La consommation dès le biberon. Par Anne-Cécile George

Directrice de crèche, infirmière-puéricultrice

enfant qui joue
Cher lecteur, tu viens à peine de terminer ton bain de soleil que déjà on te pose la question fatidique « dire que c’est bientôt Noël, as-tu pensé aux cadeaux que tu voudrais offrir à tes enfants ? ». Tu n’es pas loin de recevoir les catalogues de jouets puisque cela débutera aux alentours d’octobre et te voilà chargé d’un poids mental alors que l’idée ne t’avait pas même effleuré l’esprit, pire tu étais tout juste en train de déballer tes valises.

Comme beaucoup de parents, tu songes à tout ce que tu as emmagasiné depuis la naissance de ton petit et qui ne t’as pas servi à grand-chose. On t’avait mis la pression pour le Youpala, le Cocoonababy et le Baby Cook, qui à eux trois valent la bagatelle d’un séjour en Tunisie pour une personne. Tu avais à grand peine donné ta satisfaction sur internet, après un cyber-harcèlement des trois enseignes au sujet de la livraison et du fonctionnement. Tu es encore en train de payer ton crédit à la consommation de 5 ans pour l’achat du dernier baby phone à écran plat avec détection de pleurs et requalification de ceux-ci par un logiciel ultra performant (pleurs de faim, pleurs de fatigue, pleurs pour rien). Et tu t’apprêtes à économiser pour ce 24 décembre qui prend des allures d’impôts sur le revenu si l’on pousse à l’extrême. Dans une société où tout est désormais standardisé, le choix des cadeaux de Noël s’anticipe.

Ce n’est pas rare en crèche d’avoir les parents qui nous demandent où nous avons déniché tel équipement ou tel jeu car leur enfant s’amuse bien avec. Mais l’enfant s’amuse car l’environnement y est propice. L’attention est portée sur lui, l’adulte joue avec lui si cela s’avère nécessaire. Dans des pays sous-développés où le jouet est un objet anecdotique, les enfants s’amusent tout autant, avec des bâtons surmontés d’un tissu qui nous feront penser à une poupée. Les parents recherchent à tout prix la satisfaction de leur enfant, si ce n’est pour réparer un évènement du passé. Il s’avère que les publicités nous narguent tellement sur les bienfaits de ceci et les vertus de cela, qu’un détour à la grande récré devient l’urgence du mois de décembre. Ainsi l’enfant se retrouvera numéro un sur le podium de la standardisation, et assurément le parent en sera « satisfait » voire même « très satisfait » lors de l’enquête incontournable.

Si quand bébé arrive, on nous pousse à lui offrir le meilleur en termes d’équipements de puériculture, les premiers mois, bébé n’a besoin que d’une chose : la disponibilité de ses parents pour lui donner à manger, le bercer et le soigner. Etre assis sur un transat à 500 boules lui est bien égal et il n’hésitera pas à y faire ses besoins. Si on débute avec un budget à cette hauteur, il faut savoir qu’à l’adolescence, il faudra être capable de lui payer le sac à dos Gucci et le stylo Mont-Blanc pour le bac. Mais quand on y songe, de quoi se souvient-on de notre enfance ? De la poupée qui parle ? La peluche luciole qui brille dans la nuit ? Ou encore de sa collection de Pollypocket ? Pas vraiment. Ce qui nous a marqué le plus, ce sont les moments passés en famille, les repas de fête, les balades dans les montagnes, les tunnels creusés avec ses mains dans le sable avec son frère ou sa sœur, les parties de foot avec papa et l’apprentissage laborieux de la cuisine avec maman (je parle pour moi) !

Rares sont les jeunes enfants qui jouent seuls dans leur chambre, quatre heures durant, sans solliciter une seule fois l’adulte. C’est valable pour les structures d’accueil, où il y a beau avoir un panel de jeux éducatifs, en bois, sensoriels, et d’éveil, il y aura souvent l’apparition de conflits. Et quoi de mieux pour désamorcer une situation conflictuelle ou apaiser le climat qu’une histoire racontée par l’adulte ? Ou encore un jeu où l’adulte prendra part ? On aura beau acheter du matériel à la pointe en crèche, si les professionnels n’ont pas un projet construit autour des interactions avec l’enfant cela ne fonctionnera pas. En ce début d’année, il est de bon ton d’en parler pour construire le projet autour duquel s’articulera les interventions de l’adulte, l’observation des besoins de l’enfant, son individualité dans le groupe. Exister dans un groupe de 25 enfants est parfois difficile quand on se retrouve cajolé par ses deux parents à la maison. Retrouver ces moments d’individualité dans le jeu avec l’adulte est aussi une bonne manière d’accorder une attention à l’enfant au-delà de la marque du jouet et de sa qualité pédagogique. Alors pourquoi ne pas leur offrir une écoute attentive, une disponibilité et des moments inoubliables (je ne manquerai de vous envoyer un mail de satisfaction afin de connaître vos impressions, car chez les Pros de la Petite Enfance, on aime choyer nos lecteurs ;) !). Bonne rentrée à toutes et à tous.
Publié le 30 août 2017
Mis à jour le 09 décembre 2019