Qualité d’accueil : comment l’évaluer par une démarche participative

Il est de plus en plus question dans les textes de demander aux équipes de professionnels de la petite enfance de faire la preuve de la qualité de l’accueil offerte par leurs structures, dans une démarche participative d’évaluation. A partir d’une expérience récente, dans une crèche lyonnaise, Marie Paule Thollon Behar, docteur en psychologie et formatrice petite enfance, envisage la méthodologie utilisée, les résultats obtenus, l’intérêt et les difficultés d’une telle démarche.
L’évaluation de la qualité de l’accueil dans les textes aujourd’hui
Elle devient une préoccupation majeure dans le monde de la petite enfance. Après avoir envahi le domaine médico-social, avec des démarches plus ou moins bien acceptées selon les établissements et les services concernés, l’évaluation est de plus en plus évoquée dans les textes, nombreux, qui sortent aujourd’hui. Il ne paraît pas surprenant que soit proposé le même principe d’une recherche de qualité dans la relation à l’usager. Mais d’autres arguments soutiennent également cette dynamique assez nouvelle dans notre propre domaine de la petite enfance.
La notion d’investissement social, avec l’accueil des enfants dans des crèches à « haute qualité éducative » pour pallier les effets de la précarité et de la pauvreté - idée émise par le think tank Terra Nova-, n’y est sans doute pas pour rien.

Mais qu’est-ce qu’une « haute qualité éducative » ? La définition de la qualité par ailleurs se travaille. Le Rapport Giampino (2016), qui a donné lieu ensuite à la charte nationale et au Texte-cadre national pour l'accueil du jeune enfant a posé des jalons essentiels pour déterminer un certain nombre de principes, qui sont autant de critères de qualité. A la suite du rapport, le Haut Conseil de la Famille de l’Enfance, et de l’Adolescence (HCFEA) a publié des préconisations, intitulées « Pilotage de la qualité affective, éducative et sociale de l’accueil du jeune enfant », qui s’appuient sur le rapport Giampino.

Il est question d’évaluation, bien sûr, mais une évaluation qui se distingue des méthodes mises en œuvre dans le secteur médico-social, trop lourdes et coûteuses en temps et en moyens financiers. L’objectif est de privilégier des démarches participatives : « L’auto-évaluation des pratiques représente le modèle le plus adapté au processus de réflexivité́ à encourager dans le secteur de la petite enfance » (p188 « Pilotage de la qualité »). Ce ne sont donc pas les démarches normatives du type « Certi’crèche » qui sont privilégiées, bien au contraire. L’observation en interne est l’outil principalement cité.

Les 6 étapes d’une démarche participative
Pour autant, évaluer la qualité de l’accueil que l’on propose aux enfants et à leur famille doit s’appuyer sur une méthodologie rigoureuse et solide, que nous allons envisager en plusieurs étapes amenant à déterminer des critères et ensuite à définir des indicateurs pour chaque critère.

1. Déterminer des critères de qualité
Nous l’avons vu plus haut, les textes aujourd’hui aident à définir ce que l’on peut viser en termes de qualité. Dans certains services petite enfance ou associations, des chartes ont été rédigées, qui fixent plus précisément un certain nombre de critères. Leur application est rarement évaluée mais elles constituent une définition de la qualité de l’accueil. Les projets d’établissement, avec leur volet éducatif, formulent également des valeurs éducatives qui sont autant de critères de qualité si elles sont suffisamment précisées. La qualité peut donc être déjà pensée. Sinon, le premier travail sera de s’interroger sur sa définition et ceci, en impliquant au maximum les professionnels de terrain. La qualité est toujours définie d’une manière subjective, en fonction de la sensibilité de l’équipe et des membres qui la composent.

2. Définir des indicateurs permettant d’évaluer les critères
Inversement, les indicateurs doivent être objectifs, observables, voire mesurables. S’il est bien sûr impossible, par exemple, d’évaluer la bienveillance directement, il est possible d’en observer certaines conditions : l’adulte se met à la hauteur de l’enfant, l’adulte ne crie pas et n’a pas de gestes brusques, l’adulte répond à l’enfant qui le sollicite, etc. Une grille d’observation peut être mise en place afin de mesurer sur un temps donné l’existence de ces indicateurs.

3. Concevoir des outils d’observation ou autres pour repérer les indicateurs
Si l’observation est souvent l’outil le plus utilisé, il n’est pas le seul. L’analyse de contenu des outils de transmission, tels des cahiers de vie, peut en être un autre. Les entretiens ou des questionnaires adressés aux parents pourront évaluer un critère centré sur la continuité entre crèche et famille. Lorsque l’observation est privilégiée, encore faut-il élaborer une ou des grilles d’observation. Il ne suffit pas de dire : « on le fait », encore faut-il le vérifier. Il existe aujourd’hui un certain nombre d’ouvrages sur l’observation qui peuvent être utiles*.

4. Recueillir les données par l’observation, les entretiens, l’analyse de documents existants
L’observation nécessite souvent qu’une personne supplémentaire soit disponible pour éviter de modifier le déroulement habituel et bien évaluer la réalité du quotidien. Ce n’est pas toujours facile ou possible, et il faut le soutien inconditionnel des différents niveaux hiérarchiques pour bénéficier des conditions indispensables à un réel travail de recueil des données. De la même façon, analyser des outils professionnels exigera du temps en dehors de la présence des enfants.

 5. Traiter les données recueillies
Les grilles d’observation sont remplies, il s’agit maintenant de les analyser ce qui demande souvent un autre outil, de synthèse celui-là. L’indicateur était « se mettre à la hauteur de l’enfant », l’observation portait sur l’attitude de l’adulte : oui, non, à la hauteur de l’enfant, à croiser par exemple avec le moment de la journée, le nombre d’enfants, de professionnels, la présence de parents. L’analyse pourra peut-être permettre de voir que généralement, l’attitude est pertinente mais que, quand il y a beaucoup d’enfants et peu de professionnels présents dans la salle, l’adulte s’adresse à l’enfant alors qu’il est debout. L’analyse conduit à revenir au critère : oui, la bienveillance est présente ou non, ou à certains moments mais moins à d’autres.

 6. Vers une amélioration continue de la qualité de l’accueil
L’analyse des données va pouvoir permettre à l’équipe soit de conforter des pratiques existantes tout à fait satisfaisantes, soit d’en modifier certaines, soit encore de faire remonter au gestionnaire des besoins en ressources supplémentaires. Non plus uniquement en disant « on n’est pas assez nombreuses en fin d’après-midi », mais en montrant que dans ce moment-là, il y a un impact sur la qualité d’accueil et en particulier sur la bienveillance.

L’exemple de la crèche associative Saint Bernard
La crèche Saint Bernard à Lyon se lance dans l’aventure après une expérience de recherche-action préalable**. Pour cette association, composée de sept petites équipes, nous avons choisi de constituer un groupe de référentes qui allaient porter la démarche au sein de leur équipe. Ce groupe s’est réuni pour cinq séances que j’ai animées.
Les critères ont été déterminés lors d’une journée pédagogique qui a réuni l’ensemble des professionnels. Ils représentent bien les trois dimensions de l’accueil. Deux portent sur l’accueil de l’enfant, l’un sur la qualité du sommeil, besoin physiologique, et l’autre sur l’attitude de l’adulte à l’égard de l’enfant, besoin relationnel. Un autre critère concerne les parents avec la qualité des temps d’accueil des parents. Le dernier critère concerne les équipes avec l’évaluation de l’autonomie ressentie par l’équipe.

• La qualité du sommeil
Les indicateurs choisis portent sur le repérage des signes de fatigue, la durée de l’endormissement, le motif du réveil (provoqué ou spontané), l’humeur de l’enfant. Pour être un peu rapide, la qualité du sommeil serait repérable par un endormissement rapide, un réveil spontané et une humeur positive au réveil. Un outil d’observation est élaboré permettant de noter les différents indicateurs. Dans chaque équipe, 3 enfants sont observés, 5 fois chacun. L’analyse des données montre que pour les plus jeunes, les signes de fatigue sont bien repérés et pris en compte, ce qui est moins vrai pour les plus grands qui sont davantage dans un rythme social. Les enfants s’endorment rapidement. Ils se réveillent souvent d’eux-mêmes, sauf dans deux groupes où les dortoirs sont plus bruyants. Ils attendent très peu pour être levés et sont plutôt d’une humeur agréable, voire joyeuse.
On note plutôt une bonne qualité du sommeil, dont les professionnels n’étaient pas certaines. Il faut travailler sur les points de vigilance : prise en compte des signes de fatigue pour les plus grands et une attention à avoir avec les bruits extérieurs des dortoirs qui sont moins isolés.

• L’attitude de l’adulte dans la relation à l’enfant
Le premier indicateur est celui du nombre d’interactions verbales ou non verbales initiées par l’enfant vers l’adulte, perçues et comprises ou non. Réciproquement, le nombre d’interactions verbales ou non initiées par l’adulte. Les contenus sont également analysés. D’autres indicateurs sont observés, mais nous allons analyser ces deux catégories. L’analyse montre que 84% des sollicitations de l’enfant envers l’adulte sont perçues, un petit nombre ne sont pas comprises. C’est un point de qualité très positif en termes d’écoute et de disponibilité. Les enfants sollicitent surtout l’intérêt de l’adulte et lui demandent une action. Inversement, les adultes s’adressent surtout aux enfants pour proposer une action (43%) ou un soin (20%), très rarement pour proposer un jeu ou l’accompagner (5%) ce qui interroge le rôle de l’adulte vis-à-vis du jeu de l’enfant. On peut penser qu’il y a un certain décalage entre les attentes des enfants en termes d’attention et les réponses des adultes en termes d’action à effectuer.

• La qualité des transmissions entre parents et professionnels
A noter que la plupart des observations ont été recueillies lors des échanges du matin, il était difficile aux équipes d’avoir un observateur extérieur le soir. Ce travail resterait à faire. Nous allons résumer les points les plus prégnants. La proximité est en principe recherchée dans ces moments, soit le parent se rapproche de la professionnelle, soit l’inverse. Les enfants pleurent peu et sollicitent toujours leur paren, et non les professionnelles. Selon les équipes, les professionnelles sont plus en relation avec les enfants accueillis ou plus centrées sur les parents. L’organisation est à réfléchir avec un équilibre entre les deux, permis par une répartition des professionnelles disponibles entre présence indispensable aux enfants et accueil des parents.

• Autonomie des équipes
La qualité d’accueil repose sur la qualité de vie au travail des professionnelles. Le ressenti d’une plus ou moins grande autonomie participe de cette qualité de vie. Dans cette crèche, le ressenti est d’une différence dans l’autonomie laissée à chaque équipe. Les indicateurs sont évalués à partir d’un questionnaire qui interroge différents aspects : relation avec les parents, pédagogie, santé- sécurité, gestion de la structure, planning horaire. Le degré d’autonomie (prendre une décision seule, en équipe, en informant la directrice, ou seulement avec son accord) est évalué à partir de questions très concrètes : « solliciter une famille pour une activité ponctuelle », « prendre un enfant en dépannage en urgence », « modifier les horaires en fonction des besoins ». L’analyse des questionnaires remplis en équipe montre qu’il existe effectivement une différence dans le degré d’autonomie ressenti par les équipes. Il s’agit donc maintenant de travailler sur un meilleur équilibre dans l’« empowerment » de chaque équipe.

Une démarche constructive et positive où les pros sont acteurs
Une démarche telle que celle que nous venons de décrire ne prétend pas évaluer la qualité de l’ensemble des dimensions de l’accueil. Mais elle favorise un focus sur certains aspects, d’autres pouvant être abordés plus tard. Elle amène les professionnels à questionner leurs pratiques à partir d’outils qui permettent de dépasser les ressentis et d’envisager une amélioration des pratiques qui le nécessitent. Elle apporte également une visibilité sur la qualité de l’accueil qui peut être communiquée aux parents, au gestionnaire, ici au conseil d’administration. Les professionnels en sont acteurs, ce qui n’est pas le cas d'une certification avec un audit extérieur. Une démarche constructive et positive qui demande néanmoins, nous l’avons vu, des ressources en termes de temps pour réfléchir ensemble, pour observer. Ces méthodes d'évaluation participatives, telles qu’elles sont préconisées dans le rapport du HCFEA, ne pourront pas se mettre en place sans que des moyens soient investis pour les mettre en œuvre.


*Fontaine AM, L'observation professionnelle des jeunes enfants, un travail d'équipe, Ed Philippe Duval, 2011
**Thollon Behar MP, Dynamiser les pratiques professionnelles dans la petite enfance, un outil la recherche-action, La Chronique Sociale, 2012
Article rédigé par : Mazrie Paule Thollon Behar
Publié le 16 octobre 2019
Mis à jour le 24 octobre 2019
C est un article pour rire ??? Ou cette dame est serieuse ??? Elle sait ? Ce qui se passe ???????