A quoi servent les plannings d’activités ?

Un emploi du temps harmonieux, sur le papier ou juste dans la tête, est une bonne clé pour supprimer les « fais vite » et « dépêche-toi » adressés aux jeunes enfants à longueur de journée. Au domicile parental ou chez l’assistante maternelle, un planning peut être une base de dialogue avec les parents ; en collectivité, c’est aussi un outil de gestion du personnel. Mais à quel point est-il nécessaire d’inscrire noir sur blanc le nom des activités proposées ? Le point de vue de Fabienne Agnès Levine, psychopédagogue.
Imposé, un planning d’activités risque d’être vécu comme une contrainte et de freiner la spontanéité. Lorsque l’assistante maternelle en a l’initiative, tout au contraire, elle l’utilise pour s’organiser et se motiver. De même, l’auxiliaire parentale peut le soumettre aux parents pour clarifier son rôle. En collectivité, c’est un outil de concertation qui est un gage de qualité, à condition d’être l’objet d’une réflexion en équipe.

En pédagogie, il ne faut pas confondre programme et planning
En général, quand il s’agit d’anticiper des actions à court ou moyen terme et de noter clairement une succession de tâches ou de séances à prévoir, les mots « programme » et « planning » sont interchangeables. Mais dans le registre pédagogique, un programme désigne surtout un ensemble de mesures prévues pour atteindre des objectifs, au sein d’une institution. Ainsi, l’école maternelle applique un programme constitué de cinq domaines pour chacun desquels sont formulés une liste des compétences attendues, une progression des apprentissages, un descriptif des méthodes mises en œuvre et une présentation des modes d’évaluation. Les enseignants sont libres de s’organiser dans leur classe mais sont tenus d’établir un emploi du temps (ou planning) qui justifie de la traduction du programme en vigueur dans le déroulement quotidien.
Dans les modes d’accueil préscolaires et donc, faut-il le rappeler, non scolaires, on ne parle pas de programme mais de projet. Le projet d’établissement est un texte finalisé, obligatoire à l’ouverture, mais qui continue à être discuté et affiné en équipe. Le fait d’établir ou non un planning d’activités fait partie des modalités pratiques à décrire dans le projet pédagogique. L'important est de trouver une organisation en cohérence avec les valeurs définies dans le projet éducatif, fil conducteur qui assure la continuité des pratiques professionnelles.

Un programme, ça engage alors qu’un planning, ça se modifie
Un programme engage sur la durée car il a été préalablement rédigé pour être appliqué alors qu’un planning peut se modifier et s’adapter à la situation. Sauf injonction de la part de la hiérarchie, toute activité notée sur le planning est susceptible d’être remplacée par une autre ou supprimée pour des raisons tantôt logistiques, tantôt psychologiques.

Prenons un exemple en multi-accueil : le planning de l’unité de vie prévoit de séparer les enfants en deux groupes en milieu de matinée et de leur proposer successivement des marionnettes et des abaques. Or, ce jour-là, les interactions autour de la structure à grimper et dans les autres zones de jeu se passent bien : des éclats de rire, des conflits vite désamorcés, des enfants qui sont en pleine activité, d’autres en pleine rêverie. Si le projet éducatif de la structure précise que la qualité de l’observation et le respect des rythmes individuels sont des valeurs fondamentales, faut-il suivre à tout prix ce qui a été noté plusieurs heures ou plusieurs jours auparavant ? Les deux personnes chargées, l’une des marionnettes, l’autre des abaques ont donc le choix entre les proposer quand même à quelques enfants volontaires, mais sans interrompre les autres, ou garder ces deux idées pour compléter le prochain planning d’activités.

Un planning est une anticipation plutôt qu’une promesse
Un planning est une trace écrite : sur feuille ou sur écran, une activité est attribuée à une personne (volontaire ou désignée) et si besoin à une salle. Les horaires peuvent y figurer de manière souple (matin, après-midi) ou précise (10 h 15-11 h). Le document peut prévoir également la liste des enfants inscrits, activité par activité, ou simplement le nombre de places.

Un planning ne se remplit pas « à la va-vite » car il est une démarche d’anticipation qui repose sur une analyse de type QQOQCP (Qui ? Quoi ? Où ? Quand ? Comment ? Pourquoi ?). Une bonne planification résulte d’un temps d’échanges collectifs, à l’échelle de l’unité de vie ou de toute la structure d’accueil. Quand elle est programmée une fois par semaine, cette séance stimule la recherche d’idées et le recensement du matériel pas utilisé spontanément. Une fois établi, le planning devrait donc offrir un confort moral et matériel, chacun sachant ce qu’il a à préparer avant l’activité et ayant le temps de se mettre en état de disponibilité pour accompagner les enfants. Ensuite, rien n’oblige, sous prétexte qu’un temps d’activité est planifié, d’avoir plus d’exigences envers les enfants et d’adopter un style d’intervention plus directif.

L’élaboration de plannings est un outil de travail pour les membres d’une équipe. Dans l’idéal, prendre le temps de débriefer le planning précédent avant de se projeter dans la suite est plein de vertus pédagogiques : il s’agit d’échanger sur la richesse des activités, sur le comportement des enfants, sur l’aisance d’animation des adultes, sur le matériel ou les locaux en vue d’améliorations. Le planning ne doit pas nécessairement être affiché à l’entrée, comme une promesse faite aux parents le matin dont il faudra confirmer la réalisation le soir. Cette tendance à choisir les jours de fréquentation après consultation de la liste d'activités est bien connue en centre de loisirs. Mieux vaut prévoir un panneau destiné aux familles, sur lequel sont mentionnées les activités qui ont bien eu lieu et non celles qui étaient juste des intentions sans engagement. Cette pratique vise à éviter que les parents adoptent un comportement de consommateur !

Un planning est l’occasion de répertorier les activités
Remplir un planning ne doit pas être un concours d’originalité. Individuellement, pour l’assistante maternelle, ou à plusieurs, dans le cadre d’un EAJE, cette démarche amène à lister les activités déjà proposées et celles qui sont oubliées, celles qui enthousiasment les enfants et celles qui ont moins de succès. Elle est également prétexte à diversifier les propositions faites aux enfants et à repérer la nature de chaque activité. Les activités couvrent principalement quatre grands domaines de jeu : sensoriel, manuel, moteur, symbolique. Les activités sensorielle, manuelle et motrice correspondent toutes les trois à des jeux d’exercice dans le classement ESAR. Cependant, il est intéressant de privilégier une des composantes, en sélectionnant du matériel ludique qui s’adresse plus aux cinq sens, plus à la motricité fine ou plus à la motricité globale. La quatrième activité, symbolique, se caractérise par les capacités de représenter une situation connue ou imaginaire au travers du langage ou du faire semblant.
Plus l’intitulé de l’activité est précis, plus il sera aisé d’identifier la catégorie. En outre, il suffit de prévoir une cinquième liste pour les activités estimées inclassables pour avoir un outil simple à utiliser : un planning avec des initiales ou un code couleur pour identifier chacune des cinq catégories. La description des caractéristiques de chaque groupe d’activités figure dans le livre « Une pédagogie du jeu avant trois ans ». Le simple fait de repérer ce qui différencie ou rassemble plusieurs activités ouvre la voie à une analyse de leur contenu et de leur intérêt pour les enfants.

Un planning, pour de bonnes et de mauvaises raisons
Comme tout outil, le planning a du sens s’il est perçu positivement par ses utilisateurs et vise à améliorer les pratiques professionnelles. Dans l’organisation en « ateliers décloisonnés » ou en « portes ouvertes », le planning est incontournable car il fait partie du dispositif de la pédagogie interactive. De longues plages de temps sont prévues pendant lesquelles les enfants circulent de salle en salle, passant d’une activité à une autre. Cette liberté de déplacement et ce libre choix sont rendus possibles par l’attribution planifiée d’une activité à chaque professionnelle : une organisation qui serait compliquée sans un planning d’animation des activités et d’occupation des salles.
Si le planning est juste un faire valoir pour vanter la qualité d’un mode d’accueil, en encourageant la course aux activités (que les EJE ont l’habitude de nommer « activisme »), il ne remplit plus son rôle d’enrichissement des expériences ludiques offertes aux enfants. Le planning est tout aussi décevant lorsque les responsables l’utilisent uniquement comme un moyen de contrôle du personnel, signifiant par là leur méfiance envers des professionnels qui ne seraient pas assez motivés et impliqués.
Il serait dommage de se cacher derrière l’intérêt des enfants pour critiquer l’usage des plannings. L’improvisation de la part des professionnels ne suffit pas à garantir la libre expression des enfants. Ne pas confondre le sentiment de liberté des adultes, qui n’est pas un but en soi, avec la spontanéité des enfants qui doit être préservée. Tout comme il arrive d’être interventionniste pendant que les enfants jouent soi-disant librement, il est donc possible d’offrir aux enfants un authentique espace de liberté pendant une activité planifiée. Planifier ne signifie pas imposer. Planifier, dans certains contextes, c’est mieux s’organiser en amont pour se rendre plus disponible ensuite.
Le planning, il ne s’agit donc pas d’être pour ou contre mais de savoir quand, pourquoi et à quelles conditions il contribue à la qualité de l’accueil des enfants sans être un objet de souffrance au travail pour les professionnels.

Pour aller plus loin, suivre notre formation en ligne Jeux libres et activités : quel équilibre avant 3 ans pour des enfants heureux ?
Article rédigé par : Fabienne Agnès Levine, psychopédagogue
Publié le 12 mars 2018
Mis à jour le 07 avril 2018