Adapter ses pratiques professionnelles à l’enfant en situation de handicap intellectuel

Quand on travaille auprès de jeunes enfants, on connait les vertus de l’observation ! L’observation fait partie du métier. Quand il s’agit d’accueillir un enfant en situation de handicap intellectuel, il faut redoubler d’attention. Pour repérer ses réactions, comportements, tenir compte de ses difficultés, peurs ou « petites manies » afin d’adopter les bonnes attitudes. L’idée étant de faire progresser l’enfant en partant de ses compétences. Par Pauline De Falco, psychologue auprès d’enfants souffrant de troubles du développement.
Faciliter la généralisation des apprentissages de l’enfant
Vous vous étonnerez peut-être parfois des compétences que les parents vont vous confier concernant leur enfant… « A la maison, il fait des tours avec des cubes, il les empile parfaitement du plus grand au plus petit, il adore les encastrements, il n’arrête pas d’en faire ! ». Sauf qu’au quotidien, vous n’observez pas ce type de jeux : il passe peut-être son temps à jeter des objets, ou à taper des jouets l’un contre l’autre. Ceci peut être tout à fait normal : l’enfant avec une déficience cognitive, ou même un autisme, peut avoir des difficultés à transférer les apprentissages réalisés d’un contexte à un autre. Tout se passe comme si le contexte faisait partie intégrante de l’apprentissage.

Aussi, il est important de connaître les activités de l’enfant à la maison, et de les lui « réapprendre » avec un matériel différent à la crèche. De même, les enfants avec handicap que vous accompagnez bénéficient peut-être d’une prise en charge en CAMSP ou d’interventions éducatives au domicile. Se coordonner avec ces accompagnements spécialisés permettra d’augmenter les capacités de généralisation des enfants.

Repérer la motivation de l’enfant
C’est l’une des premières conditions à toute forme d’apprentissage : toute personne motivée apprend plus facilement par le circuit de récompense qui se trouve activée dans le cerveau : le circuit dopaminergique. La dopamine est d’une grande importance pour l’apprentissage et la mémoire. Il est donc important de pouvoir recenser les activités préférées du bébé, celles qui maintiennent son attention, suscitent son intérêt et sa coopération. A travers ces activités naturellement motivantes, on pourra plus facilement lui apprendre de nouveaux comportements : Par exemple, si le bébé apprécie les marionnettes, il acceptera plus facilement d’accepter d’imiter un geste, pointer une image ou pointer la marionnette pour y avoir accès.

Guider l’enfant dans ses imitations
Les enfants avec handicap intellectuel ne vont pas forcément imiter spontanément. Chez un enfant neuro-typique, les neurones miroirs jouent un rôle important dans ce processus. L’enfant avec handicap va avoir besoin d’un « coup de pouce ». Il peut être nécessaire de le guider physiquement à réaliser un geste, en se positionnant derrière lui, en le guidant à toucher et explorer l’environnement. Le simple « modèle » du geste à réaliser ne suffira pas toujours. Par exemple, le pointage proto-impératif qui consiste à demander un objet en le pointant du doigt est un geste social essentiel chez le bébé à partir de 8 mois, puisque le bébé « agit » sur son environnement, en réalisant des demandes pour répondre à ses besoins intrinsèques. N’hésitez pas à guider le bébé à pointer l’objet désiré ; créez des opportunités en positionnant par exemple un jouet préféré parmi d’autres non préférés devant lui. S’il regarde l’objet avec insistance, guidez-le pour le montrer, en dépliant sa petite main et son index. Ce comportement, entre autres, est un comportement-clé pour le développement de l’attention conjointe.

Favoriser l’attention conjointe
L’attention conjointe est une compétence-clé du développement du bébé. Elle consiste en la capacité à partager un évènement avec autrui, à attirer et à maintenir son attention vers un objet ou une personne dans le but d’obtenir une observation commune et conjointe. Il est essentiel d’aider le bébé à développer cette compétence, en utilisant des jeux qui vont attirer naturellement son regard. Pour certains enfants, établir un contact visuel peut être difficile. Or, c’est l’exploration du visage et des mimiques qui lui permettra, par la suite, de mieux décoder les émotions d’autrui. Il faut être attentif à prendre le temps de se positionner correctement face à l’enfant, et à présenter son jouet préféré dès qu’il regarde dans notre direction par exemple. Parfois, il peut être nécessaire de positionner le jouet à hauteur de nos yeux, pour guider le plus naturellement possible l’enfant vers l’exploration de cette zone chez autrui. Pointer les objets ou les personnes, en guidant l’enfant à prendre en compte ce pointage peut favoriser la « triangulation » entre le bébé, l’activité et l’interlocuteur. Cette compétence sera indispensable pour le développement des interactions sociales et des jeux sociaux.

Utiliser des moyens d’aide à la communication avec l’enfant
L’enfant avec handicap intellectuel présente souvent un retard de langage important, sur le plan de la compréhension comme de l’expression. Or, communiquer est essentiel pour partager ses émotions, ses besoins, son état. Imaginez votre quotidien la bouche scotchée et les mains liées. Vous souhaitez demander à votre supérieur de commander du matériel qui vous manque pour réaliser correctement votre travail. Vous pousserez sûrement des gémissements ou des cris pour attirer l’attention. Certains vous proposeront de vous asseoir, d’autres vous demanderont si vous souhaitez un verre d’eau, d’autres encore si vous avez mal quelque part… imaginez la frustration !

Il ne s’agit pas de le submerger d’informations complexes. Il est conseillé d’utiliser des phrases courtes, simples, et d’éviter de multiplier les formulations dans un premier temps. Assurez-vous d’avoir toute l’attention de l’enfant lorsque vous lui adressez une consigne, une question ou un commentaire. Le baby-sign peut-être tout à fait utile au début, puis les signes Makaton si l’enfant possède de bonnes compétences d’imitation motrice. Les moyens d’aide à la communication tels que le PECS (Picture Exchange Communication System) ou de simples photos peuvent dans certains cas être plus adaptés. Le plus important étant que ces outils soient mis en œuvre avec la famille, dans tous les lieux de vie de l’enfant, et qu’ils permettent rapidement à l’enfant de faire connaître ses besoins.

Par ailleurs, lorsque l’enfant n’a pas les moyens nécessaires pour communiquer, l’adoption de comportements socialement peu adaptés peut être plus économique pour lui (il pousse, mord, crie, etc.). C’est à ce moment qu’on lui porte de l’attention, et que, probablement, l’on répond à sa demande inadéquate (par exemple, accéder au jeu du camarade, faire un câlin ou être extrait d’une situation qui lui est désagréable). Développer la communication fonctionnelle le plus tôt possible est donc indispensable.

Prendre (et lui laisser) le temps !
Les enfants avec handicap intellectuel peuvent avoir besoin d’un temps plus important pour intégrer une information. Les enfants présentant une Trisomie 21 par exemple peuvent avoir besoin de temps pour traiter une information. Parfois, un simple délai suffit pour obtenir une réponse. De même, il peut être tentant d’aider l’enfant trop rapidement dans les gestes de la vie quotidienne : laissez-lui du temps pour élaborer ses propres stratégies, et peut-être aboutir au même résultat.
Soyez vigilants à montrer lentement à l’enfant comment utiliser le jeu que vous lui présentez. Le mot d’ordre est : une chose à la fois ! L’enfant avec handicap intellectuel est en difficulté pour gérer plusieurs informations à la fois. Aussi, si vous l’aidez à mettre ses chaussures, n’indiquez pas dans le même temps qu’il doit mettre son manteau.

L’aider dans ses difficultés attentionnelles
L’enfant avec handicap intellectuel présente souvent des troubles de l’attention associés. Il peut lui être difficile de désengager son attention d’un objet ou d’une partie d’un objet, ou de centrer son attention sur un jouet ou une activité. Il est important de tenir compte de l’environnement, en diminuant au maximum les stimuli autour de lui : par exemple, il pourrait être utile d’éviter de la placer face à la porte si des personnes entrent ou sortent au moment de l’activité, ou à côté de la fenêtre s’il peut voir les voitures passer ou d’autres enfants jouer. Il est conseillé d’épurer l’environnement, ou de veiller à ce qu’il n’y ait qu’un seul interlocuteur au moment de l’activité. Partager ou filtrer sans cesse ses ressources attentionnelles peut être très épuisant pour le bébé, et le rendre plus fatigable.

De même, veillez à proposer des activités qui ne le mettent pas en situation de « double tâche » : si l’enfant est tout juste en train d’apprendre à enfiler des perles sur un cure pipe, ne lui demandez pas dans le même temps de les trier par couleur. Pour cela, il est important de pouvoir situer où en est l’enfant dans chaque domaine de compétence. Les compétences attentionnelles sont essentielles pour tous les apprentissages. Là encore, il convient de repérer quelles activités sollicitent naturellement son attention. On les associera progressivement avec d’autres activités moins préférées (par exemple, si l’enfant est attiré par la musique, on peut réaliser un jeu d'encastrement en écoutant la musique).

Tenir compte de ses éventuels troubles du comportement
Certains enfants avec handicap présentent des comportements-problèmes, qui peuvent trouver de nombreuses origines dans leur histoire (hétéro-agressivité, auto agressivité, troubles alimentaires, etc.) Il est important, dans un premier temps, d’être suffisamment informé de l’étiologie du handicap. En effet, certains comportements sont directement en lien avec la nature de la pathologie. Par exemple, les enfants présentant le syndrome de l’X fragile présentent fréquemment des comportements auto-agressifs pour pallier une anxiété sociale majeure. Les enfants présentant un syndrome de Willi Prader présenteront des particularités sur le plan alimentaire, avec des troubles de la satiété pouvant engendrer des comportements-problèmes en lien avec cette frustration physiologique.

S'informer sur la nature du handicap
S’informer concernant l’origine du handicap peut être utile à l’adaptation d’une prise en charge optimale. Cette information ne permet pas d’expliquer toutes les forces et difficultés de l’enfant, mais de veiller à répondre à l’ensemble de ses besoins. L’enfant X fragile peut présenter une anxiété sociale majeure ; des temps de pause « sensorielles » plus fréquents pourraient être pensés selon les besoins. Les enfants présentant un syndrome de Williams et Beuren sont généralement moins à l’aise sur le plan du comportement moteur et de l’orientation spatiale, mais apprécient beaucoup les activités musicales et ont un meilleur niveau de compréhension verbale. Enfin, les enfants avec autisme ont besoin de nombreux repères visuels et d’une attention constante à leurs centres d’intérêt pour s’en servir comme base des apprentissages que l’on souhaite poursuivre.

Prendre en compte les forces de l’enfant !
Parfois, il est plus évident de voir les faiblesses que les forces. Or, s’appuyer sur ses forces permettra à l’enfant une meilleure confiance en lui et une plus grande motivation. Il est essentiel de se donner un temps suffisant pour observer l’enfant dans de nombreuses situations du quotidien, sans fournir les aides immédiates, afin de voir quelles stratégies il a lui-même élaborées.
Article rédigé par : Pauline De Falco
Publié le 09 janvier 2019
Mis à jour le 30 septembre 2019