologue en crèche propose les démarches et attitudes les plus appropriées pour faire face à la situation. Et soulager la souffrance des parents, des jeunes enfants et des professionnels. Avec cette idée que le rôle de tous les membres de l’équipe est important et doit être bien défini pour éviter d'engendrer une confusion pour la famille.

Un trop-plein d’émotions à l’annonce de la séparation
Le plus souvent, c'est lors d'un temps de transmission qu'un accueillant recevra cette lourde confession de la rupture du couple. Dans la majorité des cas, l'annonce est faite par la maman. A l'heure actuelle, les mamans sont encore plus présentes dans les crèches. De même, plus l'enfant est jeune lors de la séparation, plus il y a de chance que la maman soit celle qui le garde le temps de clarifier la période de transition suivant la séparation.
A l'accueil, la mère s’effondrera en larmes en évoquant la rupture. Le débordement d'émotions se passera dans l'unité de vie et parmi les enfants. L'acte n'est pas anodin. Les parents ont expérimenté la première séparation avec leur enfant avec cette équipe. Elle a été soutenante lors des moments de souffrance en lien avec l'adaptation. Les EAJE sont souvent un lieu où l’on peut exprimer les émotions : peur, angoisse et tristesse. De plus, les professionnels sont amalgamés avec des membres de la famille (tata, grand-mère symbolique). Les rencontres quotidiennes créent un attachement ou lien affectif entre les familles et les membres des multi-accueils.

De l’écoute sans jugements ni psychothérapie sauvage !
Le débordement d'émotions (tristesse, colère) des parents met parfois en difficulté les professionnels. Ils s'interrogent sur la bonne attitude à avoir pour les aider. Tant il est vrai que les accueillants sont formés, selon eux, à contenir les émotions des bébés, ils se sentent démunis face à celles des parents. La transposition de la pratique de verbalisation ou de la contenance des émotions chez le bébé ne leur paraît pas évidente avec les adultes. Or, lors d’une situation de séparation, le parent cherche juste à informer de la rupture. Cette évocation suscitera une émotion et elle est normale. Le principe de la relation d'aide est d'écouter : sans jugement, sans moraliser et sans rassurer. Le parent ne cherche pas à faire une « psychothérapie » mais il exprime un fait.

Dans cette situation, l'écoute est la plus efficace des aides. Il n'y a pas de bonnes phrases à dire. Quand les larmes s'écouleront, vous proposerez un endroit pour s'asseoir ou plus isoler. Vous demanderez si le parent souhaite être avec son enfant ou pas. Vous expliquerez sans interpréter ce que vous voyez à son fils ou sa fille. Ce que tous les professionnels savent faire entre deux enfants : mettre en mots ce que ressent l'autre. Il suffit d'une boite de mouchoirs pour s'autoriser à se laisser aller. On oublie à tort que les adultes sont juste des enfants qui ont grandi. Les pleurs peuvent déclencher des mécanismes irrationnels, comme une fuite pour ne pas faire voir les larmes. En effet, le parent partira en oubliant de dire au revoir. Pourquoi un parent fuirait parce qu'il pleure ?

Les larmes et les pleurs sont parfois jugés comme un signe de fragilité ou d'immaturité. Selon l'éducation que l'on a reçue, nous pouvons exprimer ou non notre tristesse en public. Vous décrirez ce que l'enfant a vu et mettrez des mots sur les émotions qu'il a aperçues. Il n'est pas nécessaire d'interpréter ou d'imaginer les raisons. Il est important de ne pas interpréter car le plus souvent nous n'avons pas tous les paramètres du vécu de la famille. Nous pourrions alors, sans le vouloir, dire des éléments que les parents ne souhaitent pas encore aborder. Ces décisions leurs appartiennent et il faut le respecter.

Des questions concrètes d’organisation liées à la séparation

Vous pouvez proposer, selon votre capacité, d'en discuter avec le parent ou lui signaler qu’il peut rencontrer le psychologue ou le responsable de l’EAJE s’ils sont présents. Lors d'une séparation, les parents sont envahis par des questions sur l'organisation, les démarches à faire et les répercussions sur l'enfant évidement. C'est une période où les pensées et les émotions se bousculent. Paradoxalement, c'est un temps où les décisions sont prises dans la précipitation pour abréger la souffrance ou la cohabitation. Les parents sont dans leurs préoccupations et ils sont parfois déboussolés. Pourtant, ils devront organiser l'avenir du couple parental. La séparation ne concerne que le domaine de la vie affective et non leur rôle de parent.

Vous expliquerez sur ce temps ou plus tard comment l'accompagnement se déroulera dans le lieu. En ce sens, vous répondrez à certaines questions que les parents se poseront sur le fonctionnement dans cette situation. Vous enlèverez alors certaines craintes. Les EAJE peuvent proposer des aides simples dans un second temps ou à la demande des parents. Le psychologue du lieu est une évidence. De plus, vous pouvez conseiller selon les difficultés de voir un assistant social pour les démarches de logement ou des aides financières. Les assistants sociaux de secteur seront une aide précieuse dans cette situation. Les ruptures ne sont pas seulement affectives, c'est aussi un dédale administratif épuisant dans une période douloureuse.

Une nécessaire neutralité dans le conflit parental

Quand un couple se brise, les émotions se succéderont : tristesse, colère, culpabilité. Ces sentiments bousculeront les comportements et engendreront des attitudes déroutantes : revanche, suspicion, vengeance, etc. Dans les EAJE, un parent se victimisera ou déversera sa rancune devant les accueillants. Il est important de garder la même attitude envers les deux parents quel que soient les récits. Le conflit ne doit pas se rejouer au sein de l'EAJE. La mission première des établissements de la petite enfance est d’accueillir la famille, c'est-à-dire le couple parental et son bébé. La rupture entre le père et la mère, selon les textes de loi, n'entame pas leur rôle respectif devant l'enfant.
C'est seulement, et seulement si une décision de justice a été prise, que vous orienterez votre pratique sur un seul parent. Jusqu’à la décision d'un Juge des Affaires Familiales (JAF), les deux parents ont l'autorité parentale conjointe donc les mêmes droits et devoirs envers leur enfant. Les professionnels sont tenus à respecter cette loi en travaillant avec la famille entière.

Cette situation peut sembler difficile lorsqu'il y a des récits de violence physique ou psychologique. Malheureusement, les équipes ne peuvent pas être « juge et parti » dans les conflits entre les parents. Les institutions de l'enfance sont censées ne prendre aucun parti. Il est important de recevoir tous les protagonistes jusqu'à la décision de justice. Si un des deux parents se présente moins souvent, il est possible de proposer de communiquer par mail ou téléphone pour lui éviter de couper le lien avec la vie quotidienne de son bambin. Les professionnels sont un trait d‘union entre la mère et le père au sein du lieu.

Un soutien à la parentalité envers les deux parents

L'établissement n'a pas pour but de médiatiser le conflit mais de travailler de façon égale entre les deux et de ne pas mettre un parent à l'écart. Une des missions des lieux de la petite enfance est le soutien à la parentalité. Or, dans ces périodes troubles, les idées sont confuses et peuvent entraver la construction de la parentalité. Le doute et la culpabilité s'introduisent dans les gestes d'éducation et peuvent engendrer des problèmes de comportements chez le jeune enfant. Le doute crée la peur de faire une erreur et une éducation laxiste peut survenir. La culpabilité enlèverait la capacité à mettre des limites de peur de perdre l'amour de son enfant.

De ce fait, il est important que les deux parents gardent une continuité de soin pendant cette période de bouleversement. Cela peut se faire par des informations, par mail, sur le développement ou les nouvelles acquisitions. Lors de séparation, les communications sont souvent difficiles entre le père et la mère. Il est à noter qu'il faut éviter de demander à un des deux parents de transmettre des informations - réunion de parents, fêtes, rendez-vous - à l'autre. Cette place de détenteur d’informations dans les conflits donne trop de pouvoir et il peut y avoir alors une rétention pour pénaliser l'autre parent.

Quand l’enfant devient un enjeu
Dans les cas de séparation très difficile où l'enfant devient un enjeu pour la garde, il peut y avoir des complications qui se produisent au sein de la section. Au début de la rupture, il y a un flou juridique car les deux parents gardent leur droit de venir chercher leur enfant. Les équipes ne peuvent pas empêcher cela. En revanche, il n'est pas interdit de préparer cette situation en instaurant dans le cas de séparation très difficile un protocole interne. Dans cette situation, on ne prend pas parti pour un parent, mais on veillera à l’intérêt de l'enfant selon les textes de la protection de l'enfance. L'absence d'un parent pendant plusieurs semaines ou mois doit être prise en compte avant de confier l'enfant. Si quelqu'un vient chercher l'enfant sans que l’équipe ait eu connaissance à la transmission du matin, vous ne devez pas confier l'enfant sans prévenir l'autre parent.

Tout en restant bienveillant, vous informerez la personne que vous devez prévenir le parent qui l'a accompagné. Dans le but de gagner du temps dans ces situations, il est important d'avoir le numéro dans la section, voire à porter de main. Il est important de limiter l'attente car il est déclencheur de colère. Le responsable de la structure accompagnera l'équipe ou proposera un temps de rencontre dans son bureau hors de la section. Il est même conseillé d'évoquer ce genre de situation avec le parent en demandant les démarches qu'on peut exécuter, surtout si la personne travaille loin : téléphoner à la grand-mère, tante, etc. Ce n'est pas un lieu de tension. Il faut toujours envisager ce problème lors d'une séparation. Les équipes sont censées savoir répondre et désamorcer la tension en gagnant du temps, en ayant le numéro de téléphone près de soi, en organisant le lien avec la direction car tout cela peut se passer dans la section.

Une aide psychologique pour les parents

La place du psychologue peut avoir un ou plusieurs intérêts dans les séparations : accompagner les parents, l'enfant et les équipes. Si les parents sont en demande, il pourra les recevoir mais la notion d'une demande de la part du parent est importante. Ce n'est pas une convocation ou une obligation qu'ils doivent recevoir. Dans les ruptures, les familles et les amis sont souvent présents et cela peut suffire. Les rencontres quotidiennes vous permettront de savoir si les parents ont un soutien ou pas.
Les séparations sont parfois le cheminement d'un long parcours fait dans le silence. Le travail du deuil du couple est déjà entamé depuis plusieurs mois. Vous serez vigilant aux changements de comportements : perte de patience, perte de poids ou prise de poids, tristesse sur une longue période, négligence de l'apparence ou évocations récurrentes de fatigue. A partir de ces signes, vous pourrez proposer l'aide du psychologue ou pour qu’il évalue la souffrance et orienter chez un psychiatre est nécessaire.

Le psychologue est présent en tant que soutien psychologique pour les deux parents mais il ne pourra pas assurer une thérapie au sein de l'institution. Le psychologue accompagnera sur la guidance parentale et comment aider à faire des choix dans leur rôle de parent. Il pourra aider à médiatiser la séparation, c'est-à-dire mettre en mots ce qui se déroule mais ce ne sera pas le lieu de gestion des conflits ou de problèmes matériels du couple.
Le psychologue évaluera ou proposera une orientation sur un centre spécialisé de « médiation » ou de « thérapie familiale ». La médiation permet avec l'aide d'un tiers de trouver des solutions aux complications de la vie quotidienne, concernant les enfants et sur les plans financiers ou matériels. La médiation aidera à trouver des compromis entre eux. La thérapie familiale est un lieu de soin, faite par des psychologues ou des psychiatres, dans le but de résoudre des conflits inconscients qui intoxiquent la vie de couple et leur rôle de parent. La séparation n'empêche pas cette démarche. Elle n'est pas dans l'intention d'éviter la rupture mais de garder le lien pour l'éducation des enfants.

Le psychologue, une aide pour parler de la séparation à l’enfant
Le psychologue sera un accompagnant précieux pour aider les parents à trouver les mots pour expliquer la situation à l'enfant. Il pourra également conseiller sur des principes de cohérence éducative entre les parents pour éviter de chambouler tous les rituels de l'enfant, par exemple.
On prêtera des livres pour enfants sur le sujet car les parents ont rarement les mots pour expliquer. La souffrance de la séparation entrave parfois la capacité de se mettre à la place du bébé. La littérature enfantine permet d'avoir une vision décentrée de celle d'un adulte. Ces livres ne sont pas à laisser en section où à lire à tous les enfants mais à garder dans un endroit accessible. Les parents auront la possibilité de les emprunter pour les lire d'abord seuls, puis avec leur enfant si cela leur convient.

Il arrive parfois que les parents demandent de l'aide au psychologue pour annoncer la rupture à l'enfant. Il aura le rôle d'accompagnateur dans cette annonce. Il ne dira pas à la place des parents mais il pourra reformuler pour rendre plus compréhensible les phrases pour le bébé. La douleur fait perdre les mots des parents.
Il mettra en mots que son papa et sa maman resteront les mêmes pour lui. Ses parents réfléchiront sur comment continuer à prendre soin de lui-même en vivant dans des maisons différentes.
Le psychologue évoquera que la crèche restera son lieu à lui où il retrouvera ses référentes et ses camarades. Dans cette période de bouleversement, il est important de signifier à l'enfant la stabilité de son lieu d'accueil. C'est une des raisons pour laquelle les EAJE restent en dehors des conflits des familles. C'est un lieu pour retrouver une certaine stabilité pour le jeune enfant et continuer à se développer à son rythme.

L’accompagnement psy dans la section

Le psychologue et les membres de la section de l'enfant seront vigilants. En particulier, il faudra éviter les discussions autour de sa famille en dehors des temps de réunion. Les interprétations n'ont pas lieu d'être au sein de la section et surtout en présence de l'enfant : « le pauvre petit », « c'est triste pour lui », « on ne fait pas des enfants pour se séparer après... ». Il est à noter que tous les comportements de l'accueilli ne doivent pas être mis en lien avec la séparation. Toute l'équipe observera les comportements afin de déceler un possible mal-être ou un signe de souffrance. Cela peut être aidant mais cela ne doit pas devenir pesant pour l'enfant.

Selon l'âge, lors des réunions, vous ferez le point sur l'alimentation, le sommeil et sa capacité de jouer. Vous regarderez sur le plan affectif et émotionnel s'il y a des changements. Par exemple, vers les 15 mois, la phase de développement pourra coïncider avec la séparation et le psychologue démêlera ce qui appartient à la situation de famille et au développement. Lors des réunions, vous évaluerez avec le psychologue si l'enfant doit avoir une prise en charge en Centre Médico-Psychologique (CMP) ou être orienté dans une Prévention Maternelle Infantile (PMI). Les parents étant fragiles sur cette période, seul le psychologue ou le pédiatre devraient expliquer les signes de l'enfant aux parents et préconiser l'orientation. C'est un acte délicat qui doit être dénué de jugement ou de reproche. Il est important de ne pas culpabiliser les parents.

Pour prévenir les signes de mal-être chez le jeune enfant, le personnel mettra en place pour la section des aides à la verbalisation avec des chansons, des livres. Ils seront à destination de tous les enfants pour ne pas le stigmatiser. Pour les plus grands, il est important d'avoir des jeux de symbolisation (poupées, personnages, dinettes), pour rejouer les scènes de la vie quotidienne. Les activités de motricité globale où le corps évacuera les tensions en jetant ou sautant. Cela permet de diminuer les signes d'agressivité et de colère le temps de pouvoir les mettre en mots.

Article rédigé par : Frédéric Groux
Publié le 01 juin 2018
Mis à jour le 02 juin 2018