Une Souris Verte

Comment le vocabulaire autour du handicap influence-t-il notre approche professionnelle de l’accueil des jeunes enfants ?

La langue française regorge de mots, formules et expressions évoquant le handicap. Mais que dit ce lexique sur nos représentations du handicap et quelle influence peut-il avoir sur notre approche professionnelle et l’accueil des jeunes enfants ? Loin d’être un débat symbolique ou politiquement correct, cette réflexion est indispensable pour comprendre que le vocabulaire est le reflet de nos représentations personnelles et sociétales, et constitue déjà un premier outil pour changer de regard sur le handicap. Voici, forte de sa longue expérience, l’éclairage de l’association lyonnaise  Une Souris Verte.
Le lexique autour du handicap s’est considérablement transformé au cours des derniers siècles sous l’influence de changements historiques et sociétaux. Les dénominations de « fous », « débiles » « crétins » ou « mongols » - officielles en leur temps - sont aujourd’hui à bannir. Elles véhiculent une perception de dangerosité et de menace. Ces individus étaient isolés et exclus pour ne pas troubler la société. Les termes comme « infirmes » ou « invalides » développés au lendemain de la première guerre mondiale se sont progressivement effacés au profit de la notion de handicap. Mais cette notion a elle-même sensiblement évolué.

Longtemps une approche médicale
L’utilisation du terme « handicapé » renvoie à une incapacité due à un déficit physique, sensoriel, mental, psychique, cognitif, d’un polyhandicap, ou d’un trouble de la santé invalidant. Nous sommes dans une approche médicale, qui sous-entend que la réponse doit être une action thérapeutique ou curative par la réadaptation ou la technique pour combler le déficit. Cette dénomination a également pour conséquence de réduire la personne à son seul déficit et parfois même à des objets (fauteuils, cannes, etc.).
 En 1975, une loi est votée « en faveur des personnes handicapées ». On parle de « personnes » et dès lors, le handicap ne définit plus à lui seul l’individu. On reste toutefois dans le champ médical où le handicap est le seul résultat d’un déficit ou d’une incapacité. Le vocabulaire s’élargit avec les expressions personnes porteuses de « handicap » ou « souffrantes de handicap ». Or une personne qui vit avec une limitation fonctionnelle ou une déficience ne ressent pas nécessairement une souffrance tout au long de sa vie ; et le handicap ne représente pas systématiquement une charge pour elle ou ses proches.

Le tournant de la loi de 2005 : une approche plus environnementale et sociale
A partir de 2005, pour la première fois en France, une définition officielle du handicap est donnée dans la loi : “Constitue un handicap [...] toute limitation d'activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne [...]” en raison d’une déficience. (Article L114-1-1 de la loi n°2005-102). C’est une évolution importante car cette définition prend dorénavant en compte des facteurs environnementaux. Ce sont des barrières architecturales, sociales ou liées à nos représentations qui font obstacle à la pleine participation sociale des personnes atteintes d’un déficit dans notre société. On parle alors de ‘situation de handicap’ car c’est l’environnement qui conditionnera si une personne subit une limitation ou une restriction du fait de sa déficience.  Par exemple, une personne en fauteuil roulant sera en situation de handicap devant une marche ou un escalier mais elle ne le sera pas face à une rampe ou un ascenseur. Au sein d’une crèche, un enfant sourd et non appareillé pourra interagir plus facilement avec les autres si les signes sont utilisés. Dans le cas contraire, cet enfant risque d’être isolé et ne pas pouvoir participer aux activités faute de compréhension des consignes. Et à contrario, un enfant sourd bien appareillé sera certes toujours déficitaire auditif, mais grâce à la compensation apportée par l’appareillage, il ne sera plus en situation de handicap au sein d’un groupe d’enfants.


“Je ne demande pas d’être comme les autres, je demande d’être avec les autres” (Chossy - 2011)
Cette conception sociale du handicap est appuyée par Jean-François Chossy dans le rapport “Passer de la prise en charge à la prise en compte” (Chossy - 2011). Par cette nouvelle approche, la personne en situation de handicap n’est pas qu’un individu entouré de professionnels qui décident pour lui mais une personne avec ses propres besoins que les professionnels accompagnent au mieux pour atteindre ses objectifs. On passe de l'assistanat à l’accompagnement. L’approche médicale reste bien entendu un axe d’accompagnement au même titre que d’autres facteurs (éducation, vie sociale, loisirs, bien être, etc.).

Un changement de vocabulaire qui n’est pas un gadget
Cette transformation du vocabulaire autour du handicap n’est donc pas une tournure politiquement correcte ou un simple débat linguistique. C’est un changement profond du concept de handicap qui induit des réponses spécifiques et une réflexion commune pour faire disparaître les obstacles qui créent ces situations de handicap.
Le vocabulaire participe à la construction de nos pensées et par conséquent il influence nos actes à tout âge. Ce travail autour des termes et des représentations du handicap est indispensable avant l’accueil d’un enfant en situation de handicap. Sans cette réflexion d’équipe, l’accueil de l’enfant peut être fragilisé dès le départ par nos propres perceptions et représentations souvent négatives du handicap. Par mimétisme, cela peut entraîner des incompréhensions du groupe d’enfants qui auront alors tendance à l’isoler. Enfin pour l’enfant en situation de handicap, cette situation provoquera dès le plus jeune âge un sentiment d’infériorité, une mauvaise estime de soi et un risque d’ « objetisation ».

L’inclusion c’est le vivre ensemble
Le premier objectif de l'accueil en crèche est de favoriser la socialisation et le vivre ensemble pour tous les enfants. Ainsi aujourd’hui, la mission des professionnels de la petite enfance ne réside pas dans les soins ou le médical. Il réside bien dans le vivre ensemble. Il leur appartient donc d’adapter les pratiques professionnelles et l’environnement de la crèche pour permettre l’épanouissement de chaque enfant selon ses besoins spécifiques. Prendre conscience du vocabulaire utilisé n’est donc pas superflu : c’est la première étape pour changer de regard sur le handicap et favoriser le vivre ensemble dans l’ensemble de la société. Prenons acte de l’accueil de cet enfant “capable autrement” et à nous, acteurs de la petite enfance de construire un regard permettant l’émergence des capacités singulières de celui-ci.

 
Article rédigé par : Audrey Acosta, Odile Baton, Amélie Laurent et Raphaël George
Publié le 04 février 2021
Mis à jour le 01 décembre 2021