La main de l’architecte Le Corbusier. Par Didier Heintz

Architecte et Designer d’espaces pour la petite enfance. Cofondateur de l’association NAVIR Enfants, Adultes, Environnemen

 
Quelle drôle de main, mais quelle main magique !  Le Corbusier (1887-1965) avait l’habitude de signer les bâtiments qu’il construisait. Pour sa dernière réalisation à Chandigarh en Inde, il a dessiné cette main. C’est une grande main ouverte pour recevoir, ouverte aussi pour que chacun vienne y prendre tout ce qu'il souhaite y trouver.

Regardez : le pouce est tendu vers l’avant, peut-être aussi vers l’avenir comme une colombe. Les trois doigts du milieu, l’index, le majeur et l’annulaire sont là comme une couronne, comme quelque chose de sûr, comme l'est ce qui est bâti ; et le petit doigt, qui s’appelle aussi l’auriculaire, est celui qui cherche l’or dans le fond de la mer, celui qui supporte tout l’édifice. C’est là le dessin d’un constructeur, par sa main ouverte qui englobe tout : le passé, l’avenir et mais aussi le présent.

N’en est-il pas de même pour les mains d’un enfant ? Ces mains avec leurs doigts, qui dès la naissance, se tournent vers nous, vers l’avenir et le monde tout entier.

Que nous disent ces doigts et que font-ils ?
Saisir, prendre, caresser, repousser, se croiser. Une main qui serre pour connaître, agripper pour prendre un objet, en faire un outil prolongement de la main, aller toujours plus loin.
Mains d’enfants toujours ouvertes pour recevoir, fermées pour repousser, toucher, bouger les bras, puis le corps tout entier qui se meut dans l’espace, qui devient espace lui-même, qui exprime tout entier ce qu’exprime la figure, la position de la tête, du buste et le reste du corps.

 Regardons la première photo


Siloé et son frère Elio sont assis devant nous. Celui-ci sirote un fruit exotique rond et vert, qu'il tient dans ses mains comme le monde entier à explorer avec une paille. Siloé, quant à elle, l'observe attentivement, comme si elle arrivait à aspirer déjà par anticipation le fruit de son seul regard, concentrée par l'attente et le désir. Par ses deux mains, bien écartées et arrondies, elle semble elle aussi tenir déjà cette grosse boule ronde et pleine dont elle apprécie déjà l'envergure et le poids.

Regardons maintenant la deuxième photo


Boris, comme Siloé, prend en main non plus une sphère symbolique, mais un cube réel qu’il veut enjamber. Sa main droite se tient au rebord du cube, ses doigts se crispent sur cette prise, ce qui lui permet de lever la jambe, alors que la main droite, plus exactement le bras et le coude, s’appuient sur la face du cube pour lui permettre la rotation qu’il est en train de faire. Le visage ici est tourné vers l’intérieur de lui-même et ces mouvements qu’il ressent en lui.

Regardons maintenant la troisième photo


Les mains, contrairement à celles de Siloé, ne sont plus ouvertes, mais fermées, je dirais même plus, elles sont entortillées. La boule et le cube sont maintenant complètement enlacés, comme s’il fallait une force inouïe pour les séparer, une grande volonté exprimée tout autant par la figure que par le corps tout entier. Ici les bras, l’un au-dessus de l’autre, expriment la rotation, que les doigts emmêlés empêchent de faire. « Tu vois, semble me dit ce petit garçon, c’est compliqué mais je vais y arriver ».




Dans le bas de cette quatrième photo, nous voyons à nouveau une petite fille avec les mêmes gestes d’embrassement. Mais ici, apparaît quelque chose de nouveau, c’est le toucher. La photo a été prise dans une exposition où se trouvait une grande bête rugueuse faite de clous et de fils de fer pointus. D'autres enfants sont intrigués : peut-on toucher, est-ce que ça fait mal, est-ce que c’est doux ? Les mains caressent, palpent, se retournent, puis le corps s'engage pleinement :  ce sont les degrés du toucher, qui dépendent aussi de l'âge.

Je pense ici à un autre artiste, Bruno Munari, un plasticien italien qui a beaucoup travaillé avec les enfants sur la tactilité. Il a utilisé des matériaux de toutes sortes et dans toutes sortes de positions et de configurations : sur les murs, sur le sol ; des matériaux suspendus doux, rugueux ou tendres au toucher, comme on le voit à l’arrière de l’image, par cette autre main aux doigts repliés.

Ce toucher, nous pourrons y revenir dans ma prochaine chronique et, pourquoi pas, apprendre avec Bruno Munari à réaliser concrètement des tableaux tactiles, des boîtes magiques ou, comme lui, faire le tour des murs de notre lieu et y découvrir tout ce qui est à toucher.

 
Article rédigé par : Didier Heintz
Publié le 08 juillet 2020
Mis à jour le 08 juillet 2020