Le burnout et l’histoire de la pédagogie. Par Bernadette Moussy

EJE, formatrice (enseignement des courants pédagogiques)

Istock
Femme fatiguée avec 2 bébés
Je suis allée dernièrement dans l’Est de la France pour faire une conférence sur l’histoire de l’éducation, ses découvertes et ses renaissances. Le lendemain je rencontrais des EJE dont le sujet de conversation portait sur toutes leurs difficultés à pouvoir exercer leur métier. Le rendement étant plus la préoccupation des responsables que la qualité de l’éducation et des soins auprès des petits. Ce que j’entendais me paraissait bien loin du sujet de ma conférence. Je ressentais comme une chute brutale dans la réalité, en complète inadéquation entre ce que j’avais dit la veille et les difficultés que j’entendais.
Que pouvait bien apporter l’histoire des courants pédagogiques dans une situation où l’épuisement professionnel menace la plupart de « ceux qui y croient » ?

Décrit par le psychiatre et psychothérapeute Herbert Freudenberger, le burnout se décrit par « un état de fatigue chronique, de dépression et de frustration apporté par la dévotion à une cause, […] conduit en fin de compte à diminuer l’implication et l’accomplissement du travail. » C’est brutal et douloureux.
Récemment sur ce site internet une auxiliaire de puériculture décrivait avec générosité et sincérité cette descente aux enfers. Dernièrement sur Facebook je voyais l’annonce d’un colloque intitulé : "J'en ai marre ! Pourtant j'adore mon métier avec les enfants...". Une identification à la petite enfance…un désir de la soigner et de la protéger et surtout de la comprendre et de l’accompagner est régulièrement confronté à une incompréhension soit des collègues et surtout de la hiérarchie qui parait n’avoir aucun idée des besoins d’un enfant et de ses parents.

Je me sens en face d’un fossé entre la réalité actuelle et mon désir de transmettre l’importance de l’histoire. Les professionnels ont-ils besoin actuellement de connaissances sur les origines et découvertes successives en éducation et la biographie de pédagogues qui sont morts depuis des siècles quelques fois ? Apparemment pas. Je tente malgré tout un rapprochement. Voici ce qui me vient à l’esprit, sans vouloir convaincre qui que ce soit.

Déjà, tous ces pédagogues qui ont rappelé les exigences dues à l’approche de la petite enfance ont eu eux aussi des difficultés sérieuses, des tracasseries, tromperies et des difficultés à se faire comprendre même de leurs collègues. Je pense à Rousseau qui s’est fait expulsé de France trois jours après la parution de l’Emile, à Pestalozzi, qui a connnu de sérieux problèmes avec ses collaborateurs, à Fröbel qui à la fin de sa vie, pris pour son neveu anarchiste, a été empêché de pratiquer, à Montessori expulsée d’Italie par Mussolini, à Itard qui se hâtait de publier ses mémoires pour justifier son travail avec « l’enfant sauvage »… Mais c’est bien connu que les problèmes des autres n’arrangent pas forcément les nôtres.
Et pourtant les pédagogues nous apportent des témoignages sur la façon dont ils ont lutté. Je pense à Pauline Kergomard qui durant les trois cents inspections d’écoles maternelles qu’elle a effectuées dans toute la France, a continué à prêcher l’importance du jeu, de l’imaginaire de l’enfant et de sa création, devant des institutrices qui passaient leurs jours à faire répéter des phrases toutes faites aux enfants… Mais peu à peu elle a préparé le terrain à Decroly et Montessori qui furent les références les décennies suivantes dans les écoles maternelles.

La vie d’un pédagogue n’a rien d’un long fleuve tranquille. Où allaient-ils chercher leur force pour tenir malgré tout ? Ils ont sûrement eu des moments de découragements. Qu’ont-ils fait alors ? Se sont-ils appuyés sur leur foi ou sur de bons amis ou collaborateurs ? Ils ont écrit aussi, quelquefois ils avaient une passion parallèle qui éventuellement pouvait les nourrir. Montessori parle de son séjour en Inde avec délices. Fröbel a trouvé de quoi se ressourcer dans la nature.
L’approche de l’éducation demande une conversion et reconversion continuelles. Ce n’est jamais fini que de découvrir les richesses enfantines, de les comprendre, les accepter et d’y répondre. Elle est LÀ l’histoire de l’éducation. Cela nous permet de voir les choses avec un certain recul. « Connaitre les origines pour mieux comprendre » était l’objectif exprimé par des directrices de crèche lorsque je leur faisais une formation sur l’histoire de l’éducation. Je me souviens de l’une d’elles venant de découvrir que l’importance donnée à l’hygiène préconisée par sa pédiatre n’était pas une nouveauté, mais à l’origine de la création des crèches. Elle était comme soulagée !
Dans ce mouvement qui ressemble bien au mythe de Sisyphe toujours poussant son rocher pour ne pas redescendre.

Il s’agit d’avancer comme on peut avec ses moyens, avec sa vie personnelle que nous pouvons alimenter autre part que dans notre lieu de travail : un art, un violon d’Ingres, sa vie familiale, le sport, le jardinage… Mais quelquefois si la réalité destructrice est plus forte que nous, se protéger est un devoir. A la fin d’une formation j’ai dit aux futures professionnelles qui venaient de recevoir leur diplôme d’EJE de se sauver devant certaines situations institutionnelles épuisantes, de ne pas les accepter, surtout avant d’avoir eu de bonnes expérience positives. Elles sont possibles.
                                                         
Je terminerai par cette phrase : « Donnez-moi le courage de changer les choses que je peux changer, la sérénité d’accepter celles que je ne peux pas changer et la sagesse de distinguer entre les deux ». Marc Aurèle, empereur romain et philosophe
Article rédigé par : Bernadette Moussy
Publié le 20 décembre 2017
Mis à jour le 20 décembre 2017