Déconfinement : comment maintenir la présence de jouets dans les lieux d’accueil ?

Parmi les questionnements à l’approche d’une éventuelle reprise dans le secteur de la petite enfance, figurent ceux de la mise à disposition des jouets et de leur entretien. Quels jouets proposer ? À combien d’enfants à la fois ? Quel autre matériel de jeu utiliser ? Dans quelles conditions ? Quels protocoles d’hygiène renforcer ? Autant de questions auxquelles Fabienne-Agnès Levine psychopédagogue tente de répondre. Car une chose est sûre : on ne peut pas se passer de jouets en crèche ou chez l’assistante maternelle.
Jouets : utiles au développement de l'enfant
En même temps que la présence d’un mobilier à hauteur d’enfants, les jeux et jouets sur le sol, sur les étagères, dans les tiroirs coulissants ou au fond de bacs à roulettes constituent un des critères qui caractérisent les lieux de la petite enfance, quelle que soit leur capacité d’accueil.
En général, tous ces éléments font l’admiration des visiteurs et des parents. Et lorsque les jouets sont supprimés, c’est seulement le temps d’une expérimentation dite « Crèche sans jouet » dans une démarche visant à sensibiliser petits et grands à la qualité environnementale et à la présence de particules nocives émanant de la matière plastique et du vernis présent sur le bois. Ce projet qui ne dure pas plus qu’une semaine s’accompagne de la mise à disposition d’autres objets plus simples et d’éléments de la nature, ce qui ne correspond pas aux mesures sanitaires demandées actuellement.
Chez les assistantes maternelles, il est encore plus difficile de justifier l’absence de jouets alors même que la qualité de l’accueil à leur domicile est évaluée en partie par la manière dont l’espace dédié au jeu a été préparé. Bref, malgré les défauts des jouets du commerce, il n’est pas raisonnable d’envisager des lieux de vie pour les enfants sans jouets et sans leur mise en commun.
Même pour jouer à l’extérieur, ballons, sceaux et pelles, jouets avec des roues et bien d’autres sont connus pour faciliter le jeu et réguler les interactions entre enfants. Jouer sans rien, ce n’est pas impossible mais tous les enfants ne possèdent pas la même capacité à jouer en toute circonstance ! La plupart sont stimulés par des objets qui peuvent prendre vie entre leurs mains et qui sollicitent leur intelligence sensori-motrice et symbolique. Quoi que l’on pense de la société de consommation, les jouets sont des outils de développement non négligeables.

Les jouets en collectivité ou à domicile, une conquête à préserver
Les crèches sont nées au XIXe siècle en tant qu’œuvres de charité : recueillir les enfants et les mettre à l’abri du froid et de la faim étaient une finalité suffisante. Au siècle suivant, elles se sont développées sur le modèle hospitalier, avec des pratiques hygiénistes drastiques du fait du taux élevé de mortalité infantile. Jusque dans les années 1960, sécurité et hygiène étaient les deux mots d’ordre. Les jouets faisaient donc partie des objets suspects, une maladie infectieuse pouvant vite être propagée par un même jouet porté à la bouche par plusieurs bébés. Cette chasse aux microbes, grâce aux progrès de la médecine, s’est calmée au cours des années 1970. Les premières psychologues intervenant en crèche ont beaucoup œuvré dans ce sens, en particulier l’équipe d’Irène Lézine (1909-1985) puis la génération de Geneviève Appell et de Danielle Rapoport.
Depuis, les commandes de jouets et le mobilier spécifique pour les ranger, en plus de l’équipement des salles d’activités sont devenus la norme. Les règles de sécurité ont été facilitées par l’existence de normes de fabrication tandis que les protocoles d’hygiène n’ont pas été abandonnés mais assouplis. Il a été prévu que la fréquence de nettoyage et de désinfection des jouets soit augmentée seulement en cas d’épidémie.
 
Une liste des cas d’éviction des enfants à laquelle vient d’être ajouté le Covid 19 a été établie et transmise par les services de PMI. La menace créée par la pandémie que nous vivons fait ressurgir l’obsession des foyers infectieux qui a marqué plusieurs générations de professionnels et dont on trouve trace dans les contenus de formation.
 Le bio-nettoyage des locaux et du matériel fait partie du programme des accompagnants éducatifs (CAP AEPE) et des auxiliaires de puériculture (DEAP). Une sensibilisation à cette problématique est prévue dans la formation des éducateurs de jeunes enfants (DEEJE). L’établissement de protocoles de soins et d’hygiène revient en priorité aux infirmières et aux puéricultrices (IDE et IPDE). Habituellement, de grandes disparités dans les pratiques existent entre les établissements et font l’objet d’une attention inégale : produits utilisés, procédures, périodicité, contrôle, etc. À la réouverture progressive des établissements petite enfance, les professionnels concernés se mobiliseront mais des différences dans les moyens persisteront.

Des « kits » de jouets prêts à l’emploi
Dès le 11 mai et pendant un temps indéterminé, il ne sera pas possible de laisser autant de jouets à disposition des enfants qu’auparavant. Toute organisation est tributaire dorénavant des protocoles de désinfection qui y sont associés. Pour aider les professionnels à faire face à la situation actuelle et donner un espace de liberté aux enfants, voici des propositions de « kits » prêts à l’emploi, à adapter aux situations rencontrées selon l’âge, le nombre d’enfants et l’espace disponible.
• Les box. Dans le cas où les enfants sont autorisés à jouer en groupes restreints, sous condition que les adultes procèdent quotidiennement à la désinfection des jouets, on peut constituer des box ou boîtes de jouets composées soit en fonction de l’âge, soit de la catégorie de jeu (découverte sensorielle et manipulation, motricité, faire semblant, assemblage), soit d’une thématique (dînette, docteur, ferme, mer, etc.). Pour simplifier, on peut déterminer un nombre fixe d’objets par box, par exemple dix et préparer une fiche à remplir avant de la plastifier et la scotcher sur une boîte (ou bac en plastique).
Quelques exemples :
• une box composée d’éléments de dînette, d’accessoires du docteur et d’une peluche pour jouer au vétérinaire ;
• une deuxième box composée de cubes en bois et de figurines ;
• une autre d’animaux de la ferme et de kaplas ;
• encore une autre avec un jouet d’empilage (si besoin rajouter des petits jouets pour arriver au total de 10).

Tout l’intérêt de ces « kits » étant dans la combinaison d’objets qui peuvent aller ensemble tout en laissant une ouverture sur la créativité, leur composition mérite un temps de réflexion et le réajustement après observation des enfants qui jouent avec.
Il peut être utile d’attribuer un code couleur ou un chiffre à chaque box et d’indiquer le même sur chaque feuille. Les dix jouets pouvant être à base de matériaux différents (plastique, tissu, bois, carton…), il faut aussi noter plusieurs conseils de nettoyage et de désinfection pour les jouets d’une même box.
Attention de ne pas revenir à une pratique insatisfaisante parce qu’elle rendait les enfants plus spectateurs qu’acteurs : des bacs de jouets en vrac et vite éparpillés dans la salle. Prendre soin de la composition de chaque box. Éviter de sortir un seul bac pour toute la journée afin de restreindre le nombre de jouets à nettoyer. Tout faire pour préserver la notion de jeu libre alors que l’ensemble des jouets ne sont pas à portée des yeux et des mains des enfants.

Une offre à jouer individualisée
Dans le cas où le jeu individuel sans contact entre enfants et sans échange de jouets est vraiment exigé, quelques idées qui permettent de personnaliser les séries de jouets.
• Les corbeilles. À chacun sa corbeille remplie de jouets qui sont choisis en fonction de l’âge et des goûts. Cette pratique est déjà préconisée dans l’approche piklérienne pour individualiser l’accueil des bébés et pour contribuer à leur sécurité affective jusqu’à ce qu’ils réclament plus de nouveauté.
• Les sacs surprise. Composer plusieurs sacs avec une variété d’éléments dans chaque, par exemple un livre, deux figurines, une petite voiture, quelques briques de construction. Varier les mélanges et distribuer les sacs aux enfants avec un système d’étiquettes individuelles. Possibilité aussi de composer des sacs par couleur de jouet ou par marque pour mieux vérifier que chacun joue avec ses jouets (si vraiment les mesures sanitaires l’exigent).
Deux autres solutions déjà connues des professionnels formés à la pédagogie Montessori mais avec un état d’esprit différent sont le recours à des plateaux et des tapis.
• Les plateaux. Le fait de disposer avec soin sur un plateau l’ensemble du matériel nécessaire à une seule activité, facilite l’engagement du joueur dans une démarche individuelle, tout en facilitant sa “surveillance”. Quelques exemples : grosses perles, encastrement, matériel de dessin, éléments à trier …
• Les tapis. Attribuer un tapis de couleur à chaque enfant de manière à ce qu’il s’installe avec “ses” jouets peut aider à limiter, à contre cœur, les échanges entre enfants. Cet usage ne répond pas à une intention pédagogique, telle que celle argumentée par Maria Montessori, mais uniquement à un problème pratique en temps de mesures sanitaires.

Ces solutions qui demandent du travail de préparation restent bien sûr insatisfaisantes. De plus, elles sont centrées sur la gestion des jouets mais ne donnent pas de réponses pour la composition des groupes d’enfants et la restriction de leurs croisements. Aussi, espérons que cette démarche fasse partie de mesures provisoires. Seules les bonnes idées pourront perdurer dans certains cas. Ça n’empêche pas la nostalgie de la période où les espaces de jeux étaient bien équipés, où les projets reposaient sur la liberté d’aller et venir, avec des enfants qui déplaçaient les jouets, les mélangeaient, se les échangeaient. Mais c’est l’occasion de vérifier que pour un enfant le jeu libre, ce n’est pas seulement avoir un large choix de jouets, c’est aussi être libre dans son corps, être respecté dans ses initiatives et avoir la possibilité d’aller jusqu’au bout de ce qu’il entreprend sans être interrompu.

 
Article rédigé par : Fabienne-Agnès Levine
Publié le 27 avril 2020
Mis à jour le 11 mai 2020