Guide ministériel du déconfinement : la réaction de 4 assistantes maternelles 

Depuis le début du confinement, qu'elles travaillent ou non, les assistantes maternelles ont été les grandes oubliées des mesures gouvernementales. Certaines ont dû tout arrêter, faute d'enfants à garder, ou mise en arrêt. D'autres ont dû continuer l'accueil coûte que coûte, avec les moyens du bord. Le guide ministériel « Covid-19-Modes d’accueil » paru il y a quelques jours était très attendu par les professionnels de la petite enfance, et encore plus par les assistantes maternelles. Voici les réactions de quatre assistantes maternelles, chroniqueuses pour notre site Les pros de la petite enfance : Marine, Lorène Bulka, Nadège R et Françoise Näser.
Marine doit tout repenser pour appliquer au mieux toutes les mesures d’hygiène

« Cela fait 2 mois ! 2 mois que nous avons pris un nouveau rythme, un nouveau départ, de nouvelles habitudes et mis en place de nouveaux rituels avec les enfantsMalgré le stress et les questions, j’ai anticipé, j’ai préparé, j’ai installé des points d’eau de fortune, placardé des affiches à l’entrée et dans les toilettes, acheté bon nombre de désinfectants et de lingettes… Le rythme est pris, moins épanouis mais il est pris.2 mois sans nouvelles hormis celle d’accueillir et d’accueillir plus, 2 mois sans réponses à nos questions, 2 mois sans considération pourtant le voilà ! Alors que je n’attendais plus rien, ni de personne, le voilà le « GUIDE » ! Le GRAAL ! Le MEMOIRE ! 37 pages rien que ça, cela m’effraie déjà. A sa lecture je me décompose, je culpabilise, et me remets en question, suis-je encore faite pour ce métier ?Je n’étais pas prête à lire de telles conditions d’accueil ni de telles conditions de travail, si je devais signer aujourd’hui ce serait : non. La réalité dépasse la fiction, il y a ce que l’on peut lire et ce que l’on peut reproduire. Seule avec 4 enfants, je ne m'étais jamais autant lavé les mains, je n'ai jamais autant lavé les sols, désinfecté les jouets. Je ne suis pas infirmière et ma maison n’est pas un hôpital : il y a de la vie, il y a de la bave, il y a des jouets, des cris et des pleurs, du contact, des biberons et des câlins, tout ça c’est mon quotidien. J’essaierai de réaliser ce qui me semble insurmontable, les parents en sont conscients, ils ont lu le guide, bien qu’ils aient confiance, ils attendent beaucoup de moi, voilà un cran de pression supplémentaire, mais j’y arriverai ! Tout du moins j’essaierai. Depuis mon dernier échange avec eux, ils sont prêts et conscients, à l’inverse de moi : bouleversée et déstabilisée. Mais comme je l’ai dit :  j’essaierai, nous ne sommes plus au temps des promesses mais des responsabilités. »


Lorène s'interroge sur la qualité de l'accueil qui sera proposé si on suit toutes les mesures draconiennes du guide

« Cette première semaine du mois de Mai est importante car c’est celle de la sortie tant attendue du guide gouvernemental du dé confinement pour les EAJE, les assistants maternels et les MAM.
J’avais beaucoup d’espoir et beaucoup d’attente vis-à-vis de ce guide : tant de questions restées sans réponses depuis le début de la crise, tant de doute et tant d’envie de « bien faire ».
Pour ma part, j’avais déjà travaillé à l’élaboration d’un protocole d’accueil spécial « COVID 19 ». Et forte de mon protocole, j’étais plutôt confiante.
37 pages plus tard donc, je me sens assommée par l’ampleur de la tâche parce que si je dois l’appliquer en tant que tel, je vais devoir sacrifier tout ce qui fait l’essence même de mon métier : le contact, le relationnel, le mouvement, les découvertes, les manipulations.Plus largement, je vais devoir mettre de côté l’Humain pour me concentrer sur l’Hygiène.
Pour moi, c’est bien sûr hors de question ! Pourtant impossible de tout rejeter en bloc.
Il faut digérer et réfléchir encore et encore.Ce métier est un métier d’adaptation, bien plus que ce qu’on pourrait croire. Mais là, on va au-delà d’une simple faculté d’adaptation : il s’agit quasiment de renoncer à toutes les avancées dans le monde de la petite enfance ces 20 dernières années. Encore une fois c’est hors de question !
Je suis donc assommée mais je reste confiante : je sais que je vais trouver les bons ajustements pour faire le nécessaire sans trahir mon engagement. Parce que c’est bien de ça dont il est question : mon engagement, mes prises de positions professionnelles et mes convictions. Impossible pour moi de tout renier.
Il va falloir se situer quelque part entre obligations et responsabilité, sans perdre de vue l’essentiel : les enfants et leur bien-être.
L’univers que je crée pour eux chaque jour est un univers de repères, de routines, un univers stable et prévisible où leur bien-être domine. Après une période complètement « hors norme », est-il possible d’envisager un retour dans un univers où tout va changer et où leur sécurité affective passera après leur sécurité physique ?
Je ne le pense pas. Le guide parle de distances, de nettoyage, de désinfection, de barrières et de protection.
Pour être en accord avec moi-même, je vais nettoyer, désinfecter, je vais mettre de la distance là où c’est possible et protéger, tant que faire se peut. Mais je fais aussi le choix de préserver les relations entre enfants et de préserver le lien qui nous lie eux et moi. En accord avec les parents, je porterai le masque uniquement lorsque c’est indispensable (soins, changes, repas). Les gestes barrières seront présents mais je refuse d’en faire un nouveau thème d’activité pour les enfants : je pense que ce serait angoissant et contre-productif.Je fais le choix de préserver quoi qu’il arrive l’innocence et l’insouciance propre à l’enfance.
Parce que je pense que, en l’état actuel des choses, le risque de grandir dans la peur des autres et du monde est peut-être plus grand et plus dangereux que le risque sanitaire."


Pour Nadège R, assistante maternelle en MAM, fermée faute d’enfants, ce guide aussi fait polémique

« Je reprends avec envie, détermination et tranquillité pour ma part. Ne pensant pas reprendre avant juin je ne m'étais pas posée la question du protocole. Avec ma collègue nous nous sommes vite mis d'accord : ce guide ne peut être maintenu sans mettre en péril l'état psychologique des enfants. Certes la santé est primordiale, mais nous n'avons pas le sentiment de la mettre de côté non plus. Nous porterons des masques en présence des parents et pas le 1er jour d'accueil (pour ne pas brusquer les petits qui ne nous ont pas vu depuis deux mois). Nous demanderons aux parents de rester à la porte et nous tiendrons à bonne distance d’eux. Dans la journée nous montrerons aux enfants le masque pour leur expliquer que demain matin nous l'aurons à leur arrivée. En douceur c'est notre maître mot...pas de masque avec eux la journée.  Pour nous adultes, lavage de mains fréquemment, désinfection des jouets utilisés à la sieste et le soir avant de partir. Quelques jouets seront enlevés bien sûr mais nous gardons le parc à balles, le tipi et la plupart des jeux que les enfants affectionnent tant. Hors de question de leur enlever leur innocence leur insouciance en leur demandant de ne pas toucher ci, de ne pas faire ça, de ne pas s'approcher de ...les enfants joueront ensemble s'ils le désirent car c'est l'essence même de leur liberté, de leur apprentissage. Nous appliquerons les gestes barrières logiques mais l'affection et l'échange seront notre priorité car elle est nécessaire.
En tant que maman d'un enfant de 3 ans et demi, j'ai été très surprise de ce qui l'attendait à la reprise de l'école le 25 mai. Pas de jouets, pas de vélos, pas de contact. La maîtresse elle-même pense que ce protocole n'est pas sain, tant il est inhumain pour les enfants. Je ne souhaite pas que mes employeurs ressentent ce que je ressens face au retour de mon fils à l'école, c'est pour ça que nous avons décidé d'alléger le guide à son strict minimum. L'intérêt des enfants passe avant pour nous et cela en accord avec les parents »


Pour Françoise Näser, ce guide a provoqué un grand désarroi l’a plongée dans des questionnements sur son métier et ses vraies valeurs

« Être professionnel, c'est être en capacité de réfléchir les gestes que nous faisons, au quotidien. Savoir pourquoi et comment nous faisons ces gestes. Surtout pourquoi. C’est aussi douter, s’interroger, être en capacité de se remettre en question.
Être professionnel, c'est être en capacité d'adapter ces gestes aux situations imprévues, sans toutefois perdre de vue le "pourquoi". S'adapter sans perdre son âme, en quelque sorte. Se remettre en question, sans jamais questionner l’essentiel.
Être professionnel, c'est aimer son métier. C'est avoir conscience de ce que l'on apporte à l'autre, c'est avoir conscience de son rôle dans la société. Aimer son métier, c'est le pratiquer dans la joie.
Être professionnel de la Petite Enfance, c'est veiller à l'épanouissement et au bien-être des tout-petits. C'est veiller sur leur santé physique et psychologique. Notre cœur de métier, c'est protéger les plus vulnérables. Ainsi, je me pose sincèrement la question : qui cherchons-nous à protéger avec ce Guide ?
Être professionnel de la Petite Enfance c’est aussi s’interroger sur sa responsabilité. Nous avons une obligation de résultat en matière de sécurité et de moyens en matière de santé. Face à la maladie, au risque de contagion, nous sommes en première ligne. Nous devrons peut-être avoir à nous expliquer sur nos choix.
En lisant ce Guide, je ressens du découragement devant l'ampleur de la tâche. Du découragement, de l'abattement, du désarroi parce que mon propre protocole d'accueil Covid19 tournant autour de la bientraitance me semble tout à coup ridicule. Que pèsent la bienveillance et la bientraitance face au tout sanitaire, au tout sécuritaire et à l'hygiénisme ?
 »


Pour toutes, un objectif : garantir la qualité affective de l’accueil
De nombreuses assistantes maternelles ont pu témoigner sur les réseaux sociaux et auprès de leurs syndicats, de leur inquiétude. Comment mettre en place la distanciation dans une pièce de vie avec plusieurs enfants ? Comment leur demander, sans les brusquer davantage, de rester à bonne distance des autres, de ne pas toucher.
S'affrontent alors deux visions de ce métier avec le guide : il y a aura celles (et ceux) qui vont le suivre à la lettre, en tout cas à son maximum et les autres, qui vont "alléger" ce protocole en suivant leurs intuitions, leurs instincts et le respect de leurs petits accueillis.
Dans les deux cas l'intention est honorable car elle ne vise qu'à garantir la sécurité affective émotionnelle et physique de l'enfant. Dans les deux cas l'essence même de notre métier sera au cœur de nos questionnements. Mais n'oublions pas, même dans les mesures les plus draconiennes, que l'essence même d'un tout petit c'est la liberté, le mouvement le jeu. Le tout petit apprend en découvrant son environnement avec le moins de freins possibles : il doit mettre à la bouche, toucher, palper jeter pour appréhender le monde et se l'approprier. L'interaction avec ses camarades quant à elle n'est pas forcément obligatoire mais si elle est désirée par l'enfant, et interdite par le protocole, quel impact ce dispositif aura sur sa liberté ?  Quant aux interactions avec l'adulte, le référent, elles sont juste primordiales pour son bon développement.
Quel que ce soit le protocole choisi par les assistantes maternelles, elles l'appliqueront et le travailleront avec intelligence et bienveillance, car elles s’adaptent : encore et toujours

 
Article rédigé par : Marine, Lorène, Aurore, Françoise
Publié le 10 mai 2020
Mis à jour le 14 mai 2020