De la distanciation physique entre les tout-petits : bienvenue en Absurdie ! Par Françoise Näser

Assistante maternelle, auteure

enfants se disputant
Nous vivons vraiment une époque étonnante ! Ces derniers mois ont donné lieu à des défis (que nous avons relevés), à des angoisses (que nous avons surmontées), à des drames (et nous compatissons sincèrement avec ceux qui ont souffert). Il y a eu de beaux gestes de solidarités, des feuilletons à rebondissement, des ordres et contrordres, des cafouillages, de belles surprises … Bref, nous ne nous sommes pas ennuyés !
Alors que nous pensions avoir fait le tour de la question, alors que nous pensions avoir tout dit sur la période de confinement, puis sur celle du déconfinement, alors que nous envisageons le bout du tunnel, l’été, les vacances, voilà que le 8 juin sort un nouveau guide avec un certain temps de retard à l’allumage, certes ! Ce « Guide de préconisations et de bonnes pratiques pour éviter la transmission de la COVID-19 » des partenaires sociaux reprend grosso-modo tout ce que nous avions déjà lu dans le Guide ministériel du 06 mai (,https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/guide-deconfinement-petite-enfance-covid-19.pdf)sauf peut-être une petite phrase : « Veiller dans la mesure du possible au respect de la distanciation physique entre les enfants pendant les activités. »

La distanciation physique entre les enfants 
? « La solution idéale, et je l'ai trouvée, c'était les grosses cages à chiens qu'on utilise pour emmener chez le véto. Chaque enfant sa cage avec son petit stock de jouet, en plus ça m'a permis d'avoir du temps pour tout désinfecter correctement sur mes heures d'accueil » (Véronique) Si certaines prennent les choses avec humour et dédramatisent en surenchérissant dans l’absurde (car aucun enfant n’a été réellement enfermé dans une cage, faut-il le préciser ?), d’autres au contraire se sont sincèrement demandés comment protéger au mieux les enfants accueillis, leurs parents et leur propre famille, en particulier celles et ceux qui ont travaillé durant le confinement, perdus au milieu d’un flot d’informations contradictoires : « moi j’ai installé des barrières.... J’ai fait un grand parc pour les bébés de 6 mois dans ma pièce de vie, le 3ème de 9 mois avec moi et les 2 grands de 3 ans dans la salle de jeux avec une barrière pour éviter les va-et- vient ; j’ai fait ce qui me semblait le plus rassurant et sécurisant au cas où… »  (Magaly) Est-il nécessaire de préciser que cette organisation épuisante n’a guère tenu dans le temps ?

Si certaines ont improvisé en cherchant à faire au mieux et à créer les meilleures solutions d’accueil, puisqu’on nous disait au tout début que les enfants étaient particulièrement vecteurs du virus, ce qui a été démenti par la suite , d’autres ont reçu durant cette même période de confinement des consignes de leur Pmi : « suite au seul appel de ma Pmi durant le confinement, au plus fort de la pandémie en France, j'ai pratiqué au tout début : un dans le parc, un dans le transat, un au sol… alternant avec la sieste et chaise haute. Eh bien c'est une charge mentale de logistique, qui les rendait très malheureux ; beaucoup de pleurs ! Et après cet épisode de maltraitance involontaire, la question, c'est surtout comment les enfants vont-ils réapprendre à nous faire confiance ? » (Aline) Une professionnelle de la Petite Enfance contrainte d’appliquer des gestes qu’elle juge elle-même comme maltraitants ? Combien ont vécu la même chose ? Combien d’assistantes maternelles se sont senties écartelées entre leurs propres inquiétudes, des directives impossibles à suivre et leur désir de bien faire les choses en une période si troublée ?

Certaines ont donc reçu des consignes orales de leur Pmi exigeant une distanciation physique des enfants, d’autres ont reçu des consignes écrites pour gérer l’organisation des activités : « Structurer l’espace pour réduire les regroupements et les contacts entre les enfants, attribuer un bac à jouets à chaque enfant en l’adaptant à son âge et en privilégiant des supports lavables, éviter tout élément en accès libre ». Fichtre ! Ceux qui ont écrit ces quelques lignes mesurent-ils vraiment l’impact qu’elles ont sur la vie d’une assistante maternelle, sur sa famille, sur son travail, sur son quotidien ? « Bref, ce n’est pas simple en ce moment de créer un cadre ludique propice à l’exploration et à la créativité des jeunes enfants. » comme le souligne Fabienne-Agnès Levine. Empêcher les enfants de se toucher, d’échanger des jouets, de jouer ensemble, c’est de toute façon mission impossible et ce n’est pas souhaitable, ainsi que formulé dans le Guide ministériel du 06 mai 2020 : « Les activités des enfants - dans les locaux de l’établissement de la MAM ou chez l’assistant maternel ainsi que dans le cadre d’une garde d’enfants à domicile - ne requièrent aucune mesure de distanciation physique entre les enfants et avec les adultes auxquels ils sont confiés. » 

La distanciation physique entre les tout-petits ? Non, merci !
 
Article rédigé par : Françoise Näser
Publié le 02 juillet 2020
Mis à jour le 02 juillet 2020